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Conseil de l’évaluation des fraudes fiscales et sociales : les propositions de la Fondation IFRAP

Annoncé au printemps 2023, le premier Conseil de l’évaluation des fraudes fiscales et sociales s'est tenu le 10 octobre 2023, présidé par le ministre chargé des Comptes publics, Thomas Cazenave, et auquel la Fondation IFRAP a participé. S’il faut saluer que la politique de lutte contre fraude sociale soit, enfin, aussi prise au sérieux que celle contre la fraude fiscale et qu’un consensus se dégage autour de l’estimation de ces fraudes, beaucoup de travail reste à faire.   

10 milliards de fraudes aux prestations sociales

La semaine dernière, la Cnam présentait son bilan en termes de lutte contre la fraude pour 2022 : cette année, l’organisme avait détecté 316 millions de versements indus dont 68% du fait d’une fraude ou d’erreurs des soignants, 21% d’une fraude ou d’erreurs des assurées et 11% d’autres sources (principalement des erreurs de l’administration puisque les employeurs ne représentent que 1% des montants frauduleux détectés).

En 2023, de janvier à juin, la Cnam estime avoir prévenu 150 millions d’euros de fraude détectée et stoppée (pour 3 700 procédures) pour un objectif annuel fixé à 380 millions d’euros, puis 500 millions d’euros de fraude sociale détectée et stoppée en 2024.  Jusqu’à présent, c’est la branche Famille qui était la plus efficace en termes de détection de la fraude avec 310 millions d’euros de fraudes détectées en 2019 (contre 120 millions en 2014). Mais attention, la notion même de fraude est encore difficile à caractériser pour les organismes de protection sociale : elle englobe la fraude intentionnelle, la simple omission ou encore, l'erreur administrative… mais la plupart des branches comptent également, la fraude « évitée » dans leurs données ce qui fausse les résultats.

De plus, si l’augmentation drastique des montants de la « fraude » détectée peut alerter, elle est, en réalité, normale puisqu’elle ne correspond qu’à l’augmentation de la détection de la fraude… qui reste encore très minoritaire. En effet, la Cour des comptes dans son rapport annuel relatif à la sécurité sociale 2023 rappelait que « pour les six estimations disponibles de l’assurance maladie, les préjudices liés à des fraudes et des fautes atteignent en cumul entre 1,1 et 1,3 milliard d’euros » qu’il convient d’après la Cour d’extrapoler « au regard du poids financier des prestations pour lesquelles les fraudes et fautes ne sont pas encore estimées » entre 3,8 et 4,5 milliards d’euros. Dans cette même étude, la Cour soulignait que « selon l’estimation la plus récente, la fraude aux prestations légales versées par les CAF s’élevait en 2020 entre 2,5 et 3,2 milliards d’euros », tandis que celle sur les retraites oscillerait entre 100 et 400 millions d’euros. Pour la Cour, le bilan total de l’estimation des fraudes sociales tourne donc autour de 6,4 et 8,1 milliards d’euros, mais il convient de noter que dans son allocution de présentation du rapport, le président de la Cour, Pierre Moscovici, parlait lui de 10 milliards d’euros.

En 2020, la Fondation estimait déjà la fraude aux prestations à 10 milliards d’euros

Ces estimations récentes confirment les travaux de la Fondation IFRAP qui estimait, en octobre 2020, la fraude aux prestations à 10 milliards d’euros. Pour cette estimation, la Fondation a analysé les données de la CNAF qui était capable de détecter que 0,44 % des versements effectués relèvent de la fraude, que 3,2 % des versements sont estimés frauduleux et que jusqu’à 8,1 % des versements sont potentiellement non dus.

Dans un premier temps, cela soulignait qu’il existe une marge de manœuvre pour lutter contre les versements suspects et que l’écart démontre bien que les données des administrations sur le sujet sont sous-exploitées.

Enfin, il faut souligner que les minimas sociaux concentrent le principal de la fraude puisque 78 % de la fraude estimée par la Cnaf concernent 3 minimas sociaux : le RSA, la prime d’activité et les aides au logement, pour une fraude estimée autour de 1,8 milliard d’euros sur une enveloppe globale de 34,4 milliards d’euros. Or, on compte plus de 60 aides non contributives de ce même profil pour une enveloppe totale de 125 milliards d’euros. Le taux de fraude estimée sur le RSA, la prime d’activité et les aides au logement tourne autour de 5,8 %.

En appliquant ce taux à toutes les aides non contributives, on trouve une fraude potentielle de 7,28 milliards d’euros… Considérons maintenant le taux d’indus estimé au sein de la branche Famille, il est de 8,1 % avec une concentration, une nouvelle fois, sur le RSA, la prime d’activité et les aides au logement. 

  • Ainsi, en appliquant ce taux à l’ensemble des aides non contributives, on trouve 10,1 milliards d’euros de versements potentiellement non dus.

10 milliards de fraudes aux cotisations sociales

En face, en décembre 2022, le Haut Conseil au financement de la protection sociale (HCFiPS) faisait état d’un manque à gagner en matière de cotisations/contributions s’agissant de la fraude relative au travail dissimulé, mais aussi des omissions intentionnelles (fraude) et des erreurs déclaratives résultantes des contrôles comptables d’assiette au sein du secteur privé entre 8,9 et 11,3 milliards d’euros. Ce qui témoigne de l’importance et de la gravité du volume de la « fraude » aux cotisations/contributions sociales.

Le travail dissimulé en tant que tel représenterait entre 1,7% et 2,1% des cotisations déclarées et éludées, soit entre 3,9 milliards d’euros et 5 milliards d’euros. S’y ajouteraient la fraude et les erreurs détectées par l’intermédiaire du contrôle d’assiette, soit un solde (entre trop-perçu et trop versé) compris entre 1,6 et 1,9 milliard d’euros. Au total le contrôle assuré sur le champ URSSAF pour les entreprises (hors indépendants et micro-entrepreneurs) identifierait entre 5,1 et 6,4 milliards de fraudes/erreurs aux contributions en 2021.

On doit y ajouter le coût des fraudes aux allocations chômage (UNEDIC) pour un montant compris entre 0,5 et 0,7 milliard d’euros auquel s’ajouterait la fraude aux cotisations des organismes complémentaires (Agirc-Arrco), soit entre 1,7 et 2,1 milliards d’euros.

Attention aux versements « non dus »

Si le sujet de la fraude sociale est de plus en plus débattu, celui des versements « non dus » reste fortement tabou. Par « non dus » ou indus, on entend le versement de prestations fait à tort, qui peut être la conséquence de règles législatives qui ont changé, d’une erreur de l’administration en charge du calcul ou du versement, ou encore de déclarations tardives ou inexactes du bénéficiaire. Ces indus se distinguent de la fraude qui, elle, suppose une intention volontaire de tromper. Problème, l’estimation des indus reste approximative : les données sont lacunaires et peu comparables entre branches.

Une estimation des indus pour la branche Famille montre que ceux détectés se situent autour de 2,8 milliards d’euros, mais montent jusqu’à 7,3 milliards d’euros en incluant la totalité des indus évalués, une estimation que seule la branche Famille est capable de faire. Les données permettent notamment de mettre en lumière le delta important qui existe entre détection et estimation : les indus estimés représentent ici 5 fois plus que les indus détectés. La proportion d’indus évalués est même de 29 % pour la prime d’activité ou 16 % pour le RSA.

Systématiquement les données de la branche Famille sont les plus abouties. À titre de comparaison, les indus détectés ne représentent que 0,5 % des prestations de la branche Maladie et c’est encore moins pour la branche Vieillesse (0,08 % sur les prestations totales, mais 1,9 % uniquement sur les minimas sociaux).

En appliquant le taux de la branche Famille, soit 5 fois plus d’indus évalués que d’indus détectés, on aboutit à près de 13,6 milliards d’euros de versements indus potentiels, sur ces 3 branches de la Sécurité sociale, soit un périmètre équivalent à 50 % des dépenses de prestations sociales.

Les propositions de la Fondation pour améliorer la lutte contre la fraude sociale :

Renforcer les méthodes et les outils de contrôle :

  • Obliger à une domiciliation bancaire en zone euro (y.c pour les retraites). Les bénéficiaires vivant à l'étranger devant donner des "preuves de vie" via identification par smartphone (aucun problème étant donné la diffusion du portable en Afrique et Asie). 

  • Demander la constitution de comptes bancaires dédiés distincts des comptes courants usuels pour l'ensemble des allocations sociales hors retraites.

  • Exploiter les réseaux sociaux en matière sociale comme en matière fiscale, afin de vérifier les domiciliations effectives en France des bénéficiaires des indemnités individuelles de solidarité versées en France.

  • Développer des aviseurs "sociaux" pour traquer la fraude organisée.

  • Etendre la création d'un délit d’incitation à la fraude fiscale à la fraude sociale également.

  • Améliorer le partage des données entre DGFiP/DGDDI, URSSAF et différentes branches de la sécurité sociale, en y incluant également Pôle Emploi (futur France Travail), ainsi que le ministère de la justice et le ministère de l'intérieur (cas de terroristes en prison continuant de toucher des minima sociaux...).

  • Harmoniser la méthode de calcul et la présentation des données en matière de fraudes pour toutes les branches (pas de consolidation des résultats avec la fraude évitée, présentation des versements non dus, etc). 

  • Fusionner la carte vitale et la carte d'identité (CNI) : exemple Belge.

  • Améliorer les liens entre l'Assurance-Maladie et le fisc pour lutter contre les fraudes aux prestations des professionnels (de santé, centre d'ophtalmologie, société d'audio-prothèses) qui bénéficient du ZRA (zéro reste à charge). 

     

Revoir la notion de « revenus sociaux » :

  • Mettre en place une imposition au 1er euro des revenus d'activité, de remplacement ou issus de la solidarité.

  • Centralisation de l'ensemble des critères d'attribution des prestations autour du revenu fiscal du bénéficiaire.

  • Instituer une obligation de déclaration au fisc des droits connexes versés par les autorités versantes.

  • Instituer une obligation de déclaration au fisc des indemnités versées de toutes natures par les organismes de sécurité sociale et les CCAS, y compris en vertu de l'action sociale.

  • Mise en place d'une obligation de saisine automatique des URSSAF en cas de fraude fiscale avérée; et inversement en matière de fraude aux prestations (car cela va minorer le revenu global rendant imposables les sommes versées) comme aux cotisations. 

Une réforme structurelle : l’instauration d’une allocation sociale unique, ASU.

Mettre en place une allocation sociale unique avec une fusion des aides sous conditions de ressources dont le cumul serait plafonné au niveau du Smic d’ici 2027. Il s’agit ici de garantir que le cumul des aides sociales ne dépasse pas les revenus issus du travail. Ainsi, sur le plus long terme, il faudra abaisser de plafond à 90 % du Smic, voire 80 %. 

En parallèle de l’instauration de ce plafond, l’idée serait d’augmenter le quotient familial jusqu’à 3 000 euros par enfant pour assurer la politique familiale.

Il s'en suivra des économies sur les prestations sociales que nous évaluons autour de 5 milliards d'euros sur les 125 milliards de prestations non contributives.

Les propositions de la Fondation pour améliorer la lutte contre la fraude fiscale :

Renforcer les méthodes et les outils de contrôle :

  • Recentrer le datamining sur les systèmes de fraude à la TVA;

  • Pérenniser le statut des aviseurs fiscaux - au-delà de 2024;

  • Améliorer la prise en compte des revenus perçus par le contribuable à 360;

  • Mieux contrôler les rémunérations des travailleurs saisonniers étrangers;

  • Améliorer le partage d'information entre la DGFiP et la DGCCRF;

  • Mieux lutter contre les entreprises éphémères grâce à l'intelligence artificielle, en empêchant leur immatriculation dès la constitution des dossiers: améliorer le lien fisc et greffes des tribunaux de commerce, et fisc et INSEE (pour les numéros associatifs délivrés par l'INSEE)

  • Intégrer les "transferts de fonds" à l'étranger dans le cadre de surveillance des contribuables "à risque".