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PS : Faut-il reparler des licenciements boursiers ?

…Ou bien du retour de l'autorisation administrative de licenciement ?

C'est Ségolène Royal qui est remontée au créneau lors du second débat des candidats à la primaire socialiste, en affirmant qu'il fallait interdire les licenciements boursiers. La candidate (PS) se plaçait ainsi (sans le dire) dans l'actualité immédiate, celle de la fermeture de la raffinerie de Llyondell-Basell à Berre dont l'annonce provoque une grève qui menace de s'étendre, comme l'année dernière, au secteur pétrolier. La même candidate s'était aussi emparée du sujet à propos de la décision de la cour d'appel de Paris du 2 décembre 2010 dans l'affaire Lu-Danone. Mais il n'y a rien de nouveau, pour la bonne raison que voilà vingt-deux ans (dans la loi et au moins dix-sept dans la jurisprudence) que les licenciements boursiers sont interdits en France. Ce que Madame Royal propose en réalité est le retour de l'autorisation administrative de licenciement, dont on ne peut penser que du mal.

Qu'est-ce en effet qu'un licenciement boursier sinon une réorganisation de l'entreprise dans le seul but d'en augmenter les profits ? Or, depuis 1989 la définition du licenciement économique (article 321-1, devenu L 1233-3 du Code du travail) suppose que la suppression d'emploi soit « consécutive notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques », ce qui suffit à rendre « sans cause réelle et sérieuse » tout licenciement qui ne procèderait pas de l'une ou l'autre de ces causes. La Chambre sociale de la Cour de cassation, traditionnellement défavorable à l'entrepreneur, a eu tôt fait de donner une interprétation restrictive du texte et d'oublier la présence de l'adverbe « notamment ». Elle a jugé au moins depuis 1997 que pour respecter la loi une réorganisation devait être « effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise et non en vue d'augmenter les profits ». La solution a été répétée maintes fois, et même étendue à la notion de groupe international, pour indiquer qu'était illégale la réorganisation faite en présence de profits au niveau du groupe, ces derniers eussent-ils pour origine des branches d'activité localisées à l'autre bout de la planète et sans aucun rapport avec celle faisant l'objet de la réorganisation.

Ségolène Royal n'ignore pas tout cela à la vérité, puisque dans son blog, ce qu'elle propose est « d'interdire dans la loi, en reprenant les critères de la jurisprudence, les licenciements qui ont en priorité pour objectif de privilégier le niveau de rentabilité de l'entreprise. Cette mesure concernera les entreprises de plus de 250 salariés, car ce sont elles qui veulent donner plus à leurs actionnaires. Cette interdiction des licenciements boursiers sera vérifiée dès le début de la procédure, pour éviter les contentieux à rallonge... La solution proposée par Ségolène Royal n'a rien à voir avec l'autorisation administrative de licenciement. Elle consiste tout simplement à inscrire dans la loi la jurisprudence et à vérifier dès le début d'une procédure de licenciements économiques qu'il ne s'agit pas de licenciements boursiers. »

La dernière phrase nous plonge dans la confusion. Tout d'abord, « inscrire dans la loi la jurisprudence » n'apporte aucune modification au droit, puisque, ce que l'équipe de la candidate ne doit pas ignorer, la jurisprudence est aussi une source du droit. Et le texte de loi, tel qu'interprété par la juridiction suprême, suffit donc. En réalité la nouveauté est l'examen et le contrôle préalable de conformité à la loi qu'il s'agirait d'imposer. Mais alors, en quoi ce contrôle préalable serait-il différent d'une résurrection de l'autorisation administrative de licenciement de sinistre mémoire qu'a connue la France entre 1975 et 1986 ?
Cette autorisation, supprimée par Jacques Chirac, n'a pas été réinstituée lors du retour de la gauche au pouvoir, car… elle ne servait à rien et n'a eu que des effets pervers. La candidate voudrait-elle transformer cette autorisation administrative en autorisation judiciaire ? Qu'est-ce que cela changerait, et en quoi le fait de s'adresser obligatoirement au juge éviterait-t-il les « contentieux à rallonge » ? [1]

La vérité oblige à dire que la proposition réitérée par Ségolène Royal lors du débat de la primaire, manifestement électoraliste, s'est heurtée à l'hostilité de ses concurrents, François Hollande ayant indiqué qu'il ne croyait pas aux solutions administratives ni judiciaires, et Manuel Valls refusant de « corseter » les entreprises. C'est très bien que l'on signe ainsi l'acte de décès de l'autorisation administrative de licenciement. Mais rappelons aussitôt que la Fondation iFRAP demande au contraire depuis longtemps une modification de la loi, en l'occurrence de l'article 1233-3 du Code du travail, qui pourrait être ainsi libellé : « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de travail destinées à faire face à des difficultés économiques actuelles ou prévisibles, à des mutations intervenant dans la technologie, pour s'adapter au marché, à la concurrence ou encore pour assurer le redéploiement de l'entreprise. Le juge peut s'assurer de la réalité du motif invoqué, sans pouvoir se substituer au chef d'entreprise dans l'appréciation de ce motif en vue de la décision que ce dernier a été amené à prendre ». L'entrepreneur pourrait ainsi justifier sa réorganisation par la nécessité d'adaptation au marché ou du redéploiement de ses activités, et ce sans que le juge puisse se substituer à lui quant à l'opportunité d'y procéder, dès lors qu'il n'invoque pas un faux motif.

[1] Il y aurait aussi des difficultés purement juridiques : qui saisirait le tribunal, autrement que l'entreprise elle-même dans une procédure gracieuse donnant lieu à une décision dépourvue de l'autorité de la chose jugée ?