Actualité

Transition énergétique : des objectifs irréalistes de consommation en France

A Glasgow, plus de 100 chefs d’Etat et plus de 30.000 participants se sont engagés sur les quatre sujets clefs du changement climatique : émissions de CO₂, émissions de méthane, déforestation et financement par les pays riches des actions à prendre par les pays en développement. Mais, jusqu’à présent, les comptes rendus ne mentionnent pas de discussions sur la mesure phare prise par la France de diviser par deux la consommation d'énergie en 2050 par rapport à 2012. Ce moyen énergique de réduire ses émissions de CO₂ ne risque t-il pas de se transformer en pari irréaliste ? En effet, réduire la consommation finale de 50% entre 2012 et 2050 tout en poursuivant la réindustrialisation de notre pays et le redressement de notre économie, suppose de concentrer nos efforts sur 3 secteurs essentiels que sont les transports, le résidentiel et le tertiaire, pour un total de 110,61 Mtep (niveau de 2012). Ce qui veut dire réduire la consommation dans ces trois secteurs de 70,5%. Cela est-il raisonnable ? Par ailleurs, réduire de 50% notre consommation d’énergie finale à l’horizon 2050, reviendrait à se fixer un objectif de consommation équivalent au niveau actuel de l'Algérie ou de la Croatie, un objectif impossible sauf à réaliser une profonde décroissance de l’activité nationale. Les Français veulent-ils de cette décroissance ?
 

La contribution de l’utilisation de l’énergie consommée dans tous les secteurs (transports, bâtiments, industrie, etc.) aux émissions totales de gaz à effet de serre (GES) est d’environ 70%. Pour baisser les émissions de CO₂, le plus simple serait d’y arriver en baissant la consommation d’énergie finale. Mais réduire la consommation d'énergie tout en améliorant le niveau de vie d'une population de plus en plus nombreuse est très difficile.

Réduire les émissions de CO₂

Les objectifs français de réduction des émissions de CO₂ sont énumérés par la Loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) de 2015, fixant des niveaux à atteindre en 2030 et en 2050 qui apparaissent comme très bas, surtout face à une baisse de seulement 19,85% en 29 ans depuis 1990 alors que le levier le plus puissant et le plus simple, fermeture des centrales à charbon, était disponible.

France : émissions de CO₂  (millions de tonnes de CO₂ équivalent)

 

1990

2019

2030

2050

 

544 MtCO2e

436 MtCO2e 

326 MtCO2e

136 MtCO2

Réduction depuis 1990

-

-19,85 %

-40 %

-75 %

Note : ces chiffres sont hors Utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresterie (UTCATF)

  • Une réduction de 40% en 2030 par rapport à 1990,
  • Une division par 4 en 2050 par rapport à 1990.

En 2018, 70% des émissions de CO₂ sont dus à l’utilisation de l’énergie, et 41% de ces 70% sont dus à l’utilisation de l’énergie dans le secteur des transports – voir graphique ci-après. C’est pourquoi on ne peut pas envisager de réduire drastiquement les émissions de CO₂ sans réduire la consommation d’énergie finale, notamment dans les transports.

Plus largement, les objectifs de réduction des émissions de GES de la loi LTECV doivent s’entendre comme le résultat des 4 autres objectifs, à savoir :

En ce qui concerne les deux derniers objectifs sur les énergies renouvelables et le nucléaire, énergies propres au sens des gaz à effet de serre, on peut s’interroger sur la réduction de l’énergie nucléaire compensée par l’augmentation des énergies renouvelables. Au total, c’est une opération quasi neutre au sens des GES. Et encore, les énergies renouvelables sont même plus émettrices de CO₂ que le nucléaire, selon une étude de l’ADEME. Sans compter qu’il n’y a pas d’équivalence dans les usages, les énergies renouvelables étant intermittentes et non pilotables… La situation d’autres pays n’est pas forcément identique à celle de la France : ainsi en Allemagne, cela a du sens d’utiliser des énergies renouvelables pour remplacer du charbon. (Voir annexe : diverses données pour apprécier la réduction des émissions de CO₂, celle de la consommation finale d'énergie et celle des énergies fossiles).

Réduire la consommation d'énergie 

Les objectifs de réduction de la consommation d’énergie finale et des énergies fossiles de  la Loi de Transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) ont été actualisés par les programmation pluriannuelles de l’énergie de 2016 et 2020 comme suit :

Dans un premier temps, regardons ce que veut dire « réduire la consommation finale de 50% entre 2012 et 2050 » grâce aux bilans énergétiques de la France publiés par le Ministère de la Transition Ecologique. (voir tableaux complets en annexe).

France : consommation d’énergie finale (Millions de tonnes d’équivalent pétrole)

2012

2019

2050

156 Mtep

153 MTep

78 Mtep

Où peut-on trouver cette réduction de 78 Mtep ?

  • Pas sur la consommation finale énergétique dans le secteur de l’agriculture qui ne représente que 4,47 Mtep en 2012 (4,37 Mtep en 2019).
  • Ni sur la consommation finale énergétique dans le secteur de l’industrie (26,86 Mtep en 2012, 27,51 Mtep en 2019) ou sur la consommation finale non énergétique qui recouvre également des usages industriels, et qui ne s’élève qu’à 14,06 Mtep en 2012 (13,42 Mtep en 2019). Sauf à vouloir accentuer notre désindustrialisation.

Les 78 Mtep de réduction devraient être trouvées sur les secteurs des transports, du résidentiel et du tertiaire, soit un total de 110,61 Mtep en 2012, ce qui veut dire réduire ces trois secteurs de 70,5%. Cela est-il raisonnable ? Cette réduction de 78 Mtep signifie que ces trois secteurs, transport, résidentiel et tertiaire, consommeraient à eux trois 32,61 Mtep alors qu’en 2012 le seul secteur résidentiel consommait déjà 42,68 Mtep.

France vs. Pays étrangers

Dans un second temps, regardons ce que veut dire « réduire la consommation finale de 50% entre 2012 et 2050 » par rapport à d’autres pays. En 2012, la population de la France est estimée à 65,8 millions d’habitants. Avec une consommation finale de 156 Mtep, la consommation finale par habitant s’élève donc à 2,37 tep/habitant. (2,27 tep/habitant en 2019). Réduire la consommation finale de 50%, veut dire qu’en 2050 la consommation finale par habitant devrait être de 1,18 tep/habitant.

Dans quels pays trouve-t-on aujourd’hui ou en 2012 une telle consommation finale par habitant ?

Consommation d’énergie en millions de tonnes équivalent pétrole

2019

Algérie

Croatie

Pologne

Allemagne

Nombre habitants en millions

41

4

38

83

Consommation totale en Mtep

45

7

69

200

Consommation par habitant en Mtep

1,1

1,7

1,8

2,4

La conclusion de ce rapide benchmark est qu’il ne semble pas crédible de réduire de 50% notre consommation d’énergie finale à l’horizon 2050, soit au niveau actuel de l'Algérie, sauf à réaliser une profonde décroissance de l’activité nationale. Les Français veulent-ils de cette décroissance ?

Réduire les émissions de CO₂ sans réduire la consommation d'énergie 

Si l’on ne peut pas réduire la consommation finale d’énergie, peut-on pour autant réduire les émissions de GES ? Les États-Unis ont par exemple réduit leurs émissions de CO₂ sans réduire leur consommation d’énergie, en remplaçant, pour la production d'électricité, le charbon et le pétrole par le gaz, et en développant les énergies renouvelables. Une méthode visée aussi à terme par l'Allemagne (gazoduc NordStream-2 pour le gaz russe, très importantes centrales éoliennes terrestres et marines, centrales photovoltaïques). Pour la France, il est nécessaire de se demander comment l'on peut réduire les émissions de CO₂ sans réduire la consommation d’énergie finale.

On peut le faire pour partie en réduisant la part des énergies fossiles (charbon, pétrole brut, produits pétroliers raffinés, gaz naturel) dans le bilan énergétique, comme prévu par la Loi LTECV de 2015 qui affiche une réduction de 30% en 2030 par rapport à 2012. Regardons ce que veut dire cet objectif grâce au bilan énergétique 2012. 

Réduction de la part des énergies fossiles par rapport à 2012

 

2012

2019

2030

Energie fossile

124,73 Mtep

116,12 Mtep

87,31 Mtep

Objectif Baisse

-

-8,61  Mtep

-37,42 Mtep

Dont baisse charbon

-

-4,59 Mtep

-11,92 MTep

Dont baisse
autres fossiles

-

-

-25,50 MTep

Note de lecture : pour atteindre l'objectif de 2030 de réduction des énergies fossiles, en supposant le charbon pratiquement éliminé en 2030, l'utilisation des autres énergies fossiles doit baisser de 25,50 MTep entre 2012 et 2050. 

Entre 2019 et 2030, une baisse de 21,48 MTep reste à réaliser, soit 20% de l'ensemble de la consommation des énergies fossiles hors charbon. Une solution pour réaliser une partie de cette baisse serait de se baser sur les objectifs de la Loi LOM sur le véhicule électrique soit passer à 100% de véhicules électriques d’ici 2040. Cela peut procurer une baisse sur le seul pétrole brut et les produits pétroliers raffinés qui sont nécessaires au secteur des transports. Or ces produits représentent 50,76+20,49=71,25 Mtep en 2019. La baisse recherchée de 21,479 Mtep correspondrait donc à une baisse de 30% sur ces produits entre 2019 et 2030.

Conclusion

La probablilité qu'un tiers du parc des véhicules soit 100% électrique (pas hybride) en 2030 est déjà très faible, voire nulle. De plus, ce développement du véhicule électrique ne sera propre au sens des émissions de GES que si l’électricité éolienne et solaire utilisée ne nécessite pas la construction de centrales au gaz naturel pour pallier l’intermittence de ces renouvelables. Le bâtiment (logement et tertiaire), l'autre source importante de réduction de consommation évolue encore plus lentement, avec des progrès plus incertains : l'effet réel des centaines de milliers de rénovations thermiques "Pass'Renov" est inconnu, rarement supérieur à une baisse de 20% de la consommation, et une partie seulement concerne des bâtiments chauffés au gaz ou au fuel. L'objectif de 40% de réduction des émissions de CO₂ en 2030 est irréaliste. Celui de 55% fixé soudain par l'Europe est intenable pour notre pays déjà très vertueux.

Annexes

Documents de données de référence pour les paragraphes ci-dessus