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Exploitations agricoles : la France avant-dernière de l’UE pour leur taille

« Trop de grandes exploitations » et « Trop d’exploitants agricoles étrangers », sont les deux cibles visées par la nouvelle loi Sempastous, préparée à la demande des Sociétés d’aménagement foncier et rural (SAFER). Votée par l’Assemblée nationale en juin 2021, elle sera examinée le 4 novembre 2021 par le Sénat. Mais le Diagnostic complet de l’agriculture française que vient de publier le ministère de l’Agriculture lui-même, ne remet-il pas en question les hypothèses utilisées pour justifier cette nouvelle loi ? Ses données vont être confirmées dès le mois prochain par la publication des très attendus résultats du recensement agricole décennal.

Trop de grandes exploitations ? 

Les « agrandissements excessifs » des exploitations agricoles en France sont la première cible visée par la nouvelle loi « Sempastous » qui propose de renforcer les pouvoirs des SAFER. Mais avant de voter, les sénateurs auront eu la chance de disposer d’un tout nouveau et remarquable « état des lieux » de notre agriculture, réalisé par le ministère de l’Agriculture. Un document exigé par Bruxelles pour préparer l’application de la nouvelle Politique agricole commune (PAC) de 2023, le Diagnostic complet (mai 2021), partie du futur Plan Stratégique National de la PAC 2023-2027.

Ce document de 278 pages souligne les nombreux problèmes de notre agriculture, mais pas du tout ceux visés par la nouvelle loi.  Dès son introduction (page 19) il présente le diagramme suivant classant les pays européens par taux de concentration des terres agricoles. Avec 52% des terres agricoles exploitées par les 20% des plus grandes exploitations, la France se classe avant dernière, suivie seulement par le Luxembourg qui constitue un cas très peu représentatif.   

Pourcentage de la surface agricole utile (SAU) du pays
exploité par les 20% d'exploitations agricoles de plus grande taille

Note de lecture : En France, les 20% plus grandes exploitations exploitent 52% des terres agricoles (et perçoivent 51% des aides PAC). Les agricultures de nos principaux concurrents sont tous beaucoup plus concentrées : Allemagne 71%, Italie 74%, Espagne 80%, Pologne 70%, Roumanie 82%, Danemark 75%.

Trop d’investisseurs étrangers ?

Lettre de mission du ministre de l’Agriculture

au Conseil général de l’agriculture (CGAAER)

avril 2017

C’est bien l’achat par un entrepreneur chinois de deux exploitations de 1.500 hectares qui est visé par cette nouvelle loi renforçant le pouvoir de contrôle des SAFER sur ces transactions. Cet entrepreneur avait l’intention de lancer en Chine des produits de boulangerie français faits à partir de blé français. Un projet qui cumulait gratuitement tous les avantages :

1) un investissement étranger conforme aux campagnes gouvernementales du Choose France ;

2) la certitude que ce blé serait exporté en Chine[1] ;

3) plus de visibilité à l’étranger pour la qualité France.

Le fait que ce projet n’ait pas pour le moment réussi, ne le condamne pas.

Une vague de protestation similaire est régulièrement lancée chaque fois qu’un étranger achète un vignoble comme cela avait été le cas avec l’acquisition par un chinois du château Gevrey-Chambertin (en mauvais état) et ses 2 hectares. Avant de constater que cela a été très positif pour les vins français à l’étranger.

On comprend que la SAFER locale regrette de ne pas avoir été impliquée dans cette transaction : au taux de 5%, elle lui aurait rapporté 400.000 euros.  

L’exploitation de Gevrey-Chambertin confiée à un Français

L'exploitation des vignes a été confiée par son nouveau propriétaire au Domaine Rousseau, et « n'échappera donc pas à un viticulteur de la commune », s'est réjoui le maire. « Comme tout le monde, j'aurais peut-être préféré que ce soit (un rachat) franco-français », a déclaré le maire auprès de l'AFP. Mais l'investisseur chinois « est un amoureux de la Bourgogne et de Gevrey qui va mettre beaucoup d'argent pour la restauration du château ».

Le plus incompréhensible est atteint quand des intervenants disent redouter que les productions réalisées en France par des étrangers ne soient exportées, nous privant de nourritures. Un comble, alors que les producteurs français de porcs, bovins, volailles, fruits ou céréales doivent faire de gros efforts pour exporter.

Au-delà des étrangers des pays lointains, même les étrangers de l’Union européenne rencontrent de très grandes difficultés à s’installer en France malgré le faible prix des terres agricoles, mais face à la complexité des différentes strates politiques-syndicales-administratives. Au moment où les départs en retraite des agriculteurs vont être massifs et où les syndicats, les politiques et les partants se plaignent de ne pas trouver de repreneurs, ces pratiques défensives, sont incompréhensibles et contre-productives.

Une vague d’achats étrangers est régulièrement annoncée, mais d’après le ministère de l’agriculture (mission CGAAER) les achats de propriétés agricoles par des étrangers sont marginales et ne portent que sur moins de 1% des transactions annuelles.  Interrogées par le ministère, seules 4 régions se sont senties concernées et ont répondu, conduisant le CGAAER à conclure (page 28) que « les investissements par des étrangers ne représentent pas un sujet majeur ».

Région

Présence étrangère : Données chiffrées

Auvergne Rhône Alpes

404 acquisitions entre 2000 et 2016

Provence Alpes Côte d’Azur

0,45% de la surface agricole utile

Bourgogne Franche Comté

76 acquisitions, dont 7 domaines viticoles,
 420 hectares de 2000 à 2016

Nouvelle Aquitaine

150 domaines agricoles chinois

 

Au-delà de ces chiffres, les commentaires des organismes professionnels sont en général rassurants : « Nouvelle Aquitaine : un phénomène ancien admis par la profession agricole », « Var : des investissements importants sont venus dynamiser le développement de ces domaines et les salariés ont conservé leur emploi[2] ».  Et le succès des vins rosés aux Etats-Unis doit beaucoup aux investissements des stars américaines en Provence.   

Conclusion

Au vu de ces nouvelles données, la loi Sempastous n’est justifiée ni pour protéger la France contre une vague d’achats étrangers de propriétés agricoles, ni pour lutter contre un agrandissement des propriétés agricoles, très loin d’être excessif en France.

Il est temps de mettre au placard ces préjugés, de s’attaquer aux vrais problèmes avec de vraies solutions. La terrible pyramide des âges[3] des agriculteurs montre qu’il est urgent d’agir. Mais surtout pas de remplacer des agriculteurs âgés sur des exploitations non rentables par des agriculteurs jeunes sur les mêmes exploitations non rentables, comme le promeuvent fortement les syndicats agricoles, et les gouvernements, au moins dans leurs discours. Rencontrant les mêmes difficultés, les jeunes ne les supporteront pas, donnant lieu à de pires crises de désespoir. Mais au lieu de lutter en vain contre la baisse inéluctable du nombre d’exploitations, le rôle de l’Etat et de la profession est de favoriser la constitution d’entreprises disposant de capitaux suffisants, concurrentielles au moins au niveau européen, rentables dans des conditions d’exploitation acceptables (temps de travail, revenus). Le tout en respectant les règles de respect de la nature fixées par Paris et Bruxelles. 

Alors qu’un tiers des chefs d’exploitation partant en retraite se plaignent de ne pas trouver de « repreneur » au sens de remplaçant à l’identique, les notaires et les SAFER constatent que pour chaque exploitation mise en vente, il y a au contraire de nombreux candidats acheteurs (de trois à une vingtaine dans les cas étudiés). Mis à part des zones très particulières, il n’y a pas de risque de délaissement important des terres agricoles rentables en France. Un plan de restructuration des exploitations agricoles, déficitaires année après année  avant les subventions PAC, améliorerait au fond et durablement la situation de l’agriculture française. Une nouvelle et forte relance des Indemnités viagères de départ devrait amorcer ce renouveau.  

Avec cette loi Sempastous, c’est la troisième fois que les SAFER cherchent à contourner les décisions du Conseil Constitutionnel qui avait déclaré inconstitutionnelles les deux précédentes pour atteinte au droit fondamental de la propriété et perturbation du fonctionnement des exploitations agricoles en sociétés, qui risquent de voir arriver à leur capital des actionnaires inconnus. Les sénateurs ont déjà approuvé des correctifs minimums à la loi Sempastous, faisant remarquer avec bon sens « qu’une exploitation agricole dont la surface est égale à la surface moyenne ne peut pas être considérée comme excessive ». Et surtout en restreignant le rôle des SAFER « pour les protéger d’éventuels conflits d’intérêts » (sic), les SAFER étant accusées (y compris par la Cour des comptes) de s’entremettre ou d’intervenir sans raison valable, sans réelle justification, seulement pour percevoir leur commission. Le Sénat ne devrait pas s’exposer à une nouvelle condamnation de la part du Conseil constitutionnel en prêtant sa force aux intérêts privés des SAFER qui cherchent à maintenir leur source de revenus prélevés aux dépens de l’agriculture française, des agriculteurs, des collectivités locales et de l’État.   

 

 

 

 

 


[1] Au moment où la concurrence des productions de blé en plein développement (Russie, Ukraine, Kazakhstan) se fait sévère sur nos marchés traditionnels

[2] Et sans doute aussi améliorer la notoriété des vignobles voisins

[3] Qui a encore empiré entre 2017 et 2021, la cohorte maximum est maintenant à 61 ans.