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Rénovation thermique : en recherche d’efficacité

De tous les secteurs, celui du bâtiment est le plus gros utilisateur d’énergie, avec 45% de la consommation française. Sur les 100 milliards du Plan de relance de 2020, 6,7 milliards d’euros sont donc affectés à la rénovation thermique des bâtiments, déclarée axe prioritaire de lutte contre les émissions de CO. Le plan précédent, le Grand plan d’investissement de 2017 y avait déjà attribué 9 milliards d’euros, confirmant les politiques menées depuis le Grenelle de l’environnement de 2007. Au total, une quinzaine de milliards d’euros ont déjà été dépensés en subventions aux rénovations thermiques, et trois millions de logements et cent mille bâtiments du tertiaire privés et publics ont été traités. Quel retour d’expérience en tirer ?      

Réduire la consommation d’énergie pour diminuer les émissions de CO₂ est la stratégie constante des gouvernements français : Grenelle de l’environnement (2007), Débat national sur la transition énergétique (2013), Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte (2015), Stratégie nationale bas carbone de (2015 puis 2020), Grand plan d’investissement (2017), Convention citoyenne pour le climat (2020), Plan de relance (2020). Cette stratégie est déclinée sur les différents secteurs (transport, logement, tertiaire, agriculture, industrie) avec comme objectif final, une réduction de 50% de la consommation d’énergie en 2050. Cet objectif n’a jamais varié depuis 2007, sa déclinaison sur le bâtiment étant toujours prioritaire mais régulièrement mise à  jour :

Evolution des objectifs de réduction de la consommation d'énergie dans le bâtiment

Date

Plans gouvernementaux d'actions 

Objectif

2007

Grenelle de l’environnement

-38 % de 2007 à 2020

2013

Débat national sur la transition énergétique

-28 % en 2030

2015

Loi de transition énergétique et croissance verte

-20 % en 2030

2017

Grand plan d’investissement

-20% en 2030

2020

Plans de relance

-15% de 2010 à 2022

-28% de 2010 à 2030

 

Avec une quinzaine d’années de recul et une quinzaine de milliards d'euros dépensés, obtenir des réponses à deux questions essentielles est légitime : 

  • Les rénovations thermiques sont-elles économiquement rentables ?
  • Les rénovations thermiques se traduisent-elles par une baisse effective de la consommation d’énergie dans le secteur du bâtiment ?

Rentabilité des travaux de rénovation

Pour les logements existants, de nombreuses techniques sont utilisées pour réduire la consommation d’énergie, avec principalement le changement des portes et fenêtres, l’isolation des murs par l’intérieur ou l’extérieur, l’isolation des combles et de la toiture, le changement du mode de chauffage, la ventilation… Une bonne efficacité de ces travaux suppose un travail complexe de diagnostic préalable et de sélection des solutions. Malgré les millions de logements déjà traités, il est difficile de connaître les coûts des travaux effectués et leur efficacité. Dans les maisons individuelles, les quantifier est délicat, le bâti et les travaux étant très spécifiques. Et les HLM, qui ont déjà rénové des centaines de milliers de logements, souvent pour des travaux assez complets, publient très peu de données sur les résultats effectifs.

Les actions ponctuelles (changer les fenêtres, isoler les combles) sont les plus séduisantes pour les particuliers, mais les experts les estiment inefficaces et plaident pour des rénovations « complètes ». La moyenne des dépenses de rénovation privées est de 12.000 euros, correspondant à des travaux partiels. Pour des logements en mauvais état initial, l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) fixe des objectifs de 25 à 35% de baisse de la consommation d’énergie.  Leurs résultats obtenus ci-dessous pour des travaux allant de 15.000 à 86.000 euros par logement, sont basés sur des diagnostics énergétiques et sont donc théoriques, ne prenant pas en compte ce qui se passe avec des vrais habitants. 

Gains énergétiques moyens des dossiers « habiter mieux »

Propriétaires occupants

Propriétaires bailleurs

Syndicats de copropriété

Moyenne Globale

40,4 %

63,8 %

46,6 %

43,2 %

 

En pratique, les promesses de 40% d’économies se concrétisent très rarement, sauf dans des maisons individuelles d’habitants militant pour la baisse de leur consommation d’énergie, et acceptant les règles de vie correspondantes. Pour les immeubles à chauffage collectif, l’acceptabilité par les habitants de contraintes (ouverture des fenêtres, réglage des radiateurs) diminue rapidement avec la taille des immeubles. L’efficacité des « ambassadeurs » de l’énergie mis en place dans certaines villes ou immeubles pour former les habitants à une bonne utilisation du chauffage, reste douteuse.  

L’étude de l’Ecole des Mines portant sur 10.000 ménages de 2000 à 2013 constate que 1.000 euros de travaux permettent d’économiser 8,29 euros par an, et ne sont donc pas du tout rentables. Le rapport de la Cour des comptes européenne portant sur 5 pays étrangers, montre que le problème n’est pas franco-français, « les économies réalisées ne suffisant pas à récupérer l’investissement initial sur l’ensemble de la durée de vie des matériaux utilisés (30 ans) ». D’après Stefan Ambec et Claude Cramps chercheurs à la Toulouse school of economics interrogés par La Tribune, la situation est identique aux Etats-Unis avec un écart considérable entre les baisses théoriques de consommation et la réalité.

Enfin, même l’ADEME dans son rapport de 2018 admet que « le gain d’efficacité énergétique se révèle minime ». Seuls 25% des travaux ont permis de gagner une classe dans l’échelle des performances énergétiques qui va de A à G, et 5% ont gagné deux classes.

Le dilemme

En supposant que le chauffage d’une maison de 100 m² coûte 1.800 euros par an

Et que des travaux de rénovation complète coûtent 600 euros / m², donc 60.000 euros

Si les travaux réduisent la facture de 33%, donc de 600 euros par an

Il faudra 100 ans pour équilibrer cette dépense.

Niveau de consommation d’énergie

Il est décevant que des investissements massifs dans les rénovations thermiques ne soient pas rentables économiquement, mais réduisent-elles sensiblement la consommation d’énergie du secteur ?

D’après l’édition 2020 du rapport « Chiffres clefs de l’énergie, édition 2020 » publié par le ministère de l’écologie (DataLab), aucun des objectifs de réduction de consommation d’énergie dans le bâtiment n’est en passe d’être ni atteint ni approché, puisque la consommation d’énergie est stable depuis 20 ans dans les logements et dans le tertiaire.

 

DataLab : « La consommation énergétique du secteur résidentiel reste stable depuis 2000, à climat constant, et s’établit à 41,0 Mtep en 2019. »

DataLab : « Après avoir crû dans les années 2000, la consommation énergétique du secteur tertiaire, corrigée des variations climatiques, tend aujourd’hui à se stabiliser. »

Allemagne : un constat déprimant
Le Monde, 6 octobre 2020

"Dans un rapport publié début juillet, la GdW a relevé que plus de 340 milliards d’euros ont été investis au total dans la rénovation énergétique des bâtiments depuis 2010. Pourtant, la consommation énergétique est, depuis cette date, restée au même niveau. En 2010, un foyer consommait en moyenne 131 kilowatt/heure thermiques par mètre carré. En 2018, il en consomme… 130."

Conclusion

Les travaux de rénovation thermique sont utiles pour les habitants. Mais étant très rarement rentables sur le plan économique, les propriétaires sont peu motivés à les entreprendre. Le fait que des rénovations puissent être fortement subventionnées (jusqu’à 90%) ne change fondamentalement pas le problème : ces dépenses sont non rentables pour la société, au lieu d’être non rentables pour les ménages. Un fait qui milite pour limiter les rénovations énergétiques aux cas les moins « non rentables », dont on pense qu’ils ne seront pas détruits ou abandonnés d’ici quelques années. Les bâtiments les plus énergivores souffrent souvent d’autres handicaps (configuration inadaptée des logements, secteur abandonné par les populations, quartier nécessitant des restructurations profondes), les condamnant à terme. 

Dans l'immobilier, mais aussi dans les autres secteurs (ex. transport), la baisse des émissions de CO₂ ne doit pas reposer sur l'espoir d'une forte baisse de la consommation d’énergie. Une majorité de la population française n’accéde pas encore à la quantité d’énergie dont elle souhaiterait légitimement disposer. La baisse des émissions de CO₂ doit être principalement recherchée par l’utilisation de plus d’énergie décarbonée (nucléaire, solaire, éolien) ou moins carbonée (gaz).