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Les entreprises industrielles durablement pénalisées par la crise énergétique ?

A l’automne 2022, Elisabeth Borne prenant acte de la crise énergétique présentait un plan de sobriété avec un objectif de baisse de 10% de la consommation d’énergie d’ici 2024, adaptée à chaque filière pour faire la chasse au gaspillage d’énergie. C’est dans ce contexte que le gouvernement a développé une campagne de communication appelant à des efforts de sobriété de la part des Français. Le gouvernement a également mis en œuvre des mesures dans les administrations et encouragé le même type d’actions dans les entreprises. Pour les responsables publics, les particuliers, les administrations, les entreprises ont fait preuve de civisme. Mais la sobriété réclamée par l’exécutif a t-elle eu des conséquences sur la production ?

Une consommation en nette baisse

Les chiffres de RTE montrent une baisse sensible de la consommation d’électricité (corrigée des effets météorologiques et calendaires) de 3% en 2023 (446 TWh) par rapport à 2022 (460 TWh) et une baisse de 1% entre 2021 et 2022 (465 TWh). Le ralentissement est marqué par rapport à la décennie 2010 où la consommation se maintenait autour de 480 TWh.

Comme nous l’avions indiqué dans une note sur le plan de sobriété de février 2023, la baisse de consommation des 30 derniers jours 2022 (comparés à la même période pour les années précédentes période 2015-2019) a été marquée pour l’industrie (-20%). Une baisse qui s’explique par l’arrêt de production de plusieurs entreprises au plus fort de la crise. Les exemples dont on a le plus entendu parler sont Arc France, Duralex, Ascometal ou Arcelor Metal sans compter de nombreuses PME et ETI moins connues du grand public.

Les chiffres définitifs de RTE montrent les tendances suivantes pour 2022 et 2023 :

Pour 2022 :

La baisse de consommation a d’abord été observée dans l’industrie, plus exposée aux variations des prix en l’absence de protection tarifaire. Les secteurs industriels les plus intensifs en énergie, tels que la chimie, la métallurgie et la sidérurgie, ont été les plus touchés (respectivement -12 %, -10 % et -8 % sur lannée2 et -19 %, -20 % et -20 % entre septembre et décembre), suivant en cela une tendance européenne. 

Pour 2023 :

La tendance baissière observée en 2022 et qui s’était intensifiée à partir de l’automne, au plus fort de la crise, s’est confirmée tout le long de l’année 2023. Les résultats de l’enquête menée par RTE suggèrent que cette diminution nest pas uniquement le résultat de démarches de sobriété volontaires mais, pour la consommation industrielle, de la conjoncture macroéconomique dégradée. 

Une hausse des prix dans un contexte international de tension mais qui a particulièrement touché l’Europe

La SFEN, à partir des données de l’AIE de janvier 2024, dresse le constat suivant : la demande d’électricité en Europe a chuté -3,2 % en 2023 après une baisse de -3,1 % en 2022. Un niveau jamais vu depuis 20 ans selon l’AIE. « Le principal facteur de la réduction de la demande d’électricité est la baisse de la consommation du secteur industriel », constate le rapport. En 2023, la demande industrielle a baissé de 6 % après une baisse similaire en 2022. « Environ 30 % de la production d’aluminium primaire est suspendue depuis 2021, précise l’AIE, soit une baisse de la demande annuelle de 15 TWh ». De même, l’arrêt, au moins partiel, des fonderies de zinc représente la baisse de 4 TWh par an et 2 TWh pour les aciéries détaille l’Agence. 

Et pour cause : « Les prix de l’électricité pour les industries électro-intensives européennes étaient près du double que ceux de ses homologues chinois et américains », détaille le rapport. Les pays fortement dépendants aux importations de gaz ont été particulièrement touchés (Allemagne et Italie).

Prix de l’électricité rendu site après application des dispositifs de compétitivité pour les industriels électro-intensifs 

en 2019 et 2022

Si la France semble plutôt bien s’en sortir, les prix de l’électricité ont tout de même augmenté dès 2022 et devraient continuer leur progression en 2024.

Prix de l’électricité pour client non résidentiel en € par kWh (prix hors TVA et autres taxes récupérables pour toutes les tranches de consommation)

TIME

2021-S22022-S12022-S22023-S1
Union européenne - 27 pays (à partir de 2020)

:

:

0,2150

0,2022

Zone euro 

:

:

0,2202

0,2061

Danemark

0,1311

0,1733

0,2520

0,1456

Allemagne

0,1665

0,1978

0,2074

0,2085

Espagne

0,1466

0,2074

0,2346

0,1211

France

0,1068

0,1320

0,1281

0,2120

Italie

0,1875

0,2596

0,3378

0,2629

Pays-Bas

0,1214

0,1714

0,1964

0,2516

Pologne

0,1128

0,1564

0,1822

0,2227

Suède

0,0949

0,1042

0,1436

0,1022

Source : Eurostat https://ec.europa.eu/eurostat/databrowser/view/nrg_pc_205__custom_10296020/default/table?lang=fr

La baisse de la consommation d’électricité a-t-elle impacté la production industrielle ?

D’après les chiffres de l’INSEE issus des comptes nationaux, on observe un net ralentissement de la production des branches manufacturières au T4 2022, suivie d’un rebond puis un nouveau recul cette fois à l’automne 2023 (T3 et T4) qui paraît sans doute plus imputable au ralentissement économique.

PRODUCTION PAR BRANCHE

AUX PRIX DE L'ANNEE PRECEDENTE CHAINES

variations t/t-1(en %), données CVS-CJO

  

2021

2022

2023

 

 

 

  

T1

T2

T3

T4

T1

T2

T3

T4

T1

T2

T3

T4

2021

2022

2023

Branches manufacturières :

-0,3

0,0

-0,1

0,6

0,8

0,2

1,1

-0,9

0,8

1,0

-0,2

0,0

7,4

1,7

1,4

 Industrie agro-alimentaire (C1)

1,2

1,3

-0,1

1,9

0,1

-1,1

0,0

-0,6

-0,9

0,6

-1,6

-1,6

3,8

0,9

-2,3

 Cokéfaction et raffinage (C2)

-17,6

14,0

-2,1

6,3

8,4

1,8

0,2

-9,2

11,0

1,5

6,9

-1,6

2,9

14,8

8,1

  Biens d'équipement (C3)

1,9

0,2

0,5

0,4

-0,1

-0,3

1,9

0,2

2,1

0,9

-0,5

-0,1

11,5

1,3

3,5

 Matériels de transport (C4)

-0,5

-4,5

-0,5

1,2

-2,6

5,1

6,6

-0,4

2,7

3,3

-0,8

1,7

8,4

3,9

9,6

 Autres branches industrielles (C5)

-0,2

0,1

0,0

-0,5

1,6

-0,7

-0,2

-0,6

-0,3

0,4

-0,3

0,3

8,1

0,4

-0,8

Branches industrielles

-0,6

0,4

0,2

0,5

0,2

-0,4

0,5

-0,3

1,9

1,7

0,2

0,1

6,9

0,6

3,2

On a donc observé une baisse de production en volume en 2022, durant la période d’envolée des prix de l’électricité. Dans le détail, l’indice de production industrielle montre que sur 307 branches industrielles recensées, 172 ont connu une baisse entre 2021 et 2023 et 130 une baisse entre 2022 et 2023.

Parmi les plus fortes baisses notons :

Indice CVS-CJO de la production industrielle (base 100 en 2015)

Libellé2021/20232022/2023
 Laminage à froid de feuillards 

-45%

-24%

 Fabrication de briques, tuiles et produits de construction, en terre cuite 

-45%

-42%

 Fabrication de machines pour les industries textiles 

-45%

-24%

 Tréfilage à froid

-42%

-35%

 Fabrication de produits azotés et d'engrais 

-40%

-20%

 Fabrication de matériaux de construction en terre cuite

-39%

-37%

 Fabrication d'emballages métalliques légers 

-33%

-18%

 Fabrication de verre creux

-32%

-23%

 Fabrication de produits amylacés 

-30%

-17%

 Fabrication de fibres de verre 

-29%

-29%

 Fabrication de machines agricoles et forestières  

-26%

-18%

 Fabrication de machines de formage des métaux

-23%

-28%

 Fabrication d'autres meubles 

-23%

-18%

 Tissage

-22%

-21%

 Fabrication de ciment

-21%

-6%

 Fabrication de matériels de transport n.c.a.  

-21%

-23%

 Fabrication de verre et d'articles en verre 

-21%

-18%

 Fabrication de machines pour l'industrie agro-alimentaire 

-20%

-28%

 Fabrication de produits pharmaceutiques de base 

-18%

-21%

Pour l’Insee, qui a consacré une note à l’impact des prix de l’énergie (non pas seulement l’électricité) pour les secteurs les plus énergivores, la baisse de production au niveau agrégé n’est pas strictement corrélée à la baisse de la consommation d’énergie (baisse de la production plus faible que la baisse de la consommation). Mais l’Insee note toutefois qu'à un niveau détaillé, au sein des branches les plus énergivores, la production baisse fortement dans plusieurs activités au second semestre 2022 par rapport au second semestre 2021. Elle diminue dans la sidérurgie (-16 %), les autres métaux non ferreux (-8 %), la fabrication de pâte à papier, de papier et de carton (-11 %) et la fabrication de produits chimiques de base (-17 %). Pour l’INSEE, les entreprises qui ont fait face à une hausse de leurs coûts énergétiques, ont pu réduire leur production et/ou augmenter leurs prix de vente ou compresser leurs marges, des solutions qui risquent de peser avec un effet retard sur leur compétitivité.

Une hausse des prix à venir sur l’électricité qui inquiète les industriels

Malgré le reflux des prix de l’énergie sur les marchés de gros ces dernières semaines, on sait que la hausse de l’électricité devrait se poursuivre depuis l'annonce de l'augmentation des tarifs par le gouvernement en début d'année. Une récente consultation pour CCI France, La Tribune et LCI montre qu’avec l’annonce de l’augmentation de 10% des prix de l’électricité, 71% des dirigeants indiquent qu’ils seront touchés par la hausse des prix de l’électricité, 41% s’attendant même à être fortement impactés. Sans surprise, dans le secteur de l’industrie, c’est 85% des répondants qui craignent un impact sur leur activité contre 66% dans les services. 

C’est aussi le constat que dresse France Industrie. Interrogé par La Tribune, Alexandre Saubot, président de l’association des industriels français s'inquiète de son impact dans la durée sur la compétitivité et a rappelé l'importance du prix de l'énergie (prix du gaz versus prix de l’électricité) pour parvenir à une économie décarbonée. A ce sujet une première mesure comme l’a montré la SFEN serait déjà de rééquilibrer les taxes qui pèsent respectivement sur le gaz et l’électricité : ainsi l’accise qui porte sur le gaz naturel se situe à 16€/MWh alors que l’accise sur l’électricité est de 21€/MWh.