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RSA, bénévolat et contrôle des bénéficiaires : arrêtons de tourner autour du pot

Le conseil départemental du Haut-Rhin vient de prendre une initiative assez radicale, qui consiste à exiger des bénéficiaires du RSA socle, l’exécution d’un travail de sept heures par semaine dans des collectivités publiques ou des associations financées par les deniers publics dans une sorte de nouvelle version des emplois aidés. Cette initiative, outre qu’elle semble bien être vouée à l’échec car contraire à la loi, montre bien le niveau de désarroi des exécutifs départementaux face au caractère totalement non finançable des dépenses sociales dont ils ont la charge : RSA et APA notamment. RSA dont on sait qu'il est la prestation sociale la plus fraudée. Déclencher le débat sur ce sujet est aujourd’hui plus que nécessaire et fait apparaitre que les solutions qui seraient les plus efficaces ne sont pas aujourd’hui utilisées :

  • obligation d'accepter un emploi ou un stage (cf l'exemple du Royaume-Uni) ;
  • possibilité de déroger au SMIC pour les demandeurs d’emploi de longue durée très éloignés du marché du travail avec des contrats de type mini-job allemand ou job zéro heure britannique ;
  • contrôle et croisement des données pour vérifier que les bénéficiaires des minima sociaux sont toujours présents sur le territoire (cf. expérience du département de l’Eure).

A terme, il faudra choisir entre un RSA (ou allocation unique) national payé et assumé par l’Etat, ou des RSA territoriaux payés en fonction des capacités de financement des territoires qui en supportent (via les impôts) le poids. Le débat ne fait que commencer. 

Quoi que l’on puisse en penser par ailleurs, on est obligé de reconnaître avant tout débat que l’initiative du conseil départemental du Haut-Rhin, n’est pas conforme au système légal en vigueur, comme l’a sèchement rappelé la ministre de la Santé. Le RSA est une mesure nationale correspondant à des règles strictes concernant notamment les conditions d’accès aux prestations. Les collectivités légales, responsables de sa mise en œuvre, ne peuvent pas déroger à ces règles, même en considérant le principe d’autonomie dont bénéficient ces collectivités. C’est du moins ce qu’il est logique de penser, sans que l’on sache pour le moment si le gouvernement va se mobiliser pour faire annuler pour excès de pouvoir la délibération du conseil du Haut-Rhin.

Cette délibération est d’autant moins conforme à la loi que depuis le début de cette année le RSA activité a été supprimé, et remplacé par la prime d’activité qui combine cette mesure avec l’ancienne prime pour l’emploi. Ce dans le but de séparer une prestation de pure solidarité comme le RSA de celle qui est versée en cas d’exercice d’une activité, et qui n’intègre plus le RSA socle. Subordonner la prestation du RSA à l’exercice d’une activité reviendrait donc à détruire les fondements du système ainsi élaboré. C’est d’ailleurs à cette contradiction que le conseil du Haut-Rhin a voulu échapper en tentant de qualifier sa mesure, mais de façon artificielle, non pas comme une obligation de travail, mais comme un bénévolat contraint[1].

A quel objectif répond l’institution de ce bénévolat obligatoire, contrepartie de la prestation ?

Première remarque, l’initiative du conseil général du Haut-Rhin s’inscrit en réalité dans la contestation générale qui oppose gouvernement et départements quant au financement du RSA qui a été imposé à ces derniers sans leur donner les moyens de l’assumer.

Les collectivités locales subventionnent les associations[2] dont on rappelle qu’elles reçoivent chaque année au total plus de 20 milliards des collectivités publiques. Il est évident que le conseil général du Haut-Rhin, en requérant que les bénéficiaires du RSA fournissent 7 heures par semaine de travail d’intérêt général au profit des « associations, des collectivités locales, des maisons de retraite et des établissements publics », pense trouver ici un moyen ingénieux pour compenser les efforts financiers qu’il est contraint d’effectuer en finançant le RSA. Nous croyons y voir la véritable motivation de ce type de « workfare » anglo-saxon qui consiste à contrebalancer les droits des bénéficiaires par des devoirs à l’égard de la collectivité qui leur verse des prestations. Ajoutons que, outre une motivation financière, la mesure proposée présente l’avantage politique d’être « dans l’air du temps », d’un temps qui voit le soutien public à l’État-providence diminuer fortement, au profit d’une critique souvent virulente d’un assistanat tous azimuts.

Officiellement, le conseil départemental explique son initiative par le désir de « replacer les bénéficiaires du RSA dans l’action et le changement », « d’initier un cercle vertueux et de faire passer les allocataires du statut d’usager à celui de bénévole actif et reconnu ». « Il ne s’agit surtout pas de les stigmatiser. On espère plutôt mettre le pied à l’étrier aux gens… »

On est parfaitement d’accord avec le conseil pour dire que la mesure n’encourt aucune critique de stigmatisation des bénéficiaires[3]. Il n’est pas inutile non plus de rappeler les expériences plutôt réussies des pays européens en la matière (voir encadré suivant). Le problème n’est pas celui de la justification morale, mais celui de savoir si véritablement la mesure est utile pour « mettre le pied à l’étrier », pour reprendre l’expression du président du conseil du Haut-Rhin, et lutter contre le chômage, c'est-à-dire la priorité française du moment. Ce que nous ne pensons pas.

Solidarité et devoirs dans les pays européens.

Déjà en 2011 Laurent Wauquiez avait proposé d’instaurer cinq heures de « travail social » obligatoire pour les bénéficiaires du RSA, et une mesure vite supprimée avait prévu la signature de contrats aidés. Mais à l’étranger on ne trouve pas anormal de demander aux bénéficiaires de s’investir dans le travail.

Au Royaume-Uni, le gouvernement Cameron a récemment contraint les chômeurs à effectuer des travaux d’intérêt général ou un stage pendant six mois, ou alternativement de pointer tous les jours au Job Center. Déjà en 2011 une telle mesure avait été prévue, mais l’obligation était limitée à quatre semaines au lieu de six mois.

En Suisse, le projet « Passage » est appliqué depuis 2001 dans la ville de Winterthur, et a été repris à Zurich et adopté par le Grand Conseil valaisan, cependant que la ville de Neuchâtel pense aussi à l’adopter. Il se révèle être un succès indéniable. La mesure, qui consiste à demander une contreprestation de un mois de travail aux bénéficiaires de l’aide sociale, est très bien acceptée, et à la fin du mois d’occupation « plus qu’une seule personne sur deux a encore besoin de l’aide sociale. Une analyse coût-utilité menée de manière indépendante a montré que ces mesures d’intégration par le travail se révèlent payantes à moyen terme: pour chaque franc investi, quatre sont économisés »[4].

Dans d’autres pays, le système juridique est différent, mais repose en fait sur la même philosophie de l’intégration par le travail. Le Danemark a institué une politique d’activation, considérée comme le troisième pilier de la flexicurité (avec la faculté de licencier très facilement et la relative générosité des indemnités chômage) qui impose très strictement au chômeur de suivre un processus par un stage, un emploi aidé ou une formation, en même temps que de poursuivre activement la recherche d’un emploi. Il semble que la crainte d’être « activé » soit efficace pour inciter le chômeur à trouver un emploi avant l’échéance de neuf mois prévue pour l’obligation d’activation.

En Allemagne enfin, les réformes Hartz de la précédente décennie sont fondées sur le principe du « fordern und fördern » (protéger et exiger), qui contraint les personnes sans travail, sous peine de perdre leurs allocations, à accepter des emplois ne correspondant ni dans leur rémunération ni dans leur qualification à ceux auxquels ils pourraient prétendre. On peut ajouter dans le même esprit les « jobs à un euro » qui ressortissent à la politique d’activation.

La voie proposée par le conseil général du Haut-Rhin ne paraît pas être le bon moyen pour favoriser l’emploi

En dehors du fait que cette initiative contredit le système légal français comme nous l’avons indiqué, ce qui nécessiterait pour son adoption une nouvelle modification législative, nous ne pouvons pas ne pas y voir autre chose qu’une nouvelle forme d’emploi aidé, mesure à laquelle nous sommes fermement opposés. Dans le marasme actuel du marché du travail, si nous voulons agir dans le sens d’une incitation véritablement utile à la prise ou à la reprise des  emplois pérennes, ce n’est pas dans le secteur public qu’il faut chercher ces derniers. Or c’est bien ce à quoi se limite la proposition du conseil général (voir ci-dessus), pour des raisons que nous estimons financières et qui n’ont pas grand-chose à voir avec le souci de mettre le pied à l’étrier des personnes sans travail.

De façon générale, il est reconnu que les emplois aidés du secteur public ne favorisent pas réellement l’emploi, et ne contribuent pas efficacement à la formation des chômeurs. A plus forte raison en serait-il de même de travaux tout à fait accessoires limités à sept heures par semaine – travaux qui auraient en outre l’inconvénient de concurrencer celui des autres salariés des employeurs en question. Autant souscrivons-nous tout à fait au principe suivant lequel il vaut mieux à tous propos exercer un « petit » boulot que vivre un chômage total, autant nous estimons qu’il ne faut pas exiger un travail qui n’aurait d’autre justification que financière ou mue par la seule méfiance à l’égard de l’assistanat. Tout au plus pouvons-nous concéder que la mesure proposée par le conseil du Haut-Rhin, qui exige un suivi régulier du bénéficiaire, serait probablement efficace pour lutter contre la fraude[5].

Aussi pensons-nous bien plus nécessaire d’exiger, à la façon des modèles du Danemark ou de l’Allemagne, que les personnes sans emploi soient incitées beaucoup plus fermement que ce n’est le cas actuellement en France, à prendre un travail à plein temps dans le secteur privé, quitte à ce que ce travail ne corresponde pas nécessairement aux vœux de ces personnes. Il est évident qu’un nombre non négligeable d’emplois ne sont pas pourvus en France parce qu’ils ne sont pas jugés suffisamment valorisants, à côté de ceux pour lesquels d’éventuels candidats ne sont pas formés. Les efforts de la nation doivent alors être dirigés vers d’autres solutions pour lesquelles la France a encore énormément d’améliorations à accomplir. Pour nous limiter au sujet du RSA :

  • la réforme de l’Offre Raisonnable d’Emploi dans l’optique d’obliger les bénéficiaires des aides à la recherche active d’emplois et à la prise d’emplois même si ces derniers sont éloignés des vœux des personnes concernées ;
  • la possibilité d’utiliser des modes de rémunération souples qui n’exigent pas le respect des règles de revenu minimales lorsque le travail intervient en complément des aides sociales (comme les minijobs en Allemagne) ;
  • le contrôle permanent des bénéficiaires du RSA, et l’exercice effectif des sanctions prévues.

[1] Le « bénévolat obligatoire » est un parfait oxymore. Il rappelle de ce point de vue les CVO (contributions volontaires obligatoires), qui sévissent dans le secteur agricole, et qui viennent une fois de plus d’être remises au goût du jour pour régler, à hauteur de 100 millions d’euros, la crise de l’élevage. Une étude serait à réaliser sur ces ressources que l’État trouve en marge de la fiscalité…

[2] A titre d’exemple, le département des Bouches du Rhône verse chaque année  80 millions d'euros au tissu associatif au titre de l'aide facultative. Des Festivals d'art au soutien de grandes causes, ce sont quelque 12 000 actions et manifestations émanant de 6 à 7 000 associations qui sont soutenues par la collectivité.

[3] Le RSA est une prestation de solidarité nationale. Elle est financée par des ressources provenant de la fiscalité, laquelle comme on le sait repose largement en France sur les revenus du travail. D’une façon générale, la société française repose sur le travail et les ressources que celui-ci peut apporter. Qu’y a-t-il d’ « inacceptable », pour reprendre un qualificatif utilisé par ATD Quart Monde, dans le principe de demander aux bénéficiaires de prestations payées par des prélèvements sur le travail, d’effectuer eux-mêmes quelques heures de travail en contrepartie de ces prestations ? Et ce d’autant plus que les prestations en question sont accordées nettes de tout prélèvement fiscal ou parafiscal ? Autrement dit, ceux qui financent le font sur des prélèvements imposés sur leurs revenus du travail, alors que le RSA, comme les autres minima sociaux d’ailleurs, sont versés nets de tout prélèvement. En termes économiques, le travail effectué représenterait une contrepartie des prestations non taxées du RSA, même si en termes juridiques on évoque, de façon bien hasardeuse et artificielle, un bénévolat obligé.

Dans ces conditions, ceux qui évoquent une prétendue « stigmatisation » des bénéficiaires, ou leur « culpabilisation », ou encore une « inversion du sens de la solidarité », quant il ne s’agit pas d’établir un parallèle stupide avec le STO de sinistre mémoire ne font en réalité qu’exprimer un sentiment de culpabilité bien hors de propos et injustifié.

[4] Communiqué de la ville de Neuchâtel, 25 avril 2014.

[5] Ainsi le conseil de l’Eure a-t-il procédé à un contrôle des bénéficiaires du RSA, dont le résultat est hélas très instructif : 4485 courriers ayant été envoyés aux bénéficiaires avec demande de précision sur leur situation familiale, 1950 sont restés sans réponse, et mieux encore 730, soit plus de 16%,  retournés avec la mention « n’habite pas à l’adresse indiquée ».