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Loi travail, les propositions de la CGT. Un autre monde

La ministre du Travail a finalement reçu les syndicats opposés à sa réforme. La CGT a publié le 17 juin ses propositions alternatives. Lesquelles n’ont été publiées nulle part (excepté sur le site de la CGT), ni commentées par quiconque, que ce soit les médias ou le gouvernement. Silence sur toute la ligne. Pendant ce temps tout le monde se passionne sur le point de savoir si une manifestation peut être limitée au droit de tourner en rond autour d’un bassin. Quelles qu’elles soient, ces propositions de la CGT constituent quand même le cœur du sujet. Les voici. Chacun pourra juger, et revenir sur terre.

En effet, avec de telles propositions, l’entreprise n’aurait plus aucune liberté en dehors de ce qui est prévu par les accords de branche, et l’on reviendrait même en arrière sur toutes les avancées acquises depuis 2008 concernant la compétence des accords d’entreprise. Par ailleurs disparaîtraient les référendums d’entreprise, les accords défensifs et offensifs de flexibilité introduits par la loi de 2013, et le Comité d’entreprise obtiendrait un droit de véto discrétionnaire sur les licenciements. Au total, le chef d’entreprise perdrait ses prérogatives au profit d’une régulation au niveau de la branche, d’une cogestion avec les syndicats qui ne dit pas nom, et du transfert de ses droits au profit du juge judiciaire en cas de difficultés.

On trouvera ci-dessous en encadré l’intégralité de la (longue) proposition de la CGT. Elle peut être résumée ainsi, sur les quatre principaux sujets concernés.

  • La primauté des accords d’entreprise.        

C’est à la branche de déterminer « ce qui relève de l’ordre des clauses impératives et ce qui relève de la négociation d’entreprises ». Si les entreprises veulent s’écarter du cadre ainsi fixé, c’est la commission de branche qui jugera, après avoir effectué « un contrôle en légalité mais aussi en opportunité c’est-à-dire vérifié que les concessions réciproques sont équilibrées, que le contexte économique et social justifie une telle dérogation, qu’il n’y a pas d’atteinte à la santé des salariés », et en ayant « accès aux données économiques », et droit de recours à des « experts » ainsi qu’à une « assistance juridique ». De plus, les IRP des entreprises concurrentes de la branche pourront « saisir la commission de branche sur tout ou partie d’accord d’entreprise jugé dérogatoire, ce qui n’exclut pas pour autant un recours en justice ». La commission de branche doit « fonctionner sur le modèle du Comité d’entreprise »,  et « seuls les membres des organisations syndicales ont droit de vote ».

Dans les TPE, « les accords d’entreprises négociés par les salariés mandatés, ne seront validés que lorsqu’ils seront signés par des mandatés dont les organisations sont majoritaires dans la branche ».

Enfin, last but not least, la refonte totale du code du travail, prévue par le projet de loi, doit procéder de la même articulation.

  • Les référendums d’entreprise.

Conséquence de la proposition précédente, ils deviennent sans objet.

  • Les accords de préservation et de développement de l’emploi (article 11).

Prévus par l’ANI de 2013 et transcrits dans la loi, ils ont échoué selon la CGT parce qu’ils ont « accru la flexibilité ». Les accords dits offensifs, demandant de « fortes concessions aux salariés », sont à proscrire car «  ils s’oppose[nt] frontalement à la notion de responsabilité sociale de l’entreprise ».

  • Les licenciements économiques (article 30).

La réalité du motif devrait être « examinée par le juge judiciaire en amont », et le comité d’entreprise disposer d’un « droit de veto sur la question des suppressions d’emploi ».

Un autre monde

Le projet d’entreprise de la CGT est assez clair. Il nous transporte dans un monde qui par certains aspects rappelle celui des kolkhozes, où l’indépendance des exploitations disparaît derrière les pouvoirs du groupe, rôle joué ici par la branche, qui acquiert une mission « normative » de régulation sociale. C’est la branche qui détermine les normes, et tout écart est de la seule compétence d’une commission, qui fonctionnant comme le Comité d’entreprise, est entre les mains des seules organisations syndicales, avec droit de regard (et d’opposition ?) collectif des concurrents.

Disparaissent le référendum d’entreprise ainsi que les accords défensifs et offensifs portant sur l’emploi, toute flexibilité étant interdite.

Fait très important à souligner, la CGT prend soin d’indiquer que le schéma décrit pour le rôle de la branche et de sa commission devrait être valable pour l’intégralité de la refonte du Code du travail, et non pas seulement pour la seule matière du temps de travail, visée par l’article 2 du projet de loi. C’est ainsi un total retour en arrière que propose la CGT y compris dans les matières qui font d’ores et déjà l’objet des accords d’entreprise.

Quant au pouvoir des entreprises en cas de difficultés économiques, il disparaît derrière la décision préalable du juge judiciaire (ce qui est une innovation par rapport à l’autorisation administrative de licenciement), qui se double, de façon d’ailleurs contradictoire, d’un droit de véto du Comité d’entreprise. Disparaît donc totalement le droit de licencier, même avec le risque d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Inutile d’aller plus loin. La France veut-elle sérieusement d’un pareil modèle ? Pourquoi le débat n’est-il pas ouvert largement auprès du public en en expliquant clairement les données et conséquences? Au lieu de se lancer dans des tractations mystérieuses  dont les Français sont exclus, un effort de communication et de pédagogie ne serait-il pas le meilleur moyen de justifier de l’opportunité de la loi travail et l’impossibilité d’un consensus avec les syndicats opposants ?

Propositions de la CGT remises à la ministre du Travail et du dialogue social le 17 juin 2016

Vendredi 17 juin 2016 , par Alessandro Vitagliano

Gagner un code du travail digne du 21ième siècle protecteur pour les salariés et sécurisant pour les entreprises nécessite de porter à la discussion les articles du projet de loi qui structurent à eux seuls l’intégralité du texte à savoir ceux concernant la primauté de l’accord d’entreprise, les référendums d’entreprises, les accords dits de préservation et de développement de l’emploi, les licenciements économiques, la médecine du travail, le remboursement des indus par les privés d’emplois.

La CGT avance des propositions concrètes :

Favoriser la négociation collective, instaurer l’accord majoritaire à tous les niveaux de la négociation, revoir les règles et conditions de la négociation collective (article 2)

La loi 
En préambule, le socle légal doit être élargi car il s’agit de remettre au centre la protection de l’intégrité physique du travailleur.

Il nous faut donc revisiter les définitions d’heures d’équivalence, de temps de pause, d’amplitudes horaires, de forfait jours, de temps de trajets, de travail de nuit, de travail dominical, d’astreintes et le droit aux congés payés.

Pour chacune de ces définitions, la loi fixera un plancher et/ou plafond en termes de rémunération et de modalités d’organisation du temps de travail.

L’accord de branche 
Le rôle de régulation sociale de la branche doit être réaffirmé tout en acquérant une fonction « normative ».

Les branches définiront, dans le respect des planchers et des plafonds légaux, les marges de négociation possible dans les entreprises.

  • Les accords de branche seront validés majoritairement. La majorité se calculera en fonction de la représentativité patronale et salariale.
  • Toutefois si un accord nécessite un réaménagement du cadre légal il sera alors soumis au parlement.

De fait, les branches distingueront ce qui relève de l’ordre des clauses impératives et ce qui relève de la négociation d’entreprises.

Les accords d’entreprises
Les accords d’entreprise devraient avoir pour but de limiter la subordination en traçant une frontière claire entre temps de travail et temps de vie personnel.

  • Les accords d’entreprise seront négociés dans les limites fixées par la branche et devront alors être validés par les OS majoritaires.
  • Soit les entreprises souhaitent obtenir des dérogations au cadre fixé par la branche, dans le respect des limites légales. Auquel cas, la demande sera adressée à la Commission de Branche, celle-ci devra effectuer un contrôle en légalité mais aussi en opportunité c’est-à-dire vérifier que les concessions réciproques sont équilibrées, que le contexte économique et social justifie une telle dérogation, qu’il n’y a pas d’atteinte à la santé des salariés. Pour cela, les membres de la commission de branche doivent avoir accès aux données économiques, pouvoir se faire assister d’experts (création d’un droit d’expertise au niveau de la branche) et disposer d’une assistance juridique en plus de leurs moyens habituels de fonctionnement.

La commission de branche doit donc fonctionner sur le modèle du Comité d’Entreprise, seuls les membres des organisations syndicales ont droit de vote.

Si les entreprises ne soumettent pas la demande dérogatoire à la commission de branche, les IRP des entreprises du secteur d’activité ou de la branche pourront saisir la commission de branche sur tout ou partie d’accord d’entreprise jugé dérogatoire, ce qui n’exclue pas pour autant un recours en justice.

Cela nécessite de fixer au préalable clairement le périmètre de la branche.

L’efficience du rôle des commissions de branche ne pourra être assurée que si le travail de regroupement des branches est conduit selon la logique du mieux disant.

Afin de renforcer la négociation d’entreprise et d’en garantir sa loyauté, un certain nombre de droits nouveaux doivent être créés : Heures d’information syndicale sur le temps de travail, accès intranet, droit à l’expertise, processus de consultation uniquement à l’initiative et sur proposition des syndicats.

S’agissant des négociations dans les TPE, l’idéal serait le renforcement des CPRI dans leurs rôles et moyens.

A défaut, et même si le mandatement ne semble pas pertinent, au minimum le salarié mandaté par une organisation représentative dans la branche, pourra se faire accompagner par un membre de cette organisation syndicale lors des négociations. Les accords d’entreprises négociés par les salariés mandatés, ne seront validés que lorsqu’ils seront signés par des mandatés dont les organisations sont majoritaires dans la branche.
La refonte totale du code du travail, prévue par le projet de loi, doit procéder de la même articulation.

Le référendum d’entreprise (article 10)
Cette question étant traitée dans la discussion autour de l’article 2, l’article 10 n’a plus de fondement.

Les accords de préservations et de développement de l’emploi (article 11)
L’évaluation des accords de maintien de l’emploi issus de de l’Ani de 2013 et de la loi ont montré l’échec de ces accords tant du point de vue du nombre d’accords signés que d’emplois sauvegardés. Les raisons en tiennent notamment aux dispositions introduites par la loi de sécurisation de l’emploi de 2013 qui ont accru la flexibilité.

La logique d’accord offensif demandant de fortes concessions aux salariés, alors même que l’entreprise se porte économiquement bien s’oppose frontalement à la notion de responsabilité sociale de l’entreprise.

Les licenciements économiques (article 30)

A la place de qualifier précisément ce qu’est une difficulté économique réelle, nous proposons que la question de la réalité du motif puisse être examinée par le juge judiciaire en amont et avec une procédure accélérée. Le rôle des IRP doit également être renforcé. Le comité d’entreprise doit être doté d’un droit de véto sur la question des suppressions d’emploi (droit suspensif sur les licenciements économiques). Le fait de discuter des modalités d’un licenciement économique sachant que toutes les parties sont convaincues de la réalité des difficultés économiques rencontrées, facilitera le processus pour tous.

Conforter la médecine du travail (article 44)

La loi de 1946 sur la médecine du travail institue un contrôle étroit de la puissance publique qui repose sur trois grands principes : son action se déploie dans l’intérêt exclusif du travailleur ; le travail étant facteur de santé, la possibilité de maintien au travail est l’objectif prioritaire de la médecine du travail ; toute décision qui a une incidence sur la santé du salarié est arbitrée par la puissance publique.

La visite médicale d’embauche doit être rétablie pour l’ensemble des salariés ainsi que la périodicité. La réserver aux seuls salariés sur un poste à risque particulier revient à instaurer un permis d’embaucher dédouanant la responsabilité de l’employeur et dévoie les grands principes régissant l’instauration de la médecine professionnelle.

Renforcement de la médecine préventive, indépendante et multidimensionnelle : La médecine professionnelle doit être rattachée à la sécurité sociale assurée par les cotisations employeurs. La possibilité de recours contre une décision de la médecine professionnelle devant l’inspecteur du travail doit être également rétabli.

Le remboursement des indus par les privés d’emploi
Le projet de loi prévoit également que Pôle emploi n’aura plus besoin de saisir le juge et pourra prélever directement sur les allocations chômage des mois suivants le trop-perçu. En conséquence, si pôle emploi a fait une erreur, c’est au demandeur d’emploi d’engager une procédure judiciaire pour obtenir à nouveau le versement. Dans tous les cas, le demandeur d’emploi peut se retrouver d’un mois sur l’autre avec une baisse très importante de ses ressources. Pour ces raisons nous demandons la suppression de l’article.

D’autres points du projet de loi demeurent à discuter. Ils feront l’objet de propositions complémentaires de la CGT.

Montreuil le 17 juin 2016