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Assurance maladie : vers une mise en concurrence

L'amélioration de la compétitivité des entreprises françaises est une nécessité absolue pour espérer résorber le chômage. Or Les charges qui pèsent sur l'emploi proviennent essentiellement de notre protection sociale. En 2011, le budget de la Sécurité Sociale représentait environ 450 milliards d'euros, soit un quart du PIB de la France, plus que le budget de l'État. Il avait alors manqué près de 20 milliards de recettes pour parvenir à l'équilibre ! Ces sommes sont colossales.

La parodie de négociation (vingt heures non-stop) entre les syndicats de médecins, les Caisses d'assurance maladie, les complémentaires-santé vient de se terminer sous la pression du gouvernement par un semblant d'accord qui ne change rien au système. Or les Français connaissent toujours plus de difficultés pour se soigner, la révolte gronde chez les médecins, et les tarifs des mutuelles sont en perpétuelle augmentation. Bien pire certains de nos concitoyens renoncent aux soins médicaux, ou ont du mal à y accéder.

Dans ces conditions, le soutien jusque-là inébranlable de la population française envers ce « système que le monde entier nous envie » risque de rapidement se fissurer. Les cadres salariés ont déjà compris, en constatant le cumul monstrueux de leurs charges patronales et salariales, l'avantage évident que leur procurerait le choix d'une assurance privée. Les travailleurs indépendants ont fait la même analyse. Les frontaliers franco-suisse ont quant à eux voté en majorité contre l'affiliation obligatoire à la Sécurité Sociale française (leur régime dérogatoire prendra fin en mai 2014). Quant aux médecins, à la fois cotisants et dépendants de l'Assurance Maladie, ils pourraient bien quitter un jour en masse la convention pour le secteur libre, lassés d'appointements inférieurs à ceux de leurs homologues étrangers ou d'un plombier français.

Or à ce jour, malgré les gesticulations de nos gouvernants, malgré la baisse continue des prestations et l'augmentation des cotisations ou de la CSG, le système glisse vers toujours plus de déficit pour des coûts de plus en plus élevés. Comment sortir de cette spirale ? Certains pays sont pourtant sur la bonne voie [1].

Pour suivre la démarche des pays qui ont réussi, il suffirait de passer d'un système règlementaire avec des tarifs, pour nous diriger vers un système de marché qui génère des prix. C'est en effet la concurrence qui permet aux acteurs de trouver l'équilibre économique, donc l'équilibre financier, l'État se contentant de fixer les règles. La principale de ces règles doit cependant être l'interdiction pour les intervenants (assurance maladie ou professionnels de santé) de choisir leur clientèle. Le dernier prix Nobel d'Économie, attribué à des spécialistes de la théorie des jeux, est là pour nous le rappeler : tout système économique implique des partenaires, lesquels jouent chacun dans leur propre intérêt.

Dans cette optique, on voit bien pourquoi en France personne n'est prêt à changer la donne : le secteur hospitalier veille sur sa confortable improductivité, les professionnels de santé « libéraux » se sont habitués à travailler dans l'environnement bureaucratique de la sécurité sociale, l'industrie pharmaceutique engrange des profits grâce à l'autisme et à l'inertie du système de remboursement, la population a compris qu'il n'est plus nécessaire de travailler et de cotiser pour bénéficier d'une protection, les retraités font l'autruche, la fonction publique joue la carte du déremboursement, et les hommes politiques s'agitent avec pour seul objectif de repousser l'inéluctable faillite au-delà de la prochaine élection. Quant aux compagnies d'assurances et aux mutuelles complémentaires, elles sont aujourd'hui trop heureuses de n'avoir à assumer ni la totalité de la population ni les pathologies les plus lourdes. Tant que les entreprises françaises le supportaient, l'illusion pouvait perdurer.

Or la Communauté Économique Européenne a interdit « les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union… ». Une première Directive (73/239/CEE du 24 juillet 1973) a d'ailleurs défini les conditions d'agrément des sociétés d'assurances, mais elle précisait que ne sont pas concernées « les assurances comprises dans un régime légal de sécurité sociale. »

Un mouvement de contestation a alors vu le jour en France en 1990, avec à sa tête Claude Reichman. Deux travailleurs indépendants, MM. Poucet et Pistre, refusèrent de régler leurs cotisations de sécurité sociale. Ils estimaient qu'ils devaient, à cette fin, pouvoir s'adresser librement à la compagnie d'assurance privée de leur choix, établie sur le territoire de l'Union, plutôt que d'être soumis aux conditions fixées unilatéralement par les caisses. Interrogée par la juridiction sociale française, la Cour de Justice des Communautés Européennes a répondu finalement le 17 février 1993 que les organismes concernés ne constituent pas des « entreprises » au sens du Traité de Rome car ces organismes « obéissent au principe de la solidarité ». Les prestations assurées étant les mêmes pour tous les bénéficiaires, s'opérait une redistribution des revenus, si bien que les organismes concernés, qui ne pouvaient faire varier ni leurs ressources ni leurs prestations remplissaient une fonction exclusivement sociale et non économique. Il n'y avait pas d'application du droit à la concurrence. Ajoutons que, pour que la demande puisse rencontrer le succès, il fallait encore faire juger que les caisses de sécurité sociale soient convaincues d'un abus de position dominante au sens de l'art. 87 du même Traité.

Les principes de cet arrêt, sur lesquels repose encore aujourd'hui la position de la justice française, du gouvernement et de la Sécurité Sociale, ont été plusieurs fois confirmés, en particulier dans deux affaires identiques concernant les caisses italiennes, et en 2004 les caisses allemandes. D'autre part, un arrêt de la CJCE de 2005 s'est fondé sur l'arrêt Pistre de 1993 pour rappeler que les caisses Organic et Cancava n'exerçaient pas d'activité économique.

En France les contrevenants sont lourdement sanctionnés. Toute incitation à un refus de cotiser est punie de 6 mois de prison et/ou d'une amende de 7.500 à 15.000 euros (ce qui nous paraît d'ailleurs relever de la Cour Européenne des Droits de l'Homme).

La Sécurité Sociale française est-elle encore en 2012 un « régime légal » exclu des directives européennes, ou bien est-elle devenue au fil du temps un régime professionnel soumis à la concurrence ? Pour certains le combat continue, dans une volonté farouche de voir appliquer à la lettre les considérants d'une autre Directive, (92/49/CEE du 18 juin 1992) : «  le marché intérieur … implique… la possibilité pour tout assureur dûment agréé de couvrir n'importe quel risque parmi ceux visés à l'annexe de la Directive 73/239/CEE ; qu'à cet effet il est nécessaire de supprimer tout monopole dont jouissent certains organismes dans certains États membres pour la couverture de certains risques ».

En changeant le nom de sa branche maladie pour l'appellation d' « Assurance Maladie », en offrant des prestations différentes selon l'affiliation des assurés (CMU, régime général, régime des travailleurs indépendants...), en maintenant des grilles multiples de cotisation sans rapport avec une juste redistribution des revenus (caisse des Français l'étranger, régime particulier de l'Alsace-Moselle, caisse de la sécurité sociale agricole…), en n'assurant pas son équilibre financier, notre système semble s'éloigner progressivement de ce qui pourrait ressembler à un régime légal. Il est bien entendu impossible de faire des pronostics sur les décisions de justice à venir et sur un éventuel revirement de la jurisprudence de la CJCE [2]. Constatons cependant que nos mutuelles et nos assurances privées ne sont nullement préparées au séisme que provoquerait un tel revirement. En revanche, les assureurs néerlandais ou allemands disposent dans leurs portefeuilles de produits immédiatement adaptables, et d'une surface financière leur permettant de pratiquer des prix d'appel suffisamment convaincants.

Il nous semble en tout cas qu'en s'arqueboutant sur le refus d'ouverture à la concurrence, l'État français se prive d'une carte maîtresse vers la réduction des coûts de la branche maladie.

La Fondation iFRAP estime donc qu'une réflexion devrait s'engager au plus haut niveau pour envisager la création d'un système concurrentiel soucieux du consensus politique français et respectant autant que possible nos traditions. En clair, s'il ne nous paraît pas possible aujourd'hui d'ouvrir la couverture maladie à des assurances privées, il serait en revanche judicieux d'instaurer progressivement une concurrence entre Caisses Régionales ou Caisses Primaires, dans la mesure où elles disposent déjà du statut pour ce faire. Les entreprises, les agriculteurs, les travailleurs indépendants seraient libres de s'affilier à la Caisse de leur choix. Les Caisses auraient la liberté de fixer leurs tarifs et le niveau de leurs prestations, de donner leur agrément à tel ou tel service de soins conforme aux normes définies par l'État en fonction de critères de prix et de qualité. Comme en Allemagne et aux Pays-Bas, des mécanismes de compensation seraient mis en place entre caisses en fonction des types d'assurés (âge, sexe, catégories sociales …) en échange de l'interdiction de faire le tri parmi leurs affiliés. Et qui sait, nos Caisses les plus performantes pourraient peut-être un jour se lancer à la conquête du marché européen de la santé.

[1] Cf. http://www.politiquessociales.net/I...

[2] On se référera à l'étude de Koen LENAERTS sur la jurisprudence européenne : http://www.mc.be/fr/109/Resources/d...