Actualité

Chirurgiens payés au mérite dans les hôpitaux

La révolution est en marche...

Même la Fédération Hospitalière de France (FHF), le lobby des hôpitaux publics, se prononce favorablement à la rémunération avec part variable complémentaire indexée sur la productivité des praticiens hospitaliers (PH) de chirurgie -pouvant représenter jusqu'à 15 % du salaire annuel- décidée par arrêté ministériel du 28 mars 2007. C'est dire comme la situation des chirurgiens et de la chirurgie publique est devenue explosive : seulement 40 % des opérations chirurgicales se font à l'hôpital, ce chiffre ne cesse de baisser et si certains PH sont surchargés de travail, d'autres ne réalisent, pour le même salaire, qu'une ou deux opérations, souvent plus simples, par semaine.

La crise de la chirurgie publique pousse le Gouvernement à agir d'autant plus qu'elle risque de s'étendre à terme aux cliniques privées puisque ce sont les PH qui enseignent la chirurgie aux futurs praticiens hospitaliers de chirurgie et chirurgiens libéraux.

Bien que favorable à cette rémunération au mérite qu'elle souhaiterait même individuelle au lieu de collective par équipe, comme prévu avec quelque machiavélisme dans le dispositif, la FHF souhaite simultanément la transparence sur ce qu'elle appelle les "dépassements d'activité dans les cliniques privées" et prétend dans un communiqué, que "la publication des chiffres relatifs à l'évolution des dépenses du secteur des établissements privés lucratifs en 2006 dont l'augmentation d'activité ne peut s'expliquer par une brusque détérioration de l'état de santé de nos compatriotes". Pour la FHF, l'augmentation de l'activité dans les cliniques ne peut pas s'expliquer par le dynamisme de celles-ci et par une baisse de la qualité des soins dans les hôpitaux publics, cela va de soi.

La position de certains syndicats de médecins – urgentistes et anesthésistes – est paradoxale ; refusant à cor et à cri au son du "productivisme anti-déontologique" cette rémunération au mérite, tout en regrettant comme "une véritable injustice" que "ce texte ne s'applique qu'aux chirurgiens". Ce n'est pas la première fois, déjà, en 2004, le ministère de la Santé avait tenté d'imposer la rémunération au mérite. En vain face à la levée de boucliers des syndicats CHG (Confédération des Praticiens Hospitaliers) et INPH (Intersyndicat National des Praticiens Hospitaliers) au nom du service public. Ce sont d'ailleurs les mêmes qui critiquent abondamment l'activité privée des chirurgiens à l'hôpital public instaurée en 1958 pour que les chirurgiens les plus renommés ne partent pas tous dans le privé. Seulement voilà, puisque l'activité privée dans les hôpitaux n'y suffit pas, il faut bien trouver un système qui fasse rester des "PH" parmi les plus compétents dans les hôpitaux ou, si on n'y arrive pas, se résoudre à garder des hôpitaux publics sans chirurgiens, - modèle dont l'efficacité demeure à démontrer- ou encore se résoudre à fermer de nombreux hôpitaux -dossier hautement politique-. Même si 15 % de part variable du salaire n'est encore pas très incitatif alors que dans les hôpitaux mutualistes la part variable est de 30 % et qu'elle est par définition de 100 % dans les cliniques.

"Productivité" : un gros mot dans le domaine de la santé

Déjà, en octobre 2004, l'urologue de renom de l'hôpital mutualiste Montsouris, Guy Vallancien, répondait dans nos colonnes sans ambiguïté sur ce sujet : "L'activité et la qualité, rejetés dans l'hôpital public par les syndicats, sont la clé du sauvetage de notre métier. On pourrait tout à fait prévoir des grilles à l'activité en chirurgie hospitalière mais, pour les syndicats hospitaliers, il n'est pas question qu'une profession soit mieux rémunérée que les autres même pour un travail plus technique et plus risqué. C'est le nivellement par le bas et c'est pour cela qu'ils ont rejeté avec force le contrat “activité-qualité” proposé par le ministre. (…) on peut considérer, sans être très loin de la réalité, qu'un chirurgien libéral effectue entre 650 et 800 actes tandis qu'un chirurgien hospitalier est autour de 400 à 500 actes par an. Moitié moins !" L'urologue s'inquiétait aussi de syndicats hospitaliers qui "s'accrochent au statu quo et freinent l'évolution normale de la profession. Tout cela sous le prétexte de ne pas casser l'unité de la fonction publique ! Quel gâchis ! (…) il y a 20 ans, j'ai fait le choix alors de quitter le public. Je ne le regrette pas ! Exercer dans un hôpital privé à but non lucratif affilié au secteur public est sans aucun doute une voie d'avenir. Les jeunes troupes de bons chirurgiens ont compris le blocage et se dirigent peu à peu vers les cliniques privées et les hôpitaux mutualistes pour éviter les travers de la grosse machine hôpital. Dans les années qui viennent, les syndicats hospitaliers seront forcés d'accepter l'évaluation et la réforme de l'hôpital public car les Français changent et veulent être soignés par de bons professionnels dans des établissements où les personnels sont reconnus à leur valeur."

Les années passent et le mot "productivité" reste un gros mot dans nos hôpitaux publics. Et, grâce à cela, les cliniques privées se taillent des parts de marché de plus en plus importantes en ce qui concerne les opérations chirurgicales – avec raison puisque les patients sont satisfaits des soins. Pragmatique, Olivier Toma, le Président de SCS, le Syndicat des Cliniques Spécialisées, explique : "Cette rémunération au mérite dans les hôpitaux publics est une bonne chose. Nous avons de moins en moins de chirurgiens formés en France. Aujourd'hui, le niveau de rémunération est sensiblement identique entre les deux secteurs mais les chirurgiens dans les hôpitaux sont payés en grande partie sur les gardes ce qui n'est pas le cas pour ceux qui exercent en cliniques qui sont 100 % à l'activité. Par ailleurs, en ce qui concerne la formation des chirurgiens, nous sommes prêts, en vertu de l'ampleur de la crise, à prendre une partie de cette formation en charge dans nos cliniques."

Salaire au mérite :

Cette expression qui semble indiquer que ce sont les efforts faits qui seront récompensés est ambiguë. Ce sont bien les résultats qui doivent être pris en compte. Et ce critère ne peut pas se limiter au nombre d'interventions et à leur complexité, mais aussi inclure la qualité des soins, l'accueil des patients, la gestion des ressources utilisées, le travail en équipe et les relations avec ses confrères. Une évaluation difficile à faire ? Oui, mais indispensable.

Si l'on veut une médecine à deux vitesses en France, la meilleure façon est de lutter contre le salaire au mérite et la culture du résultat comme le font certains syndicats en brandissant les mots de "discrimination entre les PH" et en organisant les piquets de grève dans les hôpitaux. Le professeur Guy Vallancien explique : "Il est tellement bon d'être dans de petits hôpitaux où il n'y a pas beaucoup de travail", de son côté, le Professeur Philippe Juvin, Chef du service des urgences de l'hôpital Beaujon explique très clairement qu'il faut "fixer à tous les praticiens des objectifs d'activité". Ce contrat passé par chaque PH avec le directeur de l'établissement est un contrat d'objectif qui, s'il est bien appliqué, marque la fin du nivèlement des rémunérations en fonction du statut ou de l'ancienneté et non en fonction du travail effectué réellement. Le risque de "statutarisation" de la part variable restera bien réel puisque, à un moment ou à un autre, les syndicats paritaires seront consultés pour définir si les PH qui ont passé ces contrats ont rempli leurs objectifs. La révolution à l'hôpital public est en marche mais elle peut toujours dérailler.