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SAFER, le Conseil constitutionnel dit NON

Le 16 mars 2017, le Conseil constitutionnel a décidé d’annuler l’article de loi renforçant le pouvoir des SAFER dont « les dispositions portent une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre ». Des termes sévères et un coup d’arrêt définitif aux prétentions de la Fédération nationale des SAFER (FNSAFER) et d’une partie des syndicats agricoles d’accaparer la gestion de l’ensemble des terres agricoles. Mais aussi une critique cinglante du ministre de l’Agriculture et de son cabinet, du ministère de l’agriculture, et des nombreux députés de la majorité et sénateurs qui avaient voté une loi visiblement contraire à la Constitution : incompétence, soumission au lobby SAFER ou démagogie pré-électorale se reposant sur le Conseil constitutionnel pour censurer ce coup de force ?

Cette affaire se rajoutant aux critiques récentes des SAFER par les plus hauts organismes de contrôle publics (Cour des comptes, Inspection générale des finances, Ministère de l’agriculture-Conseil général de l’agriculture) a opportunément remis dans l’actualité la question de fond : peut-on réformer ou faut-il supprimer les SAFER ? 

Sur le terrain, les critiques contre les SAFER sont depuis longtemps nombreuses et virulentes, même si elles sont souvent discrètes (les agriculteurs veulent protéger leurs chances). Depuis quelques années et plusieurs condamnations des SAFER en justice, ces dysfonctionnements sont reconnus aux plus hauts niveaux de l’État :  

Quatre années d’évaluation publique des SAFER

2013 : l’Inspection des finances et le Conseil général de l’agriculture (Ministère de l’agriculture) publient un rapport démontrant que le système des SAFER est opaque, inefficace et coûteux pour les finances publiques. Ils proposent leur extinction.

2014 : la Cour des comptes dénonce le peu de résultats des SAFER, et l’utilisation massive de leurs prérogatives pour se financer. En s’immisçant dans des transactions où leur intervention est inutile (substitution), elles détournent à leur profit des taxes dont les collectivités locales ont pourtant besoin. La Cour propose de les réformer.

Octobre 2014, la loi d’avenir pour l’agriculture est adoptée. A son origine aucune disposition relative aux SAFER. Le gouvernement fait insérer de nouvelles dispositions en faveur des SAFER (préemption sur cession de 100 % des parts, préemption sur cession en démembrement de propriété,…) dont déjà une partie est sanctionnée par le Conseil Constitutionnel.

Mai 2016, malgré ces avertissements de ses propres services, au lieu de réformer les SAFER, le gouvernement fait insérer un volet foncier, projet largement écrit par la FNSAFER renforçant leurs pouvoirs, dans le projet de loi Sapin 2 relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Décembre 2016, le Conseil constitutionnel annule cette loi à la demande des députés LR.

Décembre 2016, dans l’urgence, des parlementaires de gauche et des sénateurs de droite font voter une nouvelle version de la loi destinée à contourner la décision du Conseil constitutionnel.

Mars 2017, à la demande de 60 députés de droite, le Conseil constitutionnel annule la nouvelle version de cette loi qui portait une atteinte disproportionnée au droit de propriété.

Alors que la France traverse un crise économique, sociale et sécuritaire, et que la crise agricole frappe plus la France que tous les autres pays européens, cette urgence à soutenir un lobby avant les élections est choquante. Il est au contraire temps de se demander pourquoi nos agriculteurs sont plus frappés par la crise agricole que ceux des pays voisins dont les initiatives ne sont pas étouffées par des administrations publiques et para-publiques.  

Une tentation collectiviste ancienne                                             

Face au monde agricole, en 1961 comme en 2017, l’idée que tout irait mieux si l’État disposait de tous les pouvoirs est récurrente pour certains. Après avoir décidé ce que les consommateurs doivent consommer, il fixerait qui aurait le droit de posséder la terre et de cultiver, ce qu’il faut produire et les prix de vente. Dans les années 1960[1], le contrôle des structures, l’autorisation d’exploiter et les SAFER ont largement mis en place les bases de cette politique. Et d’après le livre d’Edgard Pisani, père de ces réformes, (Utopie foncière[2]) cette situation n’était qu’une première étape avant une étatisation totale du secteur.

Publié en 1977 dans la perspective des élections de 1981, ce livre prône la nationalisation de la totalité des terrains de France. Une fois propriétaire de toutes les terres, chaque fois qu’une de ses propriétés se libérerait (décès, retraite ou abandon par l’exploitant) l’État choisirait un nouvel exploitant « en toute objectivité », naturellement. Ce projet exclut, à regret, l’expropriation immédiate, pure et simple des terres, et propose que l’Etat préempte (à son prix) toutes les parcelles mises en vente jusqu’à ce qu’il soit maître de tout le sol du pays. Une position affirmée dès 1975 dans le document approuvé par le Comité directeur du parti socialiste « L’établissement par la loi de ce droit éminent confère à la collectivité la faculté et le devoir d’acquérir – par droit de préemption -  la totalité des biens fonciers librement mis en vente ».  Une étatisation qui devrait ne prendre que deux générations (50 ans) d’après les auteurs. ll faut lire les 85 pages des articles détaillés du projet de loi qu’Edgard Pisani entendait faire adopter par le Parlement en 1981 pour réaliser vers quelle structure collectiviste le système mis en place nous entraine si les Français ne se révoltent pas. 

La tentation corporatiste

Logiquement, rien n’aurait dû faire plus horreur aux paysans français très attachés à leur liberté et au droit de propriété que cette politique. En URSS, six millions de paysans sont morts en luttant contre la collectivisation des terres. Mais en France, des éléments du monde agricole ont compris l’intérêt qu’ils auraient à s’associer à la gestion par l’État du système agricole. Si c’est en principe l’Etat à travers les préfectures qui décide des attributions et autorisations, c’est en réalité en lien très étroit avec les responsables de la corporation agricole. Encore une fois, une situation similaire à celle des logements publics (HLM, logements intermédiaires, logements haut de gamme) où des intermédiaires (élus et autres) ont pendant longtemps tiré parti de leurs pouvoirs d’attribution des logements[3]

L’échec

En 2017, malgré 9 milliards de subventions européennes, financées par la France, notre agriculture est dépassée par celle de ses voisins, et le revenu de nombreux agriculteurs est très inférieur au SMIC, voire négatif pour tous ceux qui sont contraints chaque année d’abandonner ce métier.

Une exploitation typique de 80 hectares de grande culture ou d’élevage, perçoit pourtant chaque année environ 24.000 euros de subvention soit 2.000 euros par mois. Pour tous les agriculteurs qui se versent moins de 1.400 euros par mois (voire moins de 400), la solution n’est pas de leur accorder 300 euros de plus d’aides sociales. C’est, comme pour toutes les entreprises, de réduire leurs charges et la suradministration de ce secteur économique. L’État qui se montre incapable de gérer de grandes entreprises comme le Crédit Lyonnais, AREVA ou la SNCF, est encore moins bien placé pour choisir et conseiller les centaines de milliers de petites TPE/PME agricoles dispersées sur tout le territoire. 

Conclusion : non au closed shop[4]

Par leur emprise, les SAFER, Chambres d’agriculture et autres commissions de cogestion de l’agriculture, ont mis en place une véritable « closed shop » dans ce secteur. C’est la corporation agricole (dominée par les syndicats agricoles) qui choisit les personnes qui ont le droit de s’installer et ce qu’elles doivent produire. Partout dans le monde, et en France dans les ports et les imprimeries, les dégâts causés par ce monopole d’embauche auraient dû avertir sur ce qui allait se passer dans le secteur agricole.

Le rapport Inspection des finances-CGARR de 2013 concluait : « Aussi, considérant la génèse de ce droit de préemption et sa réalité actuelle, la mission propose que les décrets d’application définissant les périmètres de préemption des SAFER ne soient pas renouvelés au fur et à mesure qu’ils viennent à échéance. »  Une solution raisonnable d’extinction, qui donnera à ces société privées le temps de se transformer officiellement en marchands de biens ou en agences immobilières ordinaires.

Comment la loi SAFER-2017 a été censurée

Les articles incriminés ont été largement inspirés par la FNSAFER comme elle le revendique. Introduits en mai 2016 dans la loi relative à la lutte contre la corruption, ils sont votés au Parlement en octobre et censurés comme plusieurs autres articles en novembre par le Conseil constitutionnel pour une question de forme : ces cavaliers législatifs n’avaient rien à voir avec la loi en question.

Dès décembre l’article concernant les SAFER est repris par le député socialiste Dominique Potier qui déclare : « On va aller vite pour faire repasser sous une autre forme ce qui a été censuré par le Conseil constitutionnel ». Un projet de loi est voté en janvier, d’abord au Sénat à la quasi-unanimité, puis à la majorité à l’Assemblée nationale où la droite s’abstient.

Convaincue du caractère inconstitutionnel de la mesure SAFER, la Fédération nationale de la Propriété Privée Rurale (FNPPR) a aussitôt transmis aux parlementaires les études qu’elle avait réalisées en 2016. La fin de la session parlementaire et la proximité des élections avaient rendu le planning très tendu. Et c’est finalement le 16 février, que 60 députés de droite emmenés par Christian Jacob, ont déposé leur demande d’annulation.

Le 16 mars, le Conseil constitutionnel concluait : « Sont contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles : le troisième alinéa de l’article 1er et l’intégralité de l’article 3 (relatif au droit de préemption sur les cessions partielles de parts sociales) ».  

Une décision qui a l’avantage de mettre définitivement un terme à ce sujet, tout en ayant fait largement connaître cette façon légale de prévenir l’intrusion des SAFER dans des contrats privés.

Note : le rapport de l’Inspection des finances et du CGARR remis en 2013 à son ministre vient seulement d’être rendu public quatre ans plus tard par décision de Michel Sapin. Un signe de la gêne des ministres de l’Agriculture qui se sont succédé depuis cette date face à un contenu incontestable rédigé par des experts de leur propre ministère.    


[1] Dans le domaine du logement cette tentation existe aussi, l’Etat aimerait pouvoir tout contrôler et attribuer à chacun un logement selon des standards définis, et selon son bon plaisir.

 

[2] Toujours en vente

[3] Les réformes des commissions d’attribution auraient mis un terme à ces pratiques.

[4] Wikipedia : Le closed shop, littéralement « boutique fermée » mais sémantiquement « monopole d'embauche ».  En France, un système équivalent a été mis en place par la CGT pour les ouvriers du livre ou encore pour les dockers.