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La fiscalité verte ne financera pas la protection sociale

La fiscalité verte, c'est la solution vers laquelle semble s'orienter le gouvernement, pour (éventuellement) financer l'allègement des charges patronales en faveur des entreprises. On comprend bien pourquoi il faut faire preuve d'imagination pour atteindre cet objectif. Comme nous l'avons évoqué la semaine dernière, la piste de la TVA étant écartée, on se rend compte que celle de la CSG, un temps vantée par François Hollande mais récemment récusée par Michel Sapin, n'est pas meilleure et qu'elle va peser en presque totalité sur les revenus du travail ou (pire encore ?) sur ceux des chômeurs et des retraités. D'où l'idée de mettre à profit la fiscalité verte. A première vue l'idée est brillante et offre même ce qu'on pourrait appeler un « triple dividende » : du point de vue de l'acceptabilité de la mesure, on n'augmente pas les charges qui pèsent sur les salariés, on réoriente les comportements condamnables, et enfin on trouve de nouvelles ressources.

Le Premier ministre s'est ainsi exprimé vendredi dernier, lors de la clôture de la conférence environnementale : « J'ai la conviction que nous pouvons construire une fiscalité écologique qui soit juste socialement, qui favorise l'innovation et la croissance économique et qui améliore aussi la compétitivité de nos entreprises et qui garantisse le financement de notre protection sociale ». Cela semble donc indiquer que l'augmentation de la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP), augmentation d'ailleurs ciblée sur les seuls rejets atmosphériques, principale mesure fiscale annoncée, a pour vocation de financer la protection sociale. C'est ainsi en tout cas qu'un Bernard Thibault sceptique et toujours direct a compris cette annonce : « On va avoir besoin que les gens polluent de plus en plus pour financer la protection sociale ! ».

Une goutte d'eau dans la mer des financements nécessaires.

Critique bien vue pourrait-on dire. Sauf qu'il faudrait vraiment une gigantesque augmentation de la pollution (évidemment non souhaitable) pour en arriver là ! Le rendement de la TGAP au total est d'environ 0,5 milliard d'euros, cependant que la protection sociale a besoin de 650 milliards, et que la seule baisse envisagée des charges patronales signifie le basculement de 30 à 50 milliards sur d'autres sources comme l'indique Louis Gallois. Cent fois plus…

Que le Premier ministre veuille envoyer un « signal-prix » aux pollueurs, on n'a rien contre, encore que nous soyons tous des pollueurs puisque nous sommes les destinataires derniers et profiteurs de la pollution créée par les entreprises dont nous utilisons les produits et services. Mais qu'il prétende en même temps améliorer la compétitivité des entreprises et garantir le financement de la protection sociale relève du parfait mensonge politique. Les chiffres ci-dessus le démontrent.

Par ailleurs, ou bien la taxe va avoir l'effet voulu du point de vue écologique, et nous polluerons de moins en moins, non pas « de plus en plus » comme l'indique Bernard Thibault, et donc la taxe financera encore moins la protection sociale, ou bien les entreprises devront absorber des charges supplémentaires sur leur production, ce qui diminuera encore leur compétitivité, ou bien encore ces entreprises répercuteront sur les consommateurs leurs surcoûts de production. Dans ce dernier cas, on voudrait bien qu'on nous explique en quoi la solution est différente d'une taxe sur la consommation, autrement dit d'une augmentation de la TVA, mesure décidée par le précédent gouvernement et bannie par l'actuel.

La TGAP est affectée à la lutte contre la pollution et doit le rester.

En 2011 la TGAP a procuré 510 millions de ressources, dont 489 ont été affectés au financement de l'Agence pour l'Environnement et la Maîtrise de l'Energie (ADEME) et 21 millions à l'État. Comme il est normal et souhaitable, la quasi-totalité de la TGAP sert donc à financer l'action de l'État dans le domaine de l'écologie, et en particulier dans celui de la pollution atmosphérique.

Comment donc le Premier ministre peut-il prétendre assigner à la fiscalité écologique le triple rôle de favoriser l'innovation et la croissance (soit), améliorer la compétitivité des entreprises ( ??, la fiscalité augmentant les charges), et enfin garantir le « financement de notre protection sociale » (sûrement pas) ? Ou alors ceux qui l'ont écouté, tel Bernard Thibault ou encore la presse économique, auraient-ils mal compris ce que voulait dire le Premier ministre, lequel n'aurait nullement parlé d'affecter une augmentation de la fiscalité verte à la baisse des charges patronales et ne se serait contenté que d'un vague rappel des effets bénéfiques tous azimuts d'une croissance qui serait due à l'économie écologique ? Ne restez pas dans le flou, Monsieur Ayrault !

La fuite devant la réalité.

On ne résoudra pas les problèmes que pose le financement des 650 milliards de la protection sociale avec des recettes de poche détournées au surplus de leur objectif premier. Il faut reconnaître une fois pour toutes qu'on ne peut avoir le beurre (le très haut niveau de protection) et l'argent du beurre (une ponction minimale sur les revenus). Une si importante dépense nécessite des ressources portant sur l'assiette la plus large possible, et il ne peut s'agir que des impôts rapportant le plus : la TVA, la CSG ou l'IR… ou les trois à la fois. Si l'objectif est, non seulement celui de diminuer le déficit existant (près de 15 milliards pour la seule Sécurité sociale), mais aussi de décharger les entreprises, les Français ont le marché en main : ou bien ils acceptent une baisse drastique de la partie de leurs revenus dont ils peuvent disposer librement, ou bien ils se résignent à réduire vraiment leurs dépenses de protection sociale. Au point où nous en sommes, il serait navrant de continuer à les endormir.