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Des ZFE trop rigides et déjà obsolètes

Il faut s'étonner que ce soit l'étude d'impact de la loi Climat et Résilience qui prévienne que « sans dispositif incitatif supplémentaire, les vignettes Crit'air 5, 4 ou 3 disparaîtront naturellement à horizon 2028 ». Alors que de plus en plus de villes françaises reculent sur la mise en place des ZFE et ce, même à Paris qui a décidé de décaler les prochaines échéances après les Jeux Olympiques de l'été 2024 et alors que même les pouvoirs publics sont en retard pour installer les contrôles automatiques, il apparait que la date butoir de 2028 où le parc automobile des Français se modernisera naturellement approche à grand pas. 

La Fondation propose ici un tour des réglementations actuelles et futures en France et comparaison avec ce qui est prévu dans des pays européens pour comprendre davantage les enjeux des ZFE... et pourquoi de plus en plus de villes reculent sur le sujet.

Tour de France des ZFE : ce qui est déjà en place et les échéances à venir

En France, onze métropoles ont déjà installé des zones à faibles émissions : le Grand Paris, Lyon, Aix-Marseille, Toulouse, Nice, Montpellier, Strasbourg, Grenoble, Rouen, Reims et Saint-Étienne. Les ZFE, ou plus précisément les ZFE-m (zone à faibles émissions mobilité) ont été créées en 2019 par la loi d'orientation des mobilités, sous l'égide de la ministre des Transports d'alors, Elisabeth Borne. En cas de non-respect de ces dernières, les usagers risquent des amendes à hauteur de 68 euros pour les automobilistes et 135 pour les chauffeurs de poids lourds, les ZFE viennent ainsi s'ajouter aux nombreuses nouvelles sanctions qu'ils encourent (passage aux 80 km/h, 30 km/h dans certaines villes, radars anti-bruit, etc).

Il faut souligner que le nombre de communes touchées par la ZFE peut être trés hétérogène : pour le Grand Paris, ce sont 79 des 131 communes (soit une zone peuplée de 5,6 millions d'habitants), tandis que pour Saint-Etienne Métropole, ce ne sont que 6 des 53 communes. Dans la Métropole Nice Côte d'Azur, la ZFE ne se situe que dans l'hypercentre de la ville, tandis quasiment l'ensemble de l'Eurométropole de Strasbourg est recouverte.

Ces ZFE fonctionnent selon la classification Crit'air, qui répertorie le niveau de pollution des véhicules sur une échelle de 1 à 5 (5 étant réservé aux plus polluants). A noter que les véhicules gaz et hybrides rechargeables bénéficient de la vignette Crit'air 1 et les véhicules électriques et hydrogène disposent d'une vignette Crit'air spéciale zéro-émissions (ou Crit'air E).

 

Norme Crit'air

Date de la première immatriculation VoitureNéhicule

utilitaire diesel

Date de la première immatriculation VoitureNéhicule utilitaire

essence

Pourcentage des véhicules en circulation

E  1%

1

 

à partir de 2011

28%

2

à partir de 2011

2006-2010

37%

3

2006-2010

1997-2005

22%

4

2001-2005

 

7%

5 et non classé

1997-2000

(avant 1997 pour les non-classés)

(avant 1997 pour les non-classés)

5%

Aujourd'hui, seulement une minorité de ZFE sont contrôlées car les contrôles automatisés (via le vidéo-verbalisation) ont pris du retard, le gouvernement a annoncé qu'il ne commencerait qu'en 2024, soit avec 2 ans de retard. Si les raisons de ce report ne sont pas connues, Etienne Chaufour, directeur lie-de-France de l'association France Urbaine évoque un problème de marché public et des problèmes d'homologation. Il semble donc que les pouvoirs publics aient, eux même, des difficultés à suivre la cadence soutenue et contrainte qu'ils imposent aux Français pour renouveler leur parc automobile.

Les ZFE en France, au 1er mars 2023

Concernant les ZFE déjà appliquées, si certaines se concentrent sur les véhicules lourds, certaines sont particulièrement strictes :

  • Dans la Métropole de Lyon, le projet initial de ZFE requérait d'avoir au pire une vignette Crit'air 1 pour circuler dans la ZFE en 2026.
  • Dans le Grand Paris, l'échéance est plus juste encore, avec l'interdiction des Crit'air 2 au 1er janvier 2024 tandis que les Crit'air 1 le seront à leur tour à l'horizon 2030. A l'origine, les ZFE s'attaquaient surtout aux véhicules Crit'air 4 et 5, voire 3.
  • Dans les métropoles d'Aix-Marseille, de Toulon et de Montpellier, seulement les Crit'air 5 et non classés seront bannis de la circulation dans la zone à faibles émissions.

Autrement, notons que certaines des plus grandes métropoles comme Lille et Bordeaux (respectivement plus d'1,1 million et 800 000 habitants) n'ont pas encore mis en place de ZFE.

Néanmoins, la Loi Climat et Résilience de 2021 impose qu'au 31 décembre 2024, toutes les agglomérations de plus de 150.000 habitants, devront mettre en place un ZFE. Le nombre de ZFE passera donc à 43 et dans ces territoires, la loi prévoit comme trajectoire l'interdiction des Crit'Air 5 en 2023, des Crit'air 4 en 2024 et des Crit'Air 3 en 2025. Des échéances qui loucheront les 52% de Français qui vivent dans une agglomération de plus de 150 000 habitants ... mais également ceux qui travaillent, étudient et consomment dans ces agglomérations. Ces automobilistes réguliers ou occasionnels en agglomération, ceux qui ne peuvent pas prendre les transports en commun ou le vélo, devront alors se procurer un véhicule Crit'Air E ou 1. Sur l'ensemble du parc automobile, l'interdiction des Crit'Air « non classé », 5, 4 et 4 toucheraient 71% des véhicules en circulation actuellement. Fabien Roussel, quand à lui, estimait sur France lnfo en février 2023, qu'il s'agissait « d'une bombe sociale parce qu'il y a aujourd'hui 10 millions d'automobilistes qui ont des véhicules Crit air 3, 4 et 5 qui vont être interdits de se déplacer»

On notera que l'étude d'impact de la loi ne donne pas de données sur le nombre de Français concernés par ce calendrier, ni sur l'impact économique pour les particuliers... néanmoins, il souligne qu'au rythme actuel et que « sans dispositif incitatif supplémentaire, les vignettes Crit'air 5, 4 ou 3 disparaîtront naturellement à horizon 2028 ». La loi et le rythme imposé par les pouvoirs publics ne feraient donc gagner que 2 ans sur un phénomène déjà en cours...

 

La fin du secteur des véhicules d'occasion ?

Au vu de la répartition des vignettes Crit'air, l'instauration des ZFE risque donc d'exclure une grande partie des automobilistes des grandes villes. Certaines municipalités ont décidé d'accompagner la création de ZFE de primes à l'achat d'une voiture propre. En plus des primes gouvernementales, les habitants des 43 ZFE pourront toucher 1 000 euros à cet effet. De plus, certaines métropoles mettent en place une aide à l'échelle locale, comme l'Eurométropole de Strasbourg, qui promet jusqu'à 3 500 euros d'aide à la conversion pour une voiture. Pourtant, des associations (Secours catholique, le Réseau action climat et Transport & Environment) pointent l'insuffisance de ces aides. En outre, cela atténue le coût pour les habitants des grandes métropoles, mais les personnes en zone périphérique qui viennent travailler quotidiennement en sont souvent exclues.

Le risque est une division encore plus marquée du territoire entre centres et périphéries. Les voitures Crit'air 1 et E représentent moins de 30% du parc automobile français. On pourrait penser que le parc se renouvelle, et que les Crit'air polluants vont disparaître. En effet, le diesel, exclu des ZFE les plus ambitieuses, ne représente que 16% des ventes de voitures neuves en 2022. Mais c'est oublier que l'écrasante majorité (77%) des voitures achetées sont d'occasion. Sur les voitures d'occasion achetées en 2022 (on est en droit d'imaginer que la plupart des acheteurs comptent la garder au moins jusqu'en 2025) , on a :

  • 1,4% de Crit'air E;
  • 30,6% de Crit'air 1;
  • 36,7% de Crit'air 2;
  • 20,6% de Crit'air 3;
  • 6,5% de Crit'air 4;
  • 4,2% de Crit'air 5 et non classés.

Ces chiffres sont semblables à ceux du parc automobile actuel dans son ensemble. La dynamique de remplacement des voitures jugées trop polluantes pour ces métropoles est donc trop lente. En bref, selon l'association 40 millions d'automobilistes, les ZFE signifient qu'en 2025, un véhicule sur deux serait interdit de rouler dans les agglomérations de plus de 150 000

Les premiers reculs

Face à tous ces risques, et parce que la crise des gilets jaunes est encore très présente dans l'esprit des autorités, de nombreuses municipalités ralentissent leur programme concernant les zones à faibles émissions.

  • La Métropole Grand Reims devait étendre les restrictions qui sanctionnent déjà les véhicules Crit'air 4 et 5 aux Crit'air 3, mais la mairie a décidé d'appliquer un moratoire à cette décision, étant donné que la qualité de l'air s'améliore de toute manière.
  • A Lyon, la Métropole a jugé que le calendrier était trop court. Les véhicules Crit'air 3 et à moyen terme Crit'air 2, qui sont dans le viseur des ZFE plus strictes, sont encore très répandus chez les Français.
  • A Paris, l'extension de la ZFE aux Crit'air 3 se produira seulement après les Jeux olympiques de l'été 2024, sous l'impulsion de la région Île-de- France, alors qu'au départ, il était question de 2022, puis du 1er janvier 2024. 

Le Sénat a également mis en garde le gouvernement sur cette question en mettant en avant les risques de fractures sociales et territoriales d'une mesure trop restrictive. En effet, les automobilistes sont souvent opposés, et ignorent même le fonctionnement des ZFE : en Île-de-France, 4 habitants sur 10 ne savent pas que le Grand Paris est devenu une ZFE, et seulement 36% connaissent la vignette de leur véhicule.

Equivalences entre normes Crit'air et Euro

Avant de décrire la situation dans certaines villes européennes, voici un tableau qui montre à quoi correspondent les normes "Euro", qui permettent de comparer entre chaque système national :

 

Norme Euro

 

Dates de validité

 

Norme Crit'Air essence

 

Norme Crit'Air diesel

 

Euro 1

 

1993-1996

 

Non classé

 

Non classé

 

Euro2

 

1996- 2001

 

Crit'Air 3

 

Crit'Air 5

 

Euro3

 

2001-2006

 

Crit'Air 3

 

Crit'Air4

 

Euro4

 

2006-2011

 

Crit'Air 2

 

Crit'Air 3

 

Euro 5

 

2011-2015

 

Crit'Air 1

 

Crit'Air 2

La norme Euro 6 concerne quant à elle :

  • Euro 6b (du 1er septembre 2015 au 1er septembre 2018)
  • Euro 6c (du 1er septembre 2018 au 1er septembre 2019) ;
  • Euro 6d-TEMP (du 1er septembre 2019 au 1er janvier 2021);
  • Euro 6d (à compter du 1er janvier 2021).

La Commission européenne a prévu d'introduire une nouvelle norme, Euro 7, à partir de 2025, qui a pour objectif de baisser de 35% les émissions d'oxydes d'azote des voitures particulières et des utilitaires légers par rapport à la norme Euro 6. Selon Luca de Meo, patron de Renault, le surcoût à l'achat d'un véhicule Euro 7 serait de 2 000 euros. Selon son homologue de Volkswagen, cela pourrait aller jusqu'à 5 000 euros. Mais pour l'heure, aucun véhicule ne dispose de cette norme

Le système des zones à basses émissions en Belgique et en Allemagne

Trois villes belges ont pour l'instant mis en place des ZFE (dites zones basses émissions ou low emission zone LEZ en anglais) : Bruxelles, Gand et Anvers.

Dans la capitale du royaume, les voitures diesel sont quasiment bannies de la LEZ. Actuellement, seuls les Euro 5 et 6 (ce qui équivaut au Crit'air 2) peuvent rouler au diesel dans la zone, qui recouvre la région Bruxelles-Capitale, à l'exception de quelques grands axes périphériques. En 2025, il ne restera que les Euro 6 pour les voitures diesel. En ce qui concerne les véhicules essence, ils sont autorisés à partir du niveau Euro 2 actuellement (Crit'air 3 maximum). En 2025, le minimum sera le label Euro 3. En 2030, le diesel sera interdit intégralement.

A Anvers comme à Gand, actuellement, seuls les diesels Euro 5 et 6 peuvent circuler. Une exception est faite pour les diesels Euro 4 (Crit'air 3), mais ils doivent s'acquitter d'un péage de 35 euros par jour. A partir de 2025, ceux-ci seront bannis. Seuls les Euro 6 et 7 pourront rouler gratuitement dans ces villes, les Euro 5 devenant payants. En 2027, on rebascule, et seuls les Euro 7 ainsi que certains Euro 6 (6d; 6d TEMP) pourront circuler, tandis que les Euro 6 classiques devront payer. Au niveau des véhicules essence, seuls les Euro 1 sont bannis pour l'instant (les non-classés), les Euro 2 en 2025 et les Euro 3 en 2026 (soit des Crit'air 3). Enfin, en 2031, le diesel sera purement et simplement interdit dans les deux villes. Quelques critiques ont été adressées à ces LEZ. D'abord, les Belges ne fonctionnent pas avec des vignettes, mais associent la plaque d'immatriculation à la norme Euro, ce qui fait que des voitures étrangères sont obligées de s'enregistrer au préalable pour circuler dans l'une des trois grandes villes. Ensuite, les plaques sont "flashées" par des radars si elles correspondent à une norme trop polluante. Cela a donné lieu à des amendes à hauteur de 150 euros adressées à des touristes Français alors même qu'ils avaient un véhicule propre. Sinon, le tarif de 35 euros par jour dans les deux villes flamandes semble également élevé, surtout pour des véhicules quasiment neufs, et qui auraient un Crit'air 1 en France. Enfin, certains Belges sont confrontés à des disparités incompréhensibles entre régions.

Outre-Rhin, le système de zone à faibles émissions existe depuis longtemps. Les premières grandes villes à avoir adopté ce système étaient Berlin, Cologne, Dortmund, Hanovre, Francfort et Munich en 2008. Aujourd'hui, 52 villes ont une "Umweltzone" ("zone environnementale"). Ces zones fonctionnent, comme en France, avec des vignettes. Ces vignettes allemandes correspondent davantage aux normes Euro :

 

Diesel

Essence

Pas de vignette (ou niveau 1)

Euro 1 ou non-classés

Non-classés

Niveau 2

Euro 2 (ou Euro 1 avec filtre à particules)

-

Niveau 3

Euro 3 (ou Euro 2 avec filtre à Particules)

-

Niveau 4

Euro 4 et plus

Euro 1 et Plus

On voit ici que cette classification fait la part belle aux véhicules à essence, puisque quasiment tous (en tout cas ceux depuis 1993) disposent de la meilleure vignette. Cette vignette est bien sûr aussi accordée aux voitures électriques, à hydrogène, GPL, GNL, et éthanol.

Aujourd'hui, presque toutes les Umweltzonen sont réservées aux véhicules de catégorie 4. Mais cela représente environ 85% des poids lourds et 98% des voitures particulières ! Ces zones ne sont donc pas vraiment dissuasives, il faut juste être en règle et être passé au contrôle technique. Certes, le fait que le marché automobile allemand soit plus dynamique contribue beaucoup au fait que les habitants n'utilisent plus beaucoup de vieux véhicules polluants. De plus, alors qu'en France, 55 2% des véhicules sont au diesel /40 1% d'essence). les Allemands préfèrent les moteurs à essence, avec seulement 29 6% de diesel en 2023 /et 62 7% d'essence\. Mais on peut quand même souligner le fait que les lois allemandes en la matière sont nettement moins coercitives, puisque ces zones ne s'attaquent qu'aux gros pollueurs. De plus, le fait que ces zones soient présentes dans 52 villes, y compris des petites villes de Bavière ou de Bade-Wurtemberg (soit les fiefs de l'automobile en Allemagne) diminue le risque d'avoir une Allemagne des grandes métropoles, et une Allemagne des périphéries. On notera cependant qu'en 2023, 8 villes allemandes reculent sur le sujet : en effet, depuis le 1er mars 2023, Karlsruhe, Heidelberg, Pfinztal et Schramberg ont mis fin à leur zone basse émission et elles seront rejointes, à partir du 1er mai 2023, par Ilsfeld, Schwäbisch Gmünd,  Urbach et Wendlingen am Neckar.

Résultats de la qualité de l'air

La pollution atmosphérique en France est responsable de 48 000 décès par an, voire 100 000 selon une étude britannique. L'ORS en Île-de-France a conduit une étude sur les effets sanitaires de la ZFE du Grand Paris, qui a révélé que l'augmentation de la restriction de la ZFE entraîne une diminution des risques sanitaires. L'étude a également quantifié les effets positifs de la ZFE, y compris la réduction du nombre de pathologies cardiaques, d'enfants asthmatiques et de nouveau-nés de faible poids. Bien que le nombre de décès causés par les particules fines PM2,5 ait déjà diminué de 40 % entre 2010 et 2019 en région francilienne grâce à l'amélioration de la qualité de l'air, un article scientifique publié en 2022 a montré que le respect des seuils de qualité de l'air fixés par l'OMS pourrait permettre d'éviter 7 920 décès. Rappelons que les voitures représentent 15 7% des émissions de gaz à effet de serre, les poids lourds 6,3% et les véhicules utilitaires 5,8%.