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La flexibilité, ce n'est pas encore ça !

L'échec prévisible et symbolique de l'accord sur le maintien de l'emploi.

On vient de nous apprendre que la disposition sur le maintien de l'emploi incluse dans l'ANI du 11 janvier 2013 et retranscrite – après quelques modifications - dans la loi sur la sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013, n'avait fait l'objet que de… quatre applications depuis son entrée en vigueur. Un échec hélas prévisible, car cette disposition, bien loin d'apporter la souplesse nécessaire que l'on peut attendre d'une loi destinée à promouvoir la flexibilité dans les rapports de travail, ne fait que multiplier les pièges. Échec prévisible, et symbolique aussi de l'incapacité, malgré les beaux discours dont nous sommes abreuvés, à apporter une quelconque simplification dans la réglementation.

L'article 17 de la loi du 14 juin 2013 a pour objet de permettre d'imposer aux salariés, sous condition de la signature d'un accord d'entreprise, une modification de la durée du travail et corrélativement de la rémunération. Mais le but de la loi, au contraire de la mise en place d'un nouveau dispositif appelé à généraliser la flexibilité afin d'éviter les licenciements n'est que d'instituer, d'un point de vue purement défensif, une soupape de sûreté en cas de circonstances exceptionnelles. D'où une avalanche de conditions d'application dont il était prévisible qu'elles feraient fuir les employeurs. Voici en encadré ce que nous en disions déjà en mars 2013.

Ce que nous en disions en mars 2013, en comparant France et Allemagne.

A partir de l'entrée en vigueur de la loi transposant l'article 18 de l'ANI du 11 janvier 2013, et sous réserve de sa transcription conforme dans la loi, un accord majoritaire d'entreprise va pouvoir s'imposer aux salariés. De nombreuses conditions sont exigées : existence de graves difficultés conjoncturelles, accord syndical majoritaire, durée maximale de 2 ans, pas d'effet possible sur les rémunérations jusqu'à 1,2 Smic, obligation pour les dirigeants salariés de participer aussi aux efforts demandés, interdiction de procéder à des licenciements économiques pendant la durée de l'accord, dommages-intérêts en cas de non-respect par l'employeur, surveillance par les tribunaux qui peuvent suspendre l'accord. On notera en particulier que cette disposition ne vise que les difficultés conjoncturelles, c'est-à-dire temporaires et ne pourra s'appliquer en cas de réformes structurelles et définitives. D'autre part, la procédure est compliquée à mettre en oeuvre dans les petites entreprises non dotées d'un comité d'entreprise et encore plus en l'absence de délégués du personnel. Dans ce dernier cas en effet, un salarié doit recevoir un mandat spécial de négociation d'une organisation syndicale représentative. Il est peu probable que les petites entreprises fassent appel à la disposition en question. Il faudrait alléger les conditions et restrictions apportées à la mise en oeuvre de ces accords majoritaires : ne pas les limiter au cas de « graves difficultés conjoncturelles » en faisant une distinction artificielle entre difficultés conjoncturelles et problèmes structurels, permettre l'adaptation constante des accords majoritaires sans en faire un système figé soumis au contrôle et sanctions des tribunaux qui n'ont pas de raison d'intervenir, et sans interdire les licenciements économiques pouvant s'avérer nécessaires malgré l'existence de l'accord, supprimer l'obligation de nature idéologique d'adaptation du salaire des dirigeants. Une autre question se pose à propos de l'effet du refus d'un ou plusieurs salariés de modifier leur contrat. Dans ce cas, l'avant-projet de loi stipule que « leur licenciement constitue un licenciement individuel pour motif économique » (à la différence de la réduction prévue par l'article 1222-8, voir ci-dessus). Mais ce projet a retiré de l'article 18 de l'ANI la mention selon laquelle « la cause réelle et sérieuse » du licenciement est « attestée » par l'accord intervenu. Il est probable que cette suppression correspond au fait que l'on ne peut pas interdire de contester l'existence de la cause réelle et sérieuse devant les tribunaux. La question est alors de savoir si le seul refus du salarié de modifier son contrat peut justifier le licenciement, ou si l'employeur devra établir la nécessité du licenciement individuel au regard de la compétitivité de l'entreprise…

En Allemagne : Ce sont les accords Volkswagen de 1993, une décennie avant les lois Hartz, qui ont fait figure de révolution par leur ampleur : 101 000 salariés ont été concernés à partir de 1994 par 200 variantes d'horaires flexibles, dont la semaine de quatre jours, avec des réductions de salaires allant de 10 à 20 %. Le syndicat IG-Metall, à l'origine opposé aux réductions de salaires, s'y est résolu pour éviter des licenciements massifs, cependant que la direction du groupe voulait surtout éviter ces licenciements, qui sont difficiles et coûteux en Allemagne (on évaluait à l'époque la dépense à 40 000 DM par salarié). Cet exemple montre que l'Allemagne a toujours eu une préférence pour le maintien de l'emploi, pour lequel les partenaires sociaux sont prêts à faire de grandes concessions, à la différence de la France qui affiche, jusqu'à présent, une « préférence » pour le chômage. En juillet 1994, une nouvelle loi sur le temps de travail intervient pour donner une plus grande latitude aux partenaires sociaux pour définir les horaires de travail, y compris la nuit, les temps de repos, le travail du dimanche dont l'interdiction n'est plus que de principe compte tenu du nombre d'exceptions apportées… Les partenaires sociaux mettent immédiatement à profit cette nouvelle liberté et inventent les « corridors » de temps de travail. Le secteur de la chimie ouvre la voie, et il n'existe plus dans ce secteur de durée de travail fixe mais un corridor de 35 à 40 heures, qui permet un retour durable vers la semaine de 40 heures, sans impliquer le versement d'heures supplémentaires ou, inversement, l'introduction de la semaine de 35 heures, sans compensation salariale. La durée maximale étant fixée à 10 heures par jour, six jours sur sept, certaines semaines, les salariés peuvent être amenés à travailler jusqu'à 60 heures, quitte à récupérer du temps libre plus tard dans l'année, voire l'année suivante ; certains projets prévoient, en effet, l'étalement du calcul du temps de travail sur trois ans. Et le tout se combine avec des rémunérations et des garanties contre les licenciements économiques toutes deux variables.

Ce n'est donc pas encore maintenant qu'on pourra parler de flexibilité en France. Il est symbolique du dialogue social français que, pour passer dans la loi, les employeurs aient dû consentir aux syndicats un ensemble de conditions qui rendaient la disposition sans intérêt. Avec le recul d'une année on a pu aussi remarquer que les accords importants concernant les salaires et la durée du travail ont été le fait de Renault et de PSA. Carlos Ghosn qui avait d'ailleurs commencé ses négociations en interne avec les syndicats antérieurement aux discussions de l'ANI, s'est désintéressé manifestement de ces dernières et n'a en rien placé l'accord d'entreprise de Renault sous un quelconque texte d'application de la loi du 14 juin 2013.

Dans le même ordre de dispositions destinées à faciliter le maintien dans l'emploi, figurent celles relatives au chômage partiel – on parle maintenant d' « activité partielle ». Ce dispositif a été revu en profondeur avec l'ANI et les négociations ultérieures. Il a été simplifié, mais il ne semble pas que la France ait institué quoi que ce soit d'aussi efficace que le kurzarbeit allemand. On relèvera notamment que l'indemnisation que l'employeur est en droit de percevoir est comprise entre 7 et 8 euros quel que soit le montant du salaire. Si ce chiffre n'est pas négligeable au voisinage du smic, n'est-il pas notoirement insuffisant au niveau du coût du travail moyen, environ 35 euros ? Il est trop tôt pour juger d'après les statistiques existantes, mais les premières disponibles ne sont pas encourageantes (effectif total de 61.759 au deuxième trimestre 2013). Voici encore, après tous les abattements sur les charges, une disposition dont l'application est réservée aux employeurs de très bas salaires, ce que nous estimons être une erreur du présent gouvernement.