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La vérité sur les dividendes

Avec la publication d'une étude chiffrant à plus de 1.000 milliards le montant, en forte augmentation, des dividendes versés par les plus grandes sociétés mondiales, et alors que les plus hautes autorités de l'Etat se pressent pour ouvrir le territoire français aux investisseurs étrangers dont les capitaux sont censés ne leur inspirer aucune « peur », l'occasion se présente de faire le point sur les dividendes versés par les sociétés françaises. Et d'effacer certaines caricatures absurdes comme celle du journal l'Humanité écrivant en octobre passé que "le "capital vampirise sans cesse davantage les richesses créées par le travail", ajoutant que les dividendes pèsent maintenant "9% de la richesse nationale" contre 3% en 1980, ce qui n'a aucun sens.

Et d'abord, les chiffres. Nous présentons successivement plusieurs tableaux qui permettront de recadrer le sujet et de se rendre compte que les chiffres sont très loin des centaines de milliards citées par les adversaires du capitalisme.

Le monde et la France.

PIB mondial (2012) : environ 72.000 milliards de dollars.

Dividendes versés par les 3.000 plus grandes sociétés mondiales (2013) : 1.030 milliards de dollars, dont :

  • Amérique du Nord : 37% avec une croissance de 49% sur 5 ans
  • Royaume-Uni : 11% (soit environ 100 milliards de dollars)
  • Europe hors RU : 22%, avec une croissance de 8% sur 5 ans (-1% depuis 2009) dont France (premier pays du Vieux continent) 50 milliards de dollars (soit environ 36,5 milliards d'euros) pour les 38 plus grandes sociétés, c'est-à-dire le CAC 40 plus trois sociétés [1]

Source Henderson Global Investors

Les dividendes en France

PIB (valeur ajoutée) des SNF (2012) [2] : 1.018 milliards d'euros, sur un total de 2.032 pour l'économie nationale.

Dividendes versés par les SNF : 60,4 milliards d'euros

  • dont CAC 40 : 36,5 milliards d'euros. Les entreprises du CAC 40 réalisent un chiffre d'affaires global mondial de 1.324 milliards d'euros (presque les deux-tiers du PIB français), leur résultat net est de 73,4 milliards, elles emploient 4,1 millions de salariés dans le monde, dont 41% en France. Leur actionnariat est (2012) non résident à 46,3%, et leur activité est en moyenne aux deux tiers située en dehors de France.

Source : Insee et comptabilité nationale

Part des résidents français dans les dividendes des sociétés françaises.

Globalement, les sociétés françaises cotées sont détenues (chiffres 2012) à hauteur de 43,3% par les non-résidents, donc 56,7% par les résidents français (la part des résidents n'est même que de 53,7% pour le CAC 40, l'actionnariat des non-résidents ayant augmenté de 2% par an ces dernières années. Avec 15,3% les non-résidents américains détiennent une part presque égale à celle des européens (18,9%).

Montant des dividendes perçus par les résidents français (2012)60,4*56,7% = 34,2 milliards d'euros
Montant des dividendes perçus par l'Etat [3] (2012) 4,6 milliards d'euros
Reste aux résidents hors Etat29,6 milliards d'euros
Dont part des résidents (y compris Etat) dans les dividendes provenant du CAC 40 36,5*53,7% = 19,6 milliards d'euros
source : Banque de France
Grandes valeurs comptables pour les SNF en 2012 (en Mds €)
Valeur ajoutée totale1.018
Salaires et traitements chargés 690
Impôts sur la production 56,5
Excédent brut d'exploitation 289
Excédent net d'exploitation 123
Dividendes 60,4

Répartition de l'EBE (y compris épargne salariale), telle que calculée par l'INSEE dans le rapport Cotis de 2009 sur les résultats 2007 (en % du total)

Epargne salariale4,8
Revenus distribués 24,4
Intérêts versés 9,3
Impôt sur les sociétés 13,8
Autres 9,1
Epargne des entreprises 38,6
Total100

On voit que les revenus distribués, qui sont composés en très grande majorité des dividendes, ne représentent que 24,4% de l'EBE, et que l'épargne salariale est à elle seule égale à environ un cinquième des revenus distribués.

Conclusion

Les dividendes, compte tenu des valeurs auxquelles ils s'appliquent, n'atteignent nullement des sommets, puisque les résidents français hors Etat n'ont perçu en 2012 que 29,6 milliards d'euros, dont seulement 19,6 milliards en provenance du CAC 40, Etat compris. Il faut bien entendu soustraire de ces montants les prélèvements sociaux et fiscaux dont le taux maximum -très élevé- est d'environ 60% pour les contribuables qui détiennent des actions en direct. On est bien loin des sommes complaisamment citées par les adversaires du capitalisme, bien loin des ordres de grandeurs des autres sources de revenus, comme des économies à réaliser, et aussi très loin de penser y trouver une manne quelconque et nouvelle pour les crochets du fisc.

Au contraire, puisque les capitaux sont, avec le travail, la source essentielle de la croissance et ce dont nos entreprises ont grand besoin, on peut trouver que les dividendes, qui sont absolument nécessaires pour rémunérer les capitaux, n'ont pas l'ampleur permettant d'attirer suffisamment les investisseurs étrangers aussi bien que français. Il faut en tout cas qu'ils retrouvent le niveau qu'ils ont perdu depuis 2009 en Europe continentale, à la différence des progressions que l'Amérique du Nord et les Etats émergents connaissent actuellement.

Autre réflexion, l'imbrication totale de notre économie nationale avec celle du monde entier. Cela s'applique aux échanges financiers comme aux échanges commerciaux, puisque près de la moitié de nos capitaux d'entreprises sont détenus par des étrangers et que nos fleurons du CAC 40 n'ont, pour les 35 d'entre eux qui sont français, que le lieu de leur siège social et leur nationalité de français en majorité. Moins que jamais nous pouvons nous permettre de nous éloigner des standards internationaux – et plus que jamais nous devons alléger la fiscalité applicable aux revenus financiers perçus par des résidents si nous voulons que nos nationaux aussi participent à l'essor de nos entreprises.

Enfin, on ne peut pas laisser dire comme l'Humanité (citation au début de l'article) que le capital vampirise les richesses au point que les dividendes pèsent pour 9%de la richesse nationale. Ce terme ne peut pas signifier autre chose que le PIB, qui représente la richesse créée en une année. En 2012, les 60 milliards de dividendes sont donc à rapprocher des 2032 milliards du PIB de l'année, soit non pas 9% mais 3%, précisément le même chiffre que celui que retient l'Humanité pour1980, donc sans variation. Les seules données que l'on puisse comparer sont les coûts respectifs du capital et du travail, à savoir 60 milliards pour l'un et 690 milliards pour l'autre (hors épargne salariale), soit 8,7% en 2012. Quoi d'extraordinaire ? On ne peut faire mieux pour revenir à la raison que de citer les conclusions du rapport demandé en 2009 au président Cotis de l'INSEE : « On constate par ailleurs que les comptes financiers des SNF ne mettent pas en évidence une augmentation tendancielle de la rémunération des actions et des autres participations depuis le début des années 1990, qu'on y incorpore ou non les plus-values. La montée de la part du financement par actions se traduit en effet par une montée progressive des versements de dividendes en substitution des versements d'intérêt. Les dividendes ont ainsi fortement augmenté en points de PIB, dans la mesure où le ratio capitalisation boursière/PIB progressait lui-même fortement. » Comme on le voit cette montée des dividendes a deux causes particulières : la substitution des fonds propres aux emprunts et la hausse corrélative des capitaux à rémunérer.

[1] 5 des sociétés du CAC 40 ne sont pas des sociétés françaises.

[2] Sociétés non financières, les seules qui soient pertinentes ici. Rappelons que le PIB est aussi essentiellement composé des valeurs ajoutées des ménages, du secteur non marchand et pour une faible part des sociétés financières.

[3] Lequel maximise les profits qu'il peut attendre de ses participations, puisqu'il se fait distribuer 77% des 5,9 Mds de profit, ce qui est tout à fait hors normes, et obtient une valorisation de la capitalisation boursière de 6% contre 3,5% généralement.

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