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Santé : le risque du grand déconventionnement

La négociation sur la nouvelle convention médicale a échoué. Elle acte l’impossibilité de l’Assurance-maladie à encadrer les dépenses de santé tout en ne décourageant pas les carrières médicales dans un contexte de fortes tensions, notamment autour de la question des déserts médicaux. Même si les comparaisons internationales doivent être interprétées avec prudence, le tarif de la consultation des médecins français semble plus faible que leurs confrères européens, les conduisant à multiplier les actes pour maintenir leurs revenus. Et les différents dispositifs de compléments de revenus proposés par l’Assurance-maladie sont devenus illisibles au fil du temps. L’appel au déconventionnement des médecins libéraux n’a peut-être pas vocation à se généraliser vu les difficultés financières rencontrées par leurs patients. Mais il peut être un élément déclencheur à une contractualisation entre les médecins et les complémentaires santé pour de nouvelles relations basées sur l’évaluation et la qualité des soins.

Face aux déficits accumulés de la branche maladie de la Sécurité sociale, les pouvoirs publics avaient fait le choix d’une régulation de l’offre de santé pour maîtriser les dépenses de santé,  la baisse du numerus clausus a eu des effets de long terme qui se traduisent aujourd’hui par l’accroissement des déserts médicaux. À cette crise de l’offre, sont venus s’ajouter ces dernières semaines les débats sur la nouvelle convention médicale visant, entre autres, à fixer le montant des consultations, qui constitue le deuxième levier à la disposition des pouvoirs publics pour maîtriser les dépenses de médecine de ville. Après plusieurs semaines de négociations, les syndicats représentatifs des médecins et l’Assurance-maladie ne sont pas parvenus à se mettre d’accord, avec la menace de certains médecins de se déconventionner.

Les évènements des dernières semaines

Les premières négociations autour de la nouvelle convention médicale ont débuté en novembre dernier. D’un côté, les syndicats de médecins avançaient comme principale mesure attendue, une augmentation significative du prix de la consultation : 30 € voire 50 €. Le gouvernement, souhaitant faciliter l’accès aux soins, a mis en avant une autre proposition, un « contrat d’engagement territorial », avec des tarifs de consultation majorés (30 € pour les généralistes et 35 € pour les spécialistes) en échange de contreparties : augmentation du nombre de patients suivis, participation à la permanence des soins avec des gardes les soirs et week-ends.

Cette proposition qui n’était pas le seul élément de la discussion (voir encadré) a concentré toutes les critiques. En particulier, les médecins y ont vu l’introduction d’un système à deux vitesses et surtout un outil contraignant quant à la liberté d’exercice, et ce dans un contexte déjà tendu : Ondam voté avec un objectif de dépenses de médecine de ville faiblement revalorisé du point de vue des médecins, nombreuses initiatives législatives autour de l’obligation d’installation dans les déserts médicaux, ouvertures de certains actes à d’autres professionnels de santé…

Pour les médecins, le « contrat » et le conditionnement, des revalorisations à un surcroît d’activité pour des professionnels travaillant « en moyenne 55 heures par semaine » sont « inacceptables »[1. Pour le ministre de la Santé, en revanche, il n’était pas possible d’envisager une revalorisation sans contreparties. Un débat tendu s’est donc enclenché sur fond de grèves des médecins libéraux.

Après plusieurs mois de négociation, et constatant un désaccord entre les syndicats et le texte présenté par la Caisse nationale d’assurance maladie, et soutenu par le ministre de la Santé, il faudra donc en passer par un règlement arbitral[2]. C’est une inspectrice des affaires sociales, Annick Morel, qui devra faire une nouvelle proposition. Elle reviendra vers le ministre d’ici 3 mois, qui pourra la signer ou non. En parallèle, un nouveau cycle de discussions sera ouvert pour fixer une nouvelle convention médicale.

Les principaux éléments de la convention

  • Tous les actes revalorisés de 1,50 €, portant à 26,50 € le tarif de référence d’un généraliste et à 31,50 €celui des spécialistes.
  • Un « contrat d’engagement territorial » facultatif à plusieurs niveaux de consultation : un premier niveau à 30 euros pour les généralistes, puis, pour des consultations complexes, 40 euros (niveau 2) et 60 euros (niveau 3) en contrepartie de l’augmentation de l’offre médicale, l’accès financier aux soins, la participation aux besoins de soins du territoire. 40 % des généralistes atteignent déjà les niveaux de patientèle médecin traitant souhaités selon la CNAM ; 30 % travaillent plus d’un samedi sur deux ; 40 % prennent part à la permanence de soins ambulatoires.
  • Évolution des rémunérations forfaitaires, autre partie de la rémunération des médecins, simplifiées et revalorisées.
  • Des aides à l’installation et à l’embauche d’assistants médicaux, avec, notamment, des bonus importants pour les médecins primo-installés en zone d’intervention prioritaire et en zone d’action prioritaire.

Le conventionnement, comment ça marche ?

Les rapports entre l’Assurance-maladie et les médecins sont définis par des conventions nationales, séparées pour les médecins généralistes et les médecins spécialistes, signées par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie et une ou plusieurs organisations syndicales représentatives de médecins généralistes ou spécialistes. Ces accords permettent de fixer des tarifs de référence qui servent de base aux remboursements des frais de santé.

On compte 3 secteurs de conventionnement :

  • Les médecins de secteur 1 s’engagent à ne pas dépasser les tarifs fixés et ne font pas de dépassement d’honoraires
  • Les médecins de secteur 2 peuvent fixer leurs tarifs librement tout en respectant des limites au dépassement d’honoraires.
  • Enfin, les médecins de secteur 3 ou non conventionnés fixent librement leurs tarifs, mais l’assurance-maladie ne rembourse que très peu leurs consultations. Ils ne sont qu’un millier environ en secteur 3.

Le tarif réglementé d’une consultation est actuellement de 25 € (hors majoration) chez un généraliste et 30 € (hors majoration) chez un spécialiste.

Le secteur 2 a été introduit en 1980 pour faire face – déjà - à la difficulté de maîtriser les dépenses de santé. Le Premier ministre Raymond Barre proposa un tarif opposable aux médecins sur la base duquel, les assurés continueraient d’être remboursés. Les médecins resteraient libres de leurs tarifs, mais pour ceux fixant des honoraires au-delà du tarif opposable, la Sécurité sociale ne participerait plus au financement de leurs assurance maladie et vieillesse. Selon le site AvenirSpé, beaucoup de médecins craignaient une fuite de leur patientèle dans une période de relative surpopulation médicale. Mais, peu à peu, voyant la stagnation des tarifs opposables, de plus en plus de médecins envisagèrent d’opter pour le secteur 2[3]. Tous les deux ans, il y avait une « fenêtre conventionnelle » permettant aux médecins de changer de secteur. Typique du caractère sacré en France des diplômes obtenus entre 20 et 25 ans, la convention de 1990 limita l’entrée en « secteur à honoraires libres » aux anciens chefs de clinique-assistants. Et depuis les conventions n'ont eu de cesse que d’encadrer les tarifs pour limiter les dépenses[4].

Pour échapper à ce carcan, de nombreux médecins généralistes cantonnés au secteur 1, soit tardent à s’installer et effectuent des remplacements, si possible en secteur 2, soit recherchent des activités complémentaires mieux rémunérées (esthétique, homéopathie, épilation, acupuncture, ostéopathie, etc.)

Comment se situe la valeur de l’acte médical en France comparé aux autres pays européens ?

De l’avis des syndicats de médecins, le prix de la consultation est une des plus basses des pays comparables. À l’occasion de la grève récente des médecins libéraux, les tarifs des consultations dans différents pays européens ont été publiés[5] : entre 60 et 300 € pour une consultation chez un généraliste au Royaume-Uni, entre 50 et 69 € en Espagne, entre 35 et 70 € en Allemagne[6], entre 65 et 78€ aux Pays-Bas ou en Italie, 30 € en Belgique, 40 € au Portugal.

A priori les tarifs appliqués en France sont plutôt parmi les plus faibles, mais les médecins français bénéficient tout de même de revenus supplémentaires. Par exemple, d’une rémunération sur objectif de santé publique, qui représente en moyenne 5000 € en plus par an[7]. Des tarifs différents sont également prévus pour les consultations complexes.

Il faut également comparer ce qui est comparable et tenir compte de l’organisation des soins qui n’est pas identique dans tous les pays d’Europe : au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie, les systèmes de santé sont étatiques[8]. Les assurés bénéficient de soins gratuits en contrepartie d’un parcours de soins. Les médecins sont fonctionnaires et/ou la rémunération ne se fait pas à l’acte mais au nombre de patients suivis. « Le modèle qui se rapproche le plus du système français, avec une médecine libérale, c’est le modèle allemand », « Les médecins généralistes libéraux français sont payés 20 à 30 % de moins que les médecins libéraux allemands », assure Frédéric Bizard[9].

Autre élément qui rentre en ligne de compte, la possibilité d’exercice regroupé, très répandu en Allemagne et qui permet de libérer du temps pour la consultation. Autre sujet, la possibilité de combiner un exercice libéral et un exercice salarié, à l’hôpital par exemple[10]. Tous ces éléments ont une influence sur la rémunération moyenne. Aussi, plutôt que de comparer les tarifs de consultation, l’OCDE préfère une comparaison pour les généralistes/spécialistes de la rémunération annuelle rapportée au salaire moyen[11].

On constate qu'un médecin français généraliste touche 3 fois le salaire moyen, ce qui est dans la fourchette des ratios des principaux pays de l’OCDE pour les généralistes en libéral. Il faut toutefois avoir en tête la faiblesse du salaire moyen français et aussi le temps de travail élevé des médecins français. Mais le médecin français touche nettement moins que son confrère allemand.

Pour des emplois aussi qualifiés, un mode de fixation des honoraires peu commun

Ainsi quelle que soit leur expérience, les médecins sont payés de la même façon pour leur consultation. Certains patients (ALD) ou consultations (ROSP) font bien l’objet d’une rémunération différenciée, mais dans l’immense majoritédes cas  (en secteur 1) le paiement sera identique. Une situation d’autant plus étonnante qu’à l’hôpital, les salaires de tous les personnels augmentent en fonction de l’ancienneté, ce qui représente une forme de reconnaissance de l’expérience qui est souvent associée à la qualité du travail. Par ailleurs le tarif fixé est identique sur toute la France, ce qui là encore va à l’encontre de la simple observation des tarifs fixés dans d’autres secteurs de l’économie.

Ce mode de rémunération conduit les médecins qui veulent conserver un certain niveau de revenus à pratiquer un nombre élevé de consultations, à la limite du stakhanovisme[12]. Ce contexte explique en partie la désaffection pour la profession médicale de la part des jeunes générations qui préfèrent exercer de façon salariée. Une enquête récente montre que les jeunes praticiens veulent clairement travailler moins que leurs aînés et entendent davantage concilier vie de famille et carrière professionnelle. Un souhait légitime, mais qui doit rester compatible avec les besoins de suivi de l’évolution rapide de la médecine, et comparable avec les temps de travail des professionnels ayant des niveaux élevés de compétences et de responsabilités (avocats, ingénieurs, chercheurs…).  La profession, qui devient aujourd’hui majoritairement féminine, préfère travailler en équipe, privilégie l’exercice salarié ou mixte dans un établissement public ainsi qu’une diversification de la rémunération[13].

Répondre à ces aspirations est cependant difficile : il faudrait introduire un mode de rémunération à la capitation, encourager encore plus l’exercice groupé, dans un contexte de délégation de tâches, pour favoriser les consultations les plus complexes par les médecins, etc. Mais ces pistes pour attirer la nouvelle génération sont particulièrement délicates à mettre en œuvre dans la période que nous connaissons de déserts médicaux où, en même temps, il ne faut pas décourager les médecins les plus expérimentés qui seraient tentés d’arrêter leur exercice, ce qui aggraverait la pénurie médicale[14]. Pour ces médecins expérimentés, la meilleure solution serait de rémunérer mieux leur expérience et non de leur demander d’en faire toujours plus. L’Assurance-maladie est en quelque sorte coincée : ne pas décourager ceux qui exercent déjà, encourager ceux qui démarrent leur carrière médicale. C’est dans ce contexte que le débat sur le déconventionnement a émergé.

Le déconventionnement : la solution ?

Ce mouvement porté par certains syndicats de médecins est en quelque sorte le symptôme de l’impasse dans laquelle se trouve la médecine libérale.  Pour l’économiste de la santé Frédéric Bizard, le phénomène se rapproche de celui de "mercenarisation" depuis une dizaine d’années à l’hôpital. "Paradoxalement, pour un libéral, c’est plus compliqué de quitter le système, car il dépend à 100% de ses patients." L’économiste juge toutefois la menace "crédible", car "une partie de la population préférera payer une consultation qualitative longue avec un reste à charge important que ne pas se faire soigner"[15]. Lors d’une journée du déconventionnement, plusieurs médecins libéraux ont partagé leur expérience expliquant que contrairement à leurs craintes ils n’ont pas eu à subir une baisse significative d’activité et/ou de revenus et ont trouvé leur retour d’expérience gratifiant.

Cependant un tel mouvement paraît difficilement généralisable face aux difficultés financières d’une grande partie des Français, et surtout sous la pression des complémentaires santé qui ne peuvent prendre en charge les frais sur des consultations quasiment pas remboursées. Mais pour le Dr Jérôme Marty, à l'initiative de ce mouvement, "des milliers et des milliers de médecins commencent à regarder le déconventionnement comme une solution", se libérant de l’Assurance maladie "pour aller construire un autre secteur avec les assurances privées et les mutuelles"[16].

L’occasion pour les complémentaires santé de reprendre la main ?

Réagissant à l’échec de la négociation, la mutualité française a tenu à rappeler que les évolutions contenues dans le projet de nouvelle convention étaient en partie financées par « un investissement financier important de l’assurance maladie obligatoire et des organismes de complémentaire santé, 400 millions d’euros pour ces derniers ». Cette organisation représentant des acteurs majeurs de la couverture santé a souligné les avancées du projet de convention, mais a aussi pointé l’extrême complexité des différents dispositifs de financement (engagement territorial, OPTAM, etc.) La mutualité française souhaite en particulier que « leur participation aux rémunérations des médecins ne passe plus par une taxe prélevée sur les cotisations des adhérents, mais par le remboursement de prestations dispensées à leurs adhérents »[17].

Autre élément notable, en septembre 2022, les Libéraux de Santé et trois fédérations de complémentaires santé ont signé « un accord de collaboration prévoyant notamment la mise en œuvre d’un chantier prioritaire d’amélioration des dispositifs de dispense d’avance de frais pour les patients »[18]. Il s’agirait de contractualiser entre professionnels et complémentaires santé, pour améliorer « l’identification des bénéficiaires, la vérification des droits, la simplicité de la facturation pour le professionnel de santé ainsi que le suivi et la garantie des paiements ».

Qu’ils soient libéraux ou salariés, de nouvelles expériences entre assureurs et médecins volontaires pourraient être la réponse à la crise de l’offre médicale. Mais pour aller plus loin, il faudra que les médecins acceptent d’être évalués par les assurances santé, ce que ne fait pas l’Assurance-maladie et qu’en contrepartie les assurances santé encouragent une rémunération de la qualité des soins.


[1] https://www.lequotidiendumedecin.fr/liberal/assurance-maladie/apres-lechec-des-negociations-le-reglement-arbitral-peut-il-rendre-service-aux-medecins

[2] https://www.lequotidiendumedecin.fr/liberal/assurance-maladie/apres-lechec-des-negociations-le-reglement-arbitral-peut-il-rendre-service-aux-medecins

[3] https://syndicatavenirspe.fr/le-secteur-2-histoire-et-perspectives.html

[4] https://www.irdes.fr/documentation/syntheses/historique-des-conventions-medicales.pdf

[5] https://www.europe1.fr/societe/combien-sont-payes-les-medecins-en-europe-4156880

[6] https://www.mondassur.com/fr/pays/assurance-sante-allemagne/

[7]https://assurance-maladie.ameli.fr/presse/2022-04-26-cp-rosp-2021#:~:text=Le%20montant%20moyen%20de%20r%C3%A9mun%C3%A9ration,'avant%20crise%20(1).

[8] https://journals.openedition.org/sdt/36247

[9] https://www.20minutes.fr/sante/4017166-20230103-sante-50-euros-consultation-beaucoup-rapport-autres-pays-europeens

[10] https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/au-fait-comment-travaillent-les-medecins-liberaux-ailleurs-en-europe

[11] https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/ae3016b9-en.pdf?

[12] https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-04/fiche41.pdf

[13] https://www.lequotidiendumedecin.fr/internes/etudes-medicales/les-jeunes-medecins-veulent-travailler-moins-pour-vivre-mieux

[14] https://www.senat.fr/rap/r21-589/r21-5891.pdf

[15] https://www.egora.fr/actus-pro/conditions-d-exercice/79399-nous-medecins-liberaux-allons-nous-battre-pour-retrouver-ce-qu?nopaging=1

[16] https://www.egora.fr/actus-pro/assurance-maladie-mutuelles/79311-c-est-une-occasion-manquee-le-dg-de-la-cnam-reagit-a-l?nopaging=1

[17] https://www.mutualite.fr/presse/lechec-des-negociations-de-la-convention-medicale-ne-doit-pas-conduire-a-perdre-de-vue-les-besoins-des-patients-et-les-attentes-des-medecins/

[18] https://www.franceassureurs.fr/espace-presse/liberaux-de-sante-et-trois-federations-de-complementaires-sante-avancent-sur-solutions-dispense-davance-frais/