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Agriculture : les dégâts du faux long-termisme politique

« Faire de la France le leader de l’agro-écologie », tel est l’objectif fixé par le ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, Stéphane Le Foll, et plus ou moins celui de ses prédécesseurs. En attendant ce futur de rêve, la France reste incontestablement le leader européen du désespoir des agriculteurs, et donc de leurs violences envers les représentants des pouvoirs publics (préfectures), de leurs entreprises (coopératives), de leurs clients (hypermarchés) et, pire que tout, envers eux-mêmes. 

Le rapport d'information que les sénateurs Claude HAUT et Michel RAISON viennent de publier "La France sera-t-elle encore demain un grand pays laitier ? souligne le  complet décalage de nos stratégies politiques et syndicales par rapport à celles de nos concurrents, et la menace qui pèse notamment sur la survie de ce secteur en France. 

Leur court-termisme est souvent reproché aux responsables politiques, à juste titre quand ils accordent des avantages injustifiés ou reculent devant la mise en œuvre des réformes indispensables, notamment à la veille d’élections. Connaissant la pyramide des âges, la retraite pour tous à 60 ans constitue l’exemple le plus spectaculaire d’une réforme de court terme. Supposée réduire le chômage et destinée à gagner les élections, cette réforme aura empoisonné notre économie et notre vie politique pendant un demi-siècle. Même si les sujets sont moins critiques, ne pas avoir réformé le statut des taxis en 2007 avant que le problème ne devienne explosif, ou avoir renoncé en 2011 puis 2015 à l'ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire alors que les déficits s'accumulent et les traffics s'effondrent, sont aussi des décisions de lâcheté et de court terme (la déclaration du ministre Alain Vidalies "L'ouverture à la concurrence, ce n'est pas un choix, c'est un horizon", sans doute celui où il ne serait plus aux affaires, est accablante). Et augmenter le nombre et le salaire des fonctionnaires avant la présidentielle de 2017 se situerait dans la même catégorie.

De son côté, considéré a  comme vertueux, le long-termisme dissimule malheureusement souvent une autre forme de démagogie.

Bon et mauvais long-termisme

Même si les résultats ne sont pas attendus avant un demi-siècle, encourager la recherche sur le cerveau ou sur la fusion nucléaire, est généralement considéré comme positif. Mais de nombreux responsables, notamment politiques, utilisent le long-terme comme une excuse pour ne rien faire au présent : c’est le mythe de l’avenir radieux. S’abriter derrière la bonne image du long–terme présente un gros avantage puisque dans cinquante ans, ni les responsables actuels ni les générations présentes ne seront plus là pour vérifier si les promesses sont tenues. Promettre une agriculture française leader mondial « à terme » dispense sans doute de se demander comment font les pays qui nous entourent pour que la leur soit performante aujourd’hui et leurs agriculteurs relativement satisfaits (Allemagne, Pays-Bas, Danemark, Espagne, Italie, Irlande par exemple, bientôt Roumanie et Pologne). Mais une position qui n’est plus supportable après des décennies de crises an France et de progrès dans ces pays.

Une agriculture française sur-administrée

Une chose dont l’agriculture française ne manque pas, ce sont des lois sur l’agriculture, de plus en plus fréquentes (1962 , 1980, 1994, 1999, 2006, 2010, 2014), et pour les trois dernières de plus en plus prétentieuses :

  • 2006, loi d’orientation
  • 2010, loi de modernisation
  • 2014, loi d’avenir

Les manifestations agricoles de mars puis de juillet 2015 concernent des secteurs importants de notre économie (œufs, lait, bovins, porcs, volailles), et soulignent l’échec de ces lois. En prétendant savoir à l’avance, ou pire, imposer[1] quel sera l’avenir de notre agriculture, les responsables politiques et une grande partie des responsables syndicaux français la conduisent aux drames récurrents dont elle souffre. Depuis toujours un handicap, cet interventionnisme est devenu catastrophique avec la rapidité des évolutions technologiques et des goûts et besoins des consommateurs, et avec l’ouverture de notre pays sur l’Europe puis sur le monde.

Chacune de ces lois témoigne d’objectifs généreux, promettant une agriculture rentable pour les producteurs, saine et abordable pour les consommateurs, respectueuse de la nature et compétitive à l’export. Des buts qui ne peuvent que faire l’unanimité. Mais plus encore que les précédentes, la dernière loi a fait le choix explicit de la petite et moyenne exploitation familiale, utilisant un maximum  de main-d’œuvre et un minimum de capitaux, propre à permette l’installation de nombreux jeunes. Les commissions de contrôle des structures, les SAFER, la modulation des primes et subventions sont à l’œuvre pour appliquer cette polique sur le terrain. Sauf cultures très spécialisées et très rentables, engager des jeunes dans ce genre d’exploitation revient à les conduire dans une impasse. Ce sont d’ailleurs eux qui, désespérés, sont en tête des manifestations. Vu le coût de la main-d’œuvre en France (fonction du niveau de vie moyen et donc heureusement très élevé), dans tous les autres secteurs de l’économie, les entreprises françaises ne peuvent faire face à la compétition  qu’en étant très capitalisées et en utilisant peu de main-d’œuvre. Le reportage de France 3 (De la terre à l’assiette, minute 45) montre qu’en Charente-Maritime, sur 280 exploitations laitières, 130 avaient été récemment en difficulté sérieuse. Malgré l’aide de la cellule de crise comportant une trentaine d’intervenants (banquiers, associations, chambres d’agriculture, préfectures, syndicats, conseil général…), seules 14 exploitations ont été préservées. Espérons que ces sauvetages faits d’expédients (report de remboursement de prêts, annulation de charges sociales, aides des voisins…) seront durables. 

 L'ambition laitière allemande

"L'élevage laitier s'est totalement restructuré. La Basse-Saxe comptait 380.000 fermes en 1984, 80.000 en 2014. En 1992, on comptait 25 vaches par exploitation, 50 vaches en 2007, 74 vaches en 2013. Aujourd'hui, 50% des fermes ont moins de 50 vaches et 10% ont plus de 100 vaches. On compte aussi une dizaine de fermes de 1.000 vaches. La dynamique est en faveur des grandes installations. L'évolution est surtout spectaculaire depuis quatre ans : le nombre de fermes de plus de 100 vaches a augmenté d'un tiers, alors que les élevages de moins de 50 vaches, diminuaient de 20%.

Les éleveurs de Basse-Saxe se sont préparés à l'après Quota Laitiers. Ils ont construit des étables, ont déposé des permis de construire. Les formalités administratives ne sont pas très lourdes pour les créations de fermes. Au-delà de 600 vaches, c'est la réglementation fédérale qui s'applique et impose une enquête publique. En dessous, c'est la procédure du Land, l'enquête n'est pas généralisée, cela dépend des sites. « Le coût administratif est faible, comparé à la France ». La plupart des nouvelles fermes ont entre 200 et 400 vaches. Tous les producteurs et toutes les laiteries attendent la fin des Quota Laitiers avec impatience. L'augmentation de la production se fera par les grands élevages."

L'ambition laitière des autres pays

"La filière laitière hollandaise est la plus compétitive en Europe (grâce à la taille des fermes, l'accès à l'herbe, la robotisation, l'organisation de la filière) et est déjà très tournée vers l'exportation. La filière garderait pourtant encore des marges de progression, avec une augmentation estimée entre + 20% et + 30% entre 2013 et 2020.

Avec la fin des quota laitiers « L'Irlande veut devenir la Nouvelle-Zélande de l'Europe ». Les professionnels ont annoncé une augmentation de la production de 50% d'ici 2020.  Même la Finlande, modeste pays laitier, croit en ses chances." 

L'ambition laitière française ?

"À la relecture des comptes rendus d'auditions, force est de reconnaître que les personnes auditionnées ont rarement évoqué cette perspective. Il semble même qu'à aucun moment le mot « objectif » n'a été prononcé. Les Français ne semblent pas être dans une stratégie de développement, encore moins dans une posture de conquête. « Le manque d'anticipation est criant et a été entretenu par tout le monde. Y compris par les pouvoirs publics, les ministres (MM. Le Maire et Le Foll) ont parfois été flous en laissant entendre que, peut-être, la Commission pourrait évoluer »".  

Extraits du rapport sénatorial. 

2006, la loi d’orientation

Cette loi qui trace de nouvelles perspectives pour le secteur agricole et agroalimentaire,  fournit de nouveaux outils destinés à accroître sa compétitivité et à favoriser son adaptation au contexte international et aux enjeux environnementaux et sanitaires.

2010, Loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche

L'objectif du projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche qui portera, au travers de quelques mesures emblématiques, sur trois grandes priorités : promouvoir une alimentation sûre, accessible, diversifiée et respectueuse de l'environnement ; permettre aux agriculteurs et aux pêcheurs de stabiliser leurs revenus dans un environnement volatil ; favoriser une agriculture et une pêche durables, contribuant aux équilibres environnementaux et territoriaux.

2014, Loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt 

La loi d'avenir du 13 octobre 2014 permet la mise en œuvre concrète de l’agro-écologie dans l’objectif d’une performance à la fois économique, environnementale et sociale de nos exploitations agricoles.

2018, Loi de libération de notre agriculture

Il n’est pas exclu qu’à long terme, le souhait de nos ministres de l’agriculture se réalise : la France ne produirait plus que des produits de très haute valeur ajoutée sur des exploitations familiales de taille moyenne. Sur le modèle du Champagne, des Bordeaux, des fromages ou fruits AOC, les Français et les étrangers accepteraient de payer très cher ces produits de luxe.  Mais personne, et surtout pas les responsables politiques, n’est en mesure de prédire quand et même si cela arrivera. En attendant, la seule stratégie pour notre agriculture consiste à s’adapter aux besoins des clients actuels comme le font nos concurrents européens. La France a lutté pendant des décennies contre la fin des quota laitiers pendant que nos concurrents s’y préparaient. Elle a interdit le regroupement d’élevages porcins pendant que nos concurrents augmentaient leur production et exportaient vers la France. Sur le terrain, des agriculteurs sont à l’écoute des évolutions technologiques et des besoins, le plus simple et le plus efficace serait de les écouter au lieu d’appliquer des politiques décidées à Paris pour des raisons politiciennes ou idéologiques.   

[1] Une attitude similaire aux politiques qui décident régulièrement que la France comptera deux millions de voitures électriques en 2020 (résultat : faillite de plusieurs petits constructeurs subventionnés, arrêt de nombreux modèles par les grands constructeurs, immatriculations en 2014 : 10.000)