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La "Déclaration des droits du travail" : quelles innovations ?

Les dernières négociations sur la loi Macron ont été pertubées, cette semaine, par la publication d'une tribune et d'un essai sur la réforme du code du travail par Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen qui dénoncent un code trop lourd, trop complexe et proposent de le rationaliser autour de 49 articles fondateurs. Si l'approche des auteurs va dans le bon sens, les propositions manquent de précision : "Tout salarié a droit à un salaire lui assurant une vie libre et digne. Le salaire est proportionné à l’ampleur et à la qualité du travail" oui, mais quel impact sur le salaire minimum ? Cela permet-il de prendre en compte la réalité économique de l'entreprise ? Ce principe "fondateur" devrait-il aussi venir remplacer les grilles salariales de la fonction publique ? Voici les accords/désaccords de la Fondation iFRAP avec la "Déclaration des droits du travail" pour alléger le code du travail et relancer l'emploi.
 

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Observations/propositions de la Fondation iFRAP

Observations/propositions de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen

Inflation normative

Le code du travail a triplé depuis 1985 jusqu’à atteindre 3.500 pages. Les textes régissant les instances représentatives du personnel sont ainsi passés de 203 à 1.181 articles.

De 1974 à 2015, le code du travail est passé de 600 à 8.000 articles.

Accord : L’augmentation incontrôlée des articles du code du travail a créé une complexité où ni les employeurs, ni les employés ne peuvent s'y retrouver et qui décourage les embauches.

Temps de travail

Mettre fin aux 35 heures et annualiser le temps de travail qui doit se négocier par branche et par entreprise. Ne plus demander l’accord individuel du salarié s’il y a un accord de l’ensemble du personnel. Toutes les entreprises doivent pouvoir utiliser des corridors de travail entre 35 et 40 heures par semaine sans déclencher les heures supplémentaires majorées (dans la limite de 2.000 heures annuelles dans le privé). 

La durée du travail doit être rendue flexible en permettant des « accords offensifs » négociés au sein de l’entreprise en cas de difficultés économiques.

Proposition 38 : La durée normale du travail effectif est établie par les conventions et accords collectifs et, à défaut, par la loi. Les heures de travail accomplies au-delà de la durée normale ne peuvent dépasser une limite fixée par convention ou accord collectif, ou à défaut, par décret. Le calcul de la durée normale de travail s’effectue par périodes hebdomadaires, sauf si les conventions et accords collectifs en disposent autrement.

Accord : Encore 53% des dirigeants de PME voient la suppression des 35 heures comme une priorité pour relancer les embauches. La loi n'a pas à fixer la durée légale du travail dont la négociation doit revenir aux branches professionnelles et aux entreprises, la loi doit se borner à uniquement fixer la durée maximale du travail (limitée à 48 heures par semaine dans l'Union européenne).

Quelques rares exceptions existent dans la législation pour augmenter ou baisser le temps de travail dans les entreprises en difficultés conjoncturelles mais pourquoi attendre qu'elles soient en si grandes difficultés pour introduire de la flexbilité ? 

Contrat de travail

Permettre le renouvellement du CDD deux fois et aligner son plafonnement sur les règles du CDD public, soit de 18 à 36 mois.

Proposition 9 : Le contrat à durée indéterminée est la forme normale de la relation de travail. Le contrat à durée déterminée permet de répondre aux besoins temporaires de l’entreprise.

Désaccord : La compétitivité des entreprises réside, entre autres, dans leur capacité à monopoliser leur force de travail en fonction de la demande du marché : on pense au contrat zéro heure au Royaume-Uni ou aux mini-jobs en Allemagne. Une option qui fait défaut en France où le recours au CDD est très limité et les licenciements redoutés par les employeurs (1 licenciement sur 4 se poursuit devant les prud’hommes).

Licenciement : la cause réelle et sérieuse

Il est urgent d’enserrer la liberté des juges concernant la cause réelle et sérieuse des licenciements, surtout ceux qualifiés d’économiques, dans des limites strictes respectant la règle suivant laquelle l’employeur reste seul juge de ses décisions et de leur opportunité, en interdisant aux tribunaux de se substituer à lui.

Proposition 25 : Tout licenciement requiert de l’employeur qu’il informe le salarié de son projet, recueille ses observations et dispose d’un motif réel et sérieux pour y procéder.

Manque de clarté de la proposition : L’actuel problème réside dans l’absence de définition légale de la cause réelle et sérieuse laissant la jurisprudence se construire au fil des décisions des tribunaux.

Un exemple parlant : aujourd’hui qu'un employeur licencie  pour maintenir la rentabilité d'un site n'est pas considéré comme une cause réelle et sérieuse de réorganisation si le sort de l'entreprise dans sa globalité n'est pas menacé.

Travail dominical et travail de nuit

Autoriser les horaires d’ouverture du travail de nuit et du dimanche, quel que soit la région, le secteur ou la branche professionnelle est une réforme à envisager immédiatement pour libérer l’emploi.

Proposition 35 : Il est interdit de faire travailler un salarié plus de six jours par semaine. Le repos hebdomadaire est donné le dimanche sauf dérogation dans les conditions déterminées par la loi.

Proposition 36 : Le travail de nuit n’est possible que s’il est nécessaire pour assurer la continuité d’une activité économique ou d’un service d’utilité sociale et si la protection de la santé et de la sécurité du salarié est prise en considération. Sa mise en place requiert une convention ou un accord collectif, ou, à titre exceptionnel, une autorisation administrative.
 

Manque de clarté de la proposition/Désaccord : « sauf dérogation dans les conditions déterminées par la loi », la proposition de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen fait ici, plus ou moins discrètement, allusion à la loi Macron qui prévoit l’élargissement de l’ouverture des commerces à 12 dimanches par an et tous les dimanches dans des zones déterminées par la loi (dans les 12 plus grandes gares françaises, les zones commerciales, les zones touristiques et les zones touristiques internationales). Une réforme qui va dans le bon sens mais concerne principalement Paris et les villes touristiques (Cannes, Nice, Deauville) : on est donc loin d’une généralisation vis-à-vis de tous les Français.

Smic et rémunération

Alléger le coût du travail en France passera par la négociation de plusieurs Smics négociés par branche par les entreprises et les syndicats.

Proposition 42 : La rémunération du salarié est mensuelle et indépendante, pour un horaire de travail effectif déterminé, du nombre de jours travaillés par mois.

Proposition 43 : Les sommes dues à titre de rémunération sont saisissables ou cessibles dans les proportions et selon des seuils déterminés par décret.

Manque de clarté de la proposition : Aucune mention du smic dans la publication de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen, nous en déduisons qu’ils ne proposent pas sa modification. Pourtant, le niveau du smic en France (le plus élevé d’Europe) fait grimper le coût du travail pour les employeurs : 2.922 euros  en France contre 2.015 euros au Royaume-Uni (base 40 H au niveau du salaire minimum x 1,3) [voir notre tableau comparatif].

Représentation syndicale et seuils sociaux

Remonter toutes les obligations de seuil de 10 salariés à 20 et toutes celles de 50 à 250 ... d’autant qu’une réforme des seuils sociaux ne coûte rien budgétairement.

Proposition 49 : Tout salarié a droit à voir ses intérêts défendus par un syndicat de son choix.

Proposition 50 : Tout salarié a droit à participer à l’élection d’un représentant qui assure la défense de ses intérêts dans l’entreprise. Les modalités de l’élection du représentant et ses pouvoirs sont fixés par la loi.

Désaccord/Pas de proposition : En tout 1.181 articles du code du travail régissent les instances représentatives du personnel, obligatoires dès l’embauche du 11ème salarié. La rigidité de la représentation syndicale accompagnée des obligations sociales (à l'embauche du 25ème salarié : installation d'un réfectoire au sein de l'entreprise / à l'embauche du 50ème salarié : élection du comité d'entreprise et désignation d'un représentant syndical siégeant au CE ; désignation d'un délégué syndical pour les organisations représentatives et désignation d'un représentant de la section syndicale (pour les syndicats non représentatifs, etc. - voir la liste complète des obligations)

À force de créer de la complexité, de maintenir un dialogue social compliqué entre les instances de représentation et les employeurs, les seuils sociaux et leurs obligations bloquent la création de 70.000 à 140.000 emplois.