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La fiscalité verte n’est pas mûre !

La condamnation du diesel, une grossière erreur ?

Les prix des carburants à la pompe, mais aussi du fuel domestique, s’envolent. La politique énergétique du gouvernement se trouve en prise avec tout un ensemble de problèmes qui rendent sa définition difficile : montée du prix du brut, engagements internationaux de diminution des effets de serre, renouvellement du parc automobile, lutte contre la pollution urbaine. De sorte qu’en ce moment, les Français se voient tout à la fois imposer une envolée des taxes, prévue pour diminuer la consommation mais d’autant plus insupportable que le brut s’envole lui aussi, en même temps que, contradictoirement, une forte incitation à dépenser pour l’achat de véhicules neufs (primes à la casse), sans oublier la promesse d’instaurer des péages urbains. Les Français ne comprennent pas et les protestations grandissent, surtout quand ils découvrent à quoi servent les taxes. Et d’autant plus que le diesel apparaît comme le bouc émissaire d’une problématique non résolue. Le gouvernement ne se fourvoie-t-il pas ?

Nous avons il y a quelques semaines dans ces colonnes, alerté les lecteurs sur le caractère bientôt insupportable de l’envolée des taxes sur les carburants et la TICPE en particulier, qui atteignent maintenant les deux-tiers du prix total du produit. De fait, les protestations montent en flèche sur les réseaux sociaux. Voici une pétition, parmi beaucoup d’autres, lancée par une habitante de Seine-et-Marne, étudiée dans un article du Parisien et bien significative.

« Quand j’ai vu mon plein passer de 45 à 70 euros, dit cette habitante, j’ai cherché à savoir de quoi était composé ce prix, explique la jeune femme de 32 ans. Je me suis rendu compte que le gouvernement pouvait agir en baissant les taxes. C’est donc ce que je lui demande. »  « On m’a dit il y a quelques années d’acheter une voiture diesel moins polluante et, maintenant, on nous dit le contraire. Je sens le ras-le-bol monter. » Et elle s’interroge ainsi : « Il est tout à fait honorable de chercher des solutions contre la pollution, mais la hausse des taxes n’en est pas une ! Et d’ailleurs, que financent-elles exactement ? » s’interroge-t-elle. « Plutôt de viser le portefeuille des conducteurs, elle souhaite que soient encouragés les biocarburants, les véhicules électriques ou le télétravail », ajoute le quotidien.

Plusieurs sujets sont concernés, qu’il nous faut approfondir :

- Les taxes vertes sont ou seront-elles supportables ?

- Sont-elles utiles en rapport avec la lutte contre le réchauffement climatique et la pollution, et quid de la distinction entre essence et gazole ?

-  A quoi le produit de ces taxes est-il utilisé ?

-  Que penser des primes à la conversion et à la casse dans ce contexte ?

Les taxes vertes ne seront vraisemblablement pas supportables –ni justes- dans un avenir proche

En 2013, la TICPE s’élevait à 42,8 centimes sur le gazole et 60,7 centimes sur le super sans plomb 95. En 2018, ces prix sont respectivement de 59,4 et 68,3 centimes. L’année prochaine, il est prévu que le litre de gazole augmente de 6,5 centimes, et celui du super de 2,9 centimes ? Mais il faut remarquer que d’ores-et-déjà une partie importante des distributeurs vend le gazole plus cher que le super 95. En 2022, l’augmentation devrait être, par rapport à 2017, de 12,73 centimes pour le litre d’essence et de 25,16 centimes pour le litre de super 95, soit au total pour la CCE (Contribution climat énergie, TICGN, (gaz naturel) compris) une augmentation de 15,4 milliards sur ces cinq années. C’est beaucoup trop.

Il faut ajouter que le taux réduit de la TICPE sur le gazole non routier sera par ailleurs supprimé pour les entreprises du secteur industriel et du bâtiment, et que le crédit d’impôt sur la transition écologique (CITE), qui permettait notamment de financer l’isolation d’un logement, sera revu à la baisse.

Le caractère supportable de ces augmentations dépend aussi beaucoup de l’évolution du prix du brut. C’est d’ailleurs la modération de ce dernier depuis 2015 qui avait masqué l’augmentation des taxes (qui sont indépendantes de l’évolution du prix du brut). Mais, actuellement autour de 80 dollars, un prix de 100 dollars, fortement envisagé, compliquerait encore la donne[1].

Le caractère injuste de ces augmentations doit aussi être souligné, car les Français sont loin d’être égaux devant l’usage de l’automobile, comme devant l’utilisation du fuel domestique. Les citadins disposent le plus souvent de transports en commun, alors que les ruraux ont un besoin quotidien de leur automobile, souvent une par personne ; les habitants du Nord de la France ont un besoin de se chauffer plus important que les méditerranéens. Ces besoins sont bien entendu irrépressibles.

Ces taxes ne sont pas réellement utiles ni justifiées en tant que taxes pigouviennes en rapport avec le réchauffement et la pollution, la distinction entre essence et gazole n’a pas vraiment de sens et la justification à l’encouragement à la voiture électrique est très douteux

La CCE est une taxe pigouvienne, créant un « signal-prix » destiné à freiner la consommation. Comme nous venons de le relever, l’utilisation de l’automobile présente des nécessités diverses selon les individus, mais elle est absolument irrépressible pour une grande partie de la population, et quant au fuel domestique, la question ne se pose même pas – sauf à changer de source d’énergie (voir plus loin). En d’autres termes quel que soit le prix des carburants les Français devront s’en acquitter, et devront être aidés pour ceux qui ne disposent pas de revenus suffisants. L’effet sur la consommation restera nul ou négligeable. L’habitante de Seine-et-Marne que nous avons citée n’a peut-être pas saisi ce que signifie une taxe pigouvienne, mais ne pas se servir d’une voiture individuelle n’est pas une option pour elle, et elle ne se trompe pas en affirmant que cette taxe n’est pas la solution et qu’il faut lui préférer des solutions issues du progrès technique. 

Il y a autre chose. Comme nous l’avons vu, la TICPE frappe actuellement, et pour le proche avenir, beaucoup plus le gazole que l’essence. Pour que cela ait un sens, il faudrait vraiment que le gazole soit plus dangereux que l’essence. Or, ce n’est pas le cas (voir ci-dessous encadré).

Diesel versus essence, entre pollution et réchauffement climatique

Disons tout de suite que le code de l’énergie, qui intègre la loi sur la transition énergétique du 17 août 2015, pose en priorité que « la politique énergétique nationale a pour objectifs premier de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% entre 1990 et 2030 et de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050 »…

Or les deux carburants n’ont pas la même façon de nuire. Le diesel a pour principal inconvénient de polluer par l’émission d’oxydes d’azote (NOx dont NO2) peu ou pas présents dans la combustion de l’essence. Ces gaz ont un grave inconvénient pour la santé (causes de cancers), mais peu ou pas d’effet sur le réchauffement climatique. En revanche, les émissions de carbone (CO2), qui ne polluent pas mais sont responsables de l’effet de serre, et à ce titre visées par le code l’énergie, sont présentes de façon quasiment égale dans la combustion du diesel et de l’essence[2].

Le problème est encore plus compliqué pour l’émission de particules fines. Tout d’abord une part très importante de cette émission ne provient pas des échappements, mais de l’abrasion des pneus, des freins et de la route (41% selon une étude de l’Observatoire de la qualité de l’air de Paris datant de 2015), et quasiment pas de progrès ne sont réalisés à ce sujet. Cette pollution est évidemment la même qu’il s’agisse de véhicules à moteurs diesel, à essence ou encore électriques. En ce qui concerne les émissions dues aux échappements, de très importants changements sont intervenus dans le temps. Depuis l’entrée en vigueur des normes Euro 5 et les filtres à particules, l’émission de particules par les moteurs diesel a considérablement diminué (de 50 à quelques milligrammes). En sens inverse, l’introduction de l’injection directe pour les moteurs à essence a eu pour conséquence d’augmenter, considérablement aussi, l’émission de particules. La norme Euro 6b (2015) a imposé de nouvelles limitations qui sont identiques pour les moteurs diesel et à essence. Ce point est très important car il montre l’intérêt de mettre au rebut les voitures anciennes, quel que soit le type de moteur (voir ci-dessous).

Ainsi, la nocivité des moteurs diesel a-t-elle été remarquablement diminuée, de telle sorte que l’on se trouve encore et avec retard sous le coup d’une réaction aux problèmes connus par Volkswagen alors que les progrès ont été réalisés depuis cette époque.

En résumé, les carburants automobiles que sont le gazole et l’essence paraissent bien égaux dans la nocivité tant du point de vue de l’effet de serre (CO2) que de l’émission des particules fines, sachant près de la moitié de ces émissions provient d’autres causes que l’échappement des moteurs. L’envolée de la TICPE en perd beaucoup de sa signification, surtout dans la mesure où elle concerne spécialement le gazole.

Alors, trouver d’autres sources d’énergie ?

Bien entendu, le moteur électrique se présente comme la solution, et les Français sont incités par le gouvernement à le croire. Mais beaucoup pensent qu’il s’agit d’un leurre destiné à endormir les inquiétudes de la population. En septembre 2017, Carlos Tavarès, patron de PSA, a agité le spectre d’un « electricgate », par référence au « dieselgate », en attirant l’attention sur le problème des batteries : leur fabrication nécessite l’extraction très polluante et coûteuse de métaux (lithium, cobalt) situés dans les terres rares situées en Chine ou ailleurs (mais pas en France…), les possibilités de recharge risquent de ne pas être à la hauteur des besoins, surtout si cette solution est celle choisie par l’ensemble des pays, leur recyclage pose un problème non encore résolu, le poids mort des batteries alourdit considérablement les véhicules et pèse sur la consommation…Il estime que le diesel a « gagné la partie technique, mais a perdu la partie politique » - comprenez la partie médiatique. « Toute cette agitation, tout ce chaos, va se retourner contre nous parce que nous aurons pris de mauvaises décisions dans des contextes émotionnels, pas suffisamment réfléchies et pas avec suffisamment de recul". Constatation très grave. D’autres études insistent sur le fait que, si l’on considère l’effet sur l’environnement de la source d’énergie électrique dans l’ensemble du cycle, production, recharge et recyclage des batteries compris, et bien que la consommation du véhicule soit très inférieure pour l’électricité, cet effet néfaste est au total au même niveau qu’avec les moteurs thermiques. Quant au spécialiste reconnu par tous, Jean-Marc Jancovici, il considère en substance l’encensement de la voiture électrique, tout au moins dans les circonstances actuelles, comme une fake news.[3]

En ce qui concerne l’énergie électrique pour usage domestique (mais il y a heureusement en France d’autres sources que l’électricité, dont l’énergie hydraulique pour 68%), elle est actuellement produite aux trois quarts à partir de la source nucléaire (quel est son avenir ?), dont le coût est, malgré sa faiblesse, supérieur à celui du fuel.

Les taxes ne financent pas la transition énergétique

C’est la dernière question que pose notre habitante de Seine-et-Marne. C’est aussi celle que posent nombre de politiques[4], et à laquelle nous avons répondu dans notre article cité ci-dessus : la TICPE, quatrième plus importante rentrée fiscale de la France, alimente le budget général de la France. Ainsi s’exprime l’Assemblée Nationale dans son rapport sur le PLF 2018 : « La hausse de la taxe carbone est donc avant tout mise en œuvre dans une logique de rendement budgétaire, au profit du budget général de l'État. Entre 2014 et 2016, la hausse des produits de la fiscalité énergétique a principalement servi à compenser une partie du coût du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ». Le rapport spécial du Sénat sur la transition écologique du PLF 2018, donne les chiffres suivants : "Sur les 3,9 milliards d'euros de recettes supplémentaires en 2018, seuls 184 millions d'euros de TICPE seront alloués au compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » pour financer les engagements passés au titre du développement des énergies renouvelables". Pas davantage le produit de ces taxes a-t-il été utilisé pour l’entretien du réseau routier, ce qui était traditionnellement sa raison d’être, et alors que des rapports récents alertent sur l’état très dégradé de ce réseau et des ouvrages d’art. De ce point de vue l’écologie apparaît comme un simple prétexte pour augmenter les prélèvements obligatoires.

L’argument du gouvernement, selon lequel la règle du droit budgétaire interdit d’affecter les recettes de l’Etat, n’est pas mise ici, car il n’est nullement question de créer une affectation obligatoire, mais de justifier l’instauration de cette taxe, sachant que son « signal prix » pigouvien ne suffit pas comme nous l’avons vu à la justifier.

Le renouvellement du parc automobile aux normes modernes est le meilleur moyen de lutte contre la pollution et l’effet de serre.

Le gouvernement s’est engagé dans deux voies simultanées et contradictoires. Dans le même temps qu’il pénalise la consommation de carburants dans le but avoué de diminuer l’usage des véhicules particuliers, il incite à l’achat de voitures moins anciennes par l’octroi sur les fonds publics de primes à la conversion, auxquelles doivent bientôt s’ajouter des primes à la casse accordées par les constructeurs. Les primes à la conversion permettent de recevoir 1.000 € (foyers imposables) ou 2.000 € (foyers non imposables), à condition de mettre au rebut des véhicules antérieurs à 2006 ou 2001 respectivement. Les voitures –neuves ou d’occasion – acquises en remplacement, soit doivent avoir un taux de CO2 inférieur à 130 grammes, soit être classées au maximum Crit’air 2, c’est-à-dire peuvent être aussi anciens que 2011 et répondre aux normes Euro 5 en diesel ou Euro 4 en essence. La prime est de 2.500 € pour l’acquisition de véhicules électriques.

Ces deux mesures obligent l’une et l’autre à la dépense. La prime a beau être doublée pour les ménages non imposables, elle n’atteint qu’un cinquième au plus du coût d’une voiture neuve, et n’est pas suffisante pour convaincre les ménages modestes de cette acquisition, particulièrement s’ils sont ruraux et ne peuvent pas se passer d’utiliser quotidiennement une voiture. Ils garderont donc leur vieille voiture. Si l’acquisition porte sur une voiture d’occasion, elle n’engendrera pas de richesse pour la collectivité et contribuera peu à la lutte contre la pollution et l’effet de serre, compte tenu que les normes Euro 4 et 5 n’ont pas fait faire à la lutte écologique le bond que l’on constate maintenant avec la norme Euro 6 (voir ci-dessous). De l’autre côté de l’échelle des revenus, comme des reportages télévisuels l’ont montré, la prime sera utilisée pour acquérir des voitures plus puissantes, ce qui n’est pas le but de la mesure.

Et pourtant…comme nous l’avons vu, un progrès technique considérable a été réalisé pour diminuer la nocivité des moteurs à essence et diesel, tant du point de vue du réchauffement climatique que de celui de la santé. Or le parc automobile français est de plus en plus vieillissant : son âge moyen était de 10 ans, il est maintenant de 12 ans, ce qui signifie qu’une petite minorité seulement des voitures françaises respecte les normes européennes récentes.

Il y a douze ans, la norme Euro 4 venait à peine d’être édictée. A titre d’exemple l’émission d’oxydes d’azote (NOx, la plus polluante) par les moteurs diesel était à la norme 500 en 2006, elle vient de passer à la norme 80 en septembre 2018 (Euro 6c) ; pour les particules PM, la norme était à 140 en 1993, 25 en 2006, et 4,5 en 2018. Cette dernière est seulement depuis septembre 2018 commune aux moteurs à essence à injection directe.

Ce qui démontre tout à la fois à quel point le parc français est ancien et quels progrès écologiques considérables peuvent être réalisés avec le renouvellement du parc automobile. A supposer que tout le parc automobile français soit conforme à la norme Euro 6b, il est vraisemblable que l’on jugerait négligeable l’effet écologiquement néfaste des carburants automobiles, surtout si l’on tient compte des autres causes de pollution engendrées par la circulation automobile (abrasion des pneus, des freins et des chaussées)[5]. Ce qui milite fortement pour une accélération du renouvellement du parc, et en faveur des mesures y incitant. Ce qui devrait aussi faire sérieusement réfléchir le législateur sur l’opportunité d’augmenter les taxes comme la TICPE, et de favoriser le développement des moteurs électriques, faussement encensés comme étant la solution de nature à apaiser les inquiétudes.

 


[1] Le prix du brut rentre pour environ 28% dans le prix à la pompe.

[2] Il y a des discussions techniques sur ce point. Il était généralement admis que l’essence émettait plus de CO2. Une étude de l’ONG Transport et environnement conteste cependant cette conclusion, en tenant compte des consommations respectives, mais a le défaut de ne pas comparer les moteurs de même puissance, et de ne pas tenir compte du fait que les moteurs diesel équipent en général des modèles plus gros et lourds que les moteurs à essence. La question se complique encore du fait que les émissions de particules fines semblent avoir l’effet bénéfique de contrer l’effet de serre de façon non négligeable, de sorte que diminuer la consommation de gazole requerrait de diminuer plus que prévu la consommation d’essence pour un effet égal au total…

[3] https://jancovici.com/publications-et-co/interviews/une-interview-dans-sud-ouest-sur-la-voiture-electrique/. Ses principaux arguments : au plan mondial, 40% de l’électricité est produite avec du charbon (la moitié en Allemagne, aux EU 30%de charbon et 35% de gaz) ; il faut autant d’énergie pour produire la batterie que pour le reste du véhicule ; il y a un doute sérieux sur la suffisance des réserves en lithium ; il ne serait pas pensable de recharger tous les soirs 30 millions de véhicules électriques…

[4] Et en particulier Ségolène Royal, qui accuse de « malhonnêteté » (intellectuelle s’entend !) le gouvernement, lequel ne fait cependant que suivre en la matière les décisions prises par ses prédécesseurs.

[5] Sans parler des actions nécessaires au niveau de la planète et pas seulement de la France, ni par exemple du trafic aérien dont on nous dit qu’il doit doubler dans les vingt ans.