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Taxe sur le foncier non bâti : à amender d’urgence !

Le mécanisme de majoration de taxe sur le foncier non bâti (TFNB) pour les zones tendues est un dispositif qui devrait concerner près de 727 communes situées dans 18 départements listés en zones A et A bis. Assez naturellement elles se retrouvent sur une ligne PLM (Paris, Lyon, Marseille). Pour les redevables, l’explosion des impôts locaux est au bout du chemin, surtout qu’en zones tendues ces majorations viennent s’additionner à celles qui frappent la TH, avec la taxe sur les logements vacants (pour les propriétaires) et, lorsqu’ils sont bailleurs, sur les petites surfaces à fort loyer. Attention cependant à bien clarifier le dispositif car bien souvent la loi est mal appliquée avec des listes comportant vraisemblablement de nombreuses erreurs et des terrains qui se retrouvent assujettis aux majorations alors que « constructibles » ils ne sauraient pourtant recevoir en raison du PLU existant des locaux d’habitation. Les vues du législateur s’en trouveraient alors détournées, et la surtaxe frappant des locaux détenus « sans rétention foncière » par certains particuliers (notamment à cause d’une non remise à plat du cadastre, cas des jardins et potagers) comme par des entreprises afin d’étendre leurs activités dans des zones inaptes à accueillir des logements. En outre le rendement de cette surtaxe comportementale n'est pas connu.

1. Un dispositif qui relève des années 1980 et automatique depuis le 1er janvier 2014 :

Depuis les années 1980, il est loisible au conseil municipal de majorer aux termes de l’article 1396 du CGI la TFNB, la valeur locative cadastrale des zones réputées « constructibles » en vertu du plan d’occupation des sols, avec à l’époque une majoration de la valeur locative cadastrale de 200%. A partir de 2008 (décret 2007-484 du 30 mars 2007), cette majoration sera sans cesse renforcée, jusqu’à l’article 82 de la loi de finances pour 2013 (n°2012-1509 du 29 décembre 2012), qui, au 1er janvier 2014 instaure une majoration automatique de plein droit de 25% des valeurs locatives à prendre en compte et d’une valeur forfaitaire de 5€/m² pour les impositions dues au titre de 2014 et 2015 et de 10% à compter de 2016. Devant le choc, l’ADCF (assemblée des communautés de France) avait obtenu une application retardée d’un an, repoussant la date de majoration à 2015[1]. Entre-temps diverses lois sont intervenues pour « muscler » le dispositif en particulier le II de l’article 1396 du CGI[2]):

  • Extension du dispositif de majoration aux zones à urbaniser,
  • Rétréci de 1.000 m² à 200 m² la superficie minimale permettant le calcul de la majoration par délibération,
  • Instauré des cas d’exonération (agriculteurs) et dégrèvements

Enfin, l’article 31 de la loi de finances rectificative pour 2014 qui a repoussé officiellement les majorations de 25% au 1er janvier 2015, le passage à 10€/m² de la valeur forfaitaire à compter 2017 et étendu le dispositif cumulativement :

  • dans les communes situées dans une zone d’urbanisation continue de plus de 50.000 habitants où existe un déséquilibre (article 232 I du CGI) entre l’offre et la demande de logement donc justiciables de la taxe annuelle sur les logements vacants,
  • dans celles où s’applique la taxe annuelle sur les loyers élevés des logements de petite surface (article 234 du CGI).
  • Et à toute commune pourtant exclue du périmètre de majoration de plein droit à condition qu’elles délibèrent avant la date butoir du 28 février 2015, mais dans la limite de 3% de la valeur forfaitaire moyenne au m².
  • Reporté la date limite de communication à l’administration de la liste des terrains « constructibles » au 28 février 2015 ;

2. Un dispositif mal rédigé :

On peut contester sur le fond les vertus économiques « incitatives » de la majoration de la TFNB (via le réhaussement de sa base voir supra: désormais la "majoration" de TFNB s'entendra de l'effet sur la TFNB de la majoration des bases cadastrales). En particulier, le risque de « mitage » du paysage induit par les propriétaires afin de s’exonérer du paiement de la taxe, éventuellement en construisant des bâtiments d’une taille minimale de 30 m² environ (mais qui deviendront alors assujettis à la taxe d'aménagement visant les abris de jardin), ou en vendant (mais à quel prix ?) les parcelles concernées à un tiers avant le 31 décembre de l’année d’imposition. La cohérence d’ensemble qui vise à « libérer du foncier » afin de construire des logements s’en trouverait gravement compromise. Par ailleurs, le découpage des parcelles est généralement assez artificiel, le cas est souvent cité d’une maison sans jardin ou dont le jardin se trouve pratiqué sur une parcelle cadastrale différente notamment en cas d’extension du bâti. Le foyer concerné devra alors payer la majoration de la TFNB alors même que la parcelle en question « constitue » stricto sensu son jardin.

Quoi qu’il en soit si les situations individuelles sont souvent choquantes : taxe passant de 300 euros à 2.500 euros pour un terrain de 500 m² en 2015 et à 5.000 euros en 2017  (Hyères), ou de 13 euros à 2.500 euros Boissy-Saint-Léger (Val-de-Marne) ou de 33 à 6.393 euros entre 2014 et 2015 à Saint-Leu-La Forêt (Val d’Oise), elle l’est également pour les professionnels.

Ainsi nous pouvons citer deux cas de majorations incroyables à Bruyères-Le-Chatel dans l’Essonne. Incroyables car elles mettent bien en évidence les limites de la notion de zones réputées « constructibles » évoquées par la loi. En effet, les terrains qui ont vu leur TFNB exploser (passant respectivement de 451 euros à 71.051 euros et de 658 euros à 326.969 euros[3]) sont détenues par des SCI détenues elles-mêmes par des entreprises. Mais ce qui est plus choquant encore c’est que ces terrains bien que réputés « constructibles », ne pourront pas faire l’objet - sans déclassement préalable par l’autorité compétente en matière de fixation du PLU[4] (le Conseil municipal ou intercommunal) – de constructions à l’usage d’habitation. En effet, les terrains détenus par ces entreprises, le sont dans des zones UI ou AU, autrement dit (en langage PLU) dans des zones : urbaines industrielles et  zones d’urbanisation future (AUJ).

Or la loi, prévoit que les zones réputées constructibles, sont celles dont la valeur locative des terrains est classée « U » (constructibles) et AU (urbanisables à terme). Le manque de clarté de la loi se retourne donc contre le contribuable et contre la volonté du législateur puisqu’il s’agissait par la taxe de libérer du terrain constructible afin d’y construire des locaux à usage d’habitation ; et ce à plusieurs niveaux :

  • Le caractère de constructible ou d’urbanisable à terme n’est pas assez précis. Si l’on prend le PLU de Bruyères-le-Chatel par exemple, il apparaît assez naturellement que pour la zone UI il est précisé : « Les constructions et utilisations du sol interdites (…) les constructions à usage d’habitation sauf celles prévues à l’article UI 2. » et l’article UI 2 de préciser : « Les conditions à usage d’habitation à condition qu’elles soient strictement destinées aux personnes dont la présence permanente est nécessaire pour assurer le fonctionnement ou le gardiennage des établissements. » Il ne peut pas s’agir dans ces conditions de pouvoir créer des logements d’habitation pour équilibrer l’offre et la demande de logement. L’erreur manifeste d’interprétation est donc flagrante. La même démonstration pourrait être effectuée pour le même règlement du PLU pour la zone AUJ (voir p.127 dudit règlement).
  • En réalité, certains maires n’ont pas pris la peine de transmettre des listes conformes à leur propre PLU, et d’ailleurs elles auraient dû toutes être confectionnées par « l’autorité compétente en matière de PLU » c’est-à-dire le Conseil municipal ou le Conseil intercommunal. Or dans l’urgence ces instances n’ont pas toujours réellement été réunies ou parfois ont pris des décisions non conformes à leur propre document d’urbanisme et à son règlement. L’exécutif municipal se réfugiant souvent derrière l’argument commode de la majoration de plein droit, ne nécessitant pas de délibération de la commune. Or si le A du II de l’article 1396 du CGI ne fait pas allusion à l’organe compétent en matière d’urbanisme, contrairement au B du II qui vise l’ensemble des autres communes non-assujetties de plein droit, cela ne veut en aucun cas dire qu’il n’a pas à être saisi préalablement à la délivrance des listes aux services fiscaux. C’est d’ailleurs l’interprétation qu’en donnent les services fiscaux : « la liste des terrains constructibles soumis à majoration est dressée par l’autorité compétente en matière de plan local d’urbanisme (la commune au cas présent).[5] » En réalité avant le 1er janvier 2015 et avant les délais supplémentaires accordés par l’article 31 de la LFR 2014, il n’y avait que 89 communes sur 727 situées en zones tendues qui avaient transmis leurs listes à l’autorité fiscale. Par ailleurs, en cas d’inscription erronée de terrains sur les listes transmises, les dégrèvements qui devraient être pratiqués seront portés à la charge de la collectivité auteure de l’erreur de confection.

Conclusion :

Les deux exemples que nous avons donnés mettent en exergue que certaines communes sont sans doute dans l’illégalité nonobstant leur assujettissement à la majoration de TFNB de plein droit. Par ailleurs, le contrôle de légalité des listes transmises n’est pas effectué par les services fiscaux nonobstant l’existence d’erreurs manifestes d’appréciations (cas évoqués[6]). Il appartiendra aux personnes concernées de saisir les juridictions administratives compétentes, ou à tout le moins de prendre attache avec l’autorité préfectorale et de vérifier dans tous les cas l’existence d’une décision de l’autorité compétente en matière d’urbanisme quant à la consistance des listes fournies afin qu’elles soient en accord avec le PLU et son règlement.

En conséquence, des amendements devraient être inclus dans le PLF 2016 afin que :

  • Soit réintroduite la mention de « l’autorité compétente en matière de PLU » au I.A de l’article 1396 du CGI.
  • Soit précisé que l’autorité compétente en matière de PLU en la circonstance ne peut s’entendre que du conseil municipal et non du maire.
  • Soit précisé un pouvoir de modulation de la collectivité en matière de majoration de la TFNB afin de soulager les assujettis dont les capacités contributives ne sont pas en cohérence avec la surcharge fiscale demandée.
  • Enfin, une disposition d'open data. En effet la pression fiscale locale par collectivité est souvent mal appréhendée par les contribuables au regard de leurs capacités contributives. Dans ce cadre il serait sain qu'à l'instar de la Ville de Bondy, les communes et intercommunalités mettent spontanément sur leur site ainsi que la DGCL et data.gouv.fr (qui centralisent les renseignements), les extraits du rôle général de l'année d'imposition, notamment l'état 1386 bis TH (pour la taxe d'habitation) et l'état 1386 TF (pour les taxes foncières), ainsi que les états 1259, 1288 et les fiches DGF (ces dernières ainsi que les algorithmes de calcul utilisés ont déjà fait l'objet d'une demande en ce sens du rapport PIRES-BEAUNES/GERMAIN sur la réforme de la DGF).

Il est évident que la taxe « comportementale » instituée par cette majoration du produit de la TFNB (via ses bases, comme cela on ne touche pas facialement au taux!) a pour vocation de libérer les terrains constructibles ou urbanisables à terme, pour autant que ceux-ci puissent se prêter à la création de logements sociaux (on imagine d'ailleurs assez mal les effets de prix en cas d'exonération pour cessions; les propriétaires vendant nécessairement à perte). A cette fin, un caractère incitatif fort peut également être retenu sans pousser les gens à l’expropriation. Il faudrait par ailleurs réserver le cas des zones qui, à l’intérieur de ces ensembles n’ont pas vocation en l’état à accueillir des logements, au risque de pénaliser les entreprises. Ce que le respect des règlements de PLU devrait permettre d’obtenir. Encore faut-il clarifier les dispositions du CGI en la matière, qui décidément en ont bien besoin.


[1] Sauf pour les communes désirant « passer en force » et qui ont décidé de délibérer spécifiquement avant d’instituer la majoration automatique.

[2] Article 84 de la loi de finances pour 2014, article 78 de la loi 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (qui entre autres a exonéré les agriculteurs).

[3] Pour le second, la part communale est passée de 365 euros à près de 307.627 euros et pour la part intercommunale de 23 à 19.072 euros.

[4] Voir en particulier les précisions apportées par l’arrêt du Conseil d’Etat : CE, 4 juin 2014 Commune de Magland, si l’autorité compétente pour initier une révision du PLU est le maire, il n’en ressort pas moins que l’élaboration et la révision du PLU doivent être prescrites par une décision du conseil municipal. Il en ressort que l’autorité compétente en matière d’urbanisme ne peut pas être le maire, mais le Conseil municipal dans son ensemble (bien que la démarche puisse être initiée par le maire). Voir La Lettre du cadre. Il serait bon quoi qu’il en soit que la loi prévoie la réintroduction de cette mention explicite dans le cadre de l’article 1396 I.A. du CGI.

[5] Réponse motivée du Centre des finances publiques de Corbeil, 24/09/2014.

[6] Ce qui peut se comprendre du simple point de vue du droit administratif mais qui semble bien démontrer qu’il n’existe pas à proprement parler de recoupements suffisants entre les bases cadastrales  (services du cadastre) et fiscales (services des impôts fonciers) pourtant théoriquement réunies dans le PCI (plan cadastral informatisé), avec les PLU qui relèvent du MEEDAD, voir par exemple pour l’Ariège, ou le référentiel RGE (référentiel à grande échelle de l’IGN qui permet d’établir des PLU); précisons que le RGE et le PCI devraient fusionner en 2021 dans la RCPU (représentation parcellaire unique). D’ici là il semble que les services fiscaux n’aient pas accès aux PLU et inversement, si bien que les erreurs ne peuvent être détectées par leurs services. Voir notre note du 13 juillet 2015 et en particulier la note de bas de page 3.