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Prime exceptionnelle aux salariés : une erreur dans tous les cas

On ne sait pas bien quelle est la mesure que prépare le Gouvernement : on est passé d'une prime obligatoire de 1000 euros aux salariés dont les entreprises distribuent des dividendes (formule François Baroin), à une prime toujours obligatoire semble-t-il dans les cas où les entreprises augmentent leurs dividendes (Xavier Bertrand), puis à une prime facultative que les entreprises seraient incitées à distribuer par une suppression ou une baisse des cotisations sociales (Christine Lagarde). Laurence Parisot vilipende à juste titre toute prime obligatoire, mais applaudit, à tort à notre sens, à la dernière formule qui est effectivement tout bénéfice pour les entreprises et leurs salariés.

Aux dernières nouvelles (le discours du Président de la République), il y aurait « obligation de négocier » pour les grandes entreprises, et pour les PME qui en particulier ne distribuent pas de dividendes ou très peu et peu souvent (17% d'entre elles chaque année), il y aurait incitation à accorder une prime dès lors que « le carnet de commandes se remplit ( ?) », par l'exonération de charges sociales. C'est une décision hautement politique, de celles qui ne se discutent pas eu égard à la proximité des échéances électorales. Même s'il est trop tôt pour apprécier un mécanisme encore très flou, il est certain que l'on nous prépare une nouvelle usine à gaz.

Avec Laurence Parisot on ne comprendrait pas que l'État, ou plutôt l'aveugle loi impérative, vienne prendre la place des entreprises pour décider ce qu'elles doivent faire de leurs profits (c'est curieux d'ailleurs, personne ne mentionne le cas où ces profits seraient simplement gardés en réserve…). C'est pourquoi le Président évoque l' « obligation de négocier », laquelle existe déjà. Dans quels cas ? Il n'est même pas certain que cette obligation serait limitée aux cas de distribution de dividendes. On ne comprendrait pas non plus ce que signifie l'idée de s'attacher aux entreprises qui augmenteraient leurs dividendes (supposons par exemple la société X qui distribue 0 une année, puis 5, puis 0 puis 5, et la société Y qui distribue 4 fois 2,5 : deux cas traités différemment ??). On est enfin d'accord avec François Chérèque qui souligne le risque d'inégalité entre les salariés, alors que seulement 30% globalement distribuent des dividendes, et plus généralement avec la critique des syndicats qui préviennent charitablement l'État, une fois n'est pas coutume, qu'il va créer des espoirs qui seront immanquablement déçus.

En tout état de cause, la politique de distribution de dividendes dans une entreprise répond à des impératifs de financement qui sont étrangers à ceux de la politique salariale. Rappelons encore une fois qu'en France, le total des dividendes versés aux actionnaires et des intérêts sur emprunts payés par les entreprises est constant (environ 10% de l'EBE) depuis des dizaines d'années, et dépend de l'opportunité qu'il y a à faire appel au marché plutôt qu'au système bancaire. Ces dernières années l'appel au marché a pris le pas sur l'autre. C'est sûrement pour de bonnes raisons, et il n'y a aucune raison que l'État s'immisce dans un tel choix entrepreneurial. Quant au partage de la valeur ajoutée dans les PME, comment le Gouvernement peut-il encore croire à cette vieille lune du créateur ou du chef d'entreprise qui s'enrichit aux dépens de ses salariés, comme si son impératif premier n'était pas de payer du mieux possible ces derniers, d'assurer l'efficacité de leur travail et d'éviter les conflits qui sont une catastrophe pour l'entreprise qu'il dirige ?

Enfin, et ce n'est pas le grief le moins important, il est inopportun d'inventer dans la France d'aujourd'hui un nouveau moyen de distribuer du pouvoir d'achat par une simple mécanique keynésienne financée par une nouvelle niche fiscalo-sociale. Les exemptions de cotisations ne font que se multiplier : sur les bas salaires, sur les heures supplémentaires, sur les travailleurs saisonniers, sur toute la filière de la pêche et de l'agriculture bientôt, sans compter les niches particulières portant sur des éléments de rémunération, sur l'épargne salariale etc. Et l'on voudrait encore ajouter des exemptions sur une prime qui n'est qu'une augmentation de salaire (serait-elle d'ailleurs constitutionnelle au regard de l'égalité devant l'impôt ?) ?