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1 041 euros par mois, le revenu agricole moyen pour 55 heures de travail hebdo'

Le gouvernement a déjà annoncé 520 millions d’aides nouvelles accordées au secteur de l’agriculture depuis le début de l’année. Objectif : maintenir les allègements fiscaux et multiplier les plans de soutiens pour les exploitations en difficultés financières. Malgré cela, la gronde des agriculteurs ne baisse pas avec comme point central de mécontentement : une rémunération particulièrement basse. Sur ce point, tout reste à faire car, hors subvention, hors impôts directs et hors autres sources de revenus, l’activité agricole pure était rémunérée, en moyenne et en 2018, à hauteur de 12 500 euros annuels, soit 1 041 euros par mois. C’est 25% de moins que le SMIC. Cela alors que 88% des exploitants agriculteurs travaillent le samedi (39% pour l'ensemble des actifs), 71% travaillent le dimanche (21% pour l'ensemble des actifs) et le tout, pour une durée de travail hebdomadaire moyenne de 55 heures en 2019 et une durée effective annuelle de 1 745 heures en 2022 (contre une moyenne de 1 668 heures pour l'ensemble des actifs). 

Suite à la crise de début d’année, déjà 520 millions d’aides nouvelles accordées en 2024

Devant la gronde des agriculteurs, Gabriel Attal annonçait le 30 janvier dernier une série de mesure de soutiens financiers :

  • Le remboursement de 50% de la TICPE pour les agriculteurs et ce, effectif dès février 2024 et le maintien des avantages fiscaux sur le gazole non routier pour un allègement total de plus de 250 millions d’euros pour la profession en 2024.
  • La création d’une « aide de trésorerie exceptionnelle » via un fond d’urgence de 3,2 millions pour les viticulteurs qui connaissent des difficultés financières (perte de chiffre d’affaires ou pertes de récoltes supérieure ou égale à 20%). 
  • La promesse d’un soutien fiscal et social de 150 millions d’euros pour les éleveurs en 2024. 
  • Le passage de l’indemnisation des frais vétérinaires de 80 à 90%.
  • L’engagement de l’État de verser les aides européennes (PAC) avant le 15 mars prochain et d’accélérer le versement des aides à l’installation.
  • Un plan de soutien de 50 millions d’euros pour l’agriculture biologique, de 50 millions pour les exploitations bovines touchées par la maladie hémorragique épizootique (MHE) ou encore 20 millions pour l’agriculture bretonne suite à la tempête Ciaran de novembre 2023.

3 semaines plus tard, au Salon de l’agriculture, Emmanuel Macron a, également, annoncé plusieurs mesures dont « un plan de trésorerie d’urgence », le « recensement dans chaque région des exploitations qui sont dans les plus grandes difficultés » et l’objectif d’atteindre « des prix planchers qui permettront de protéger le revenu agricole ». Une pratique déjà bien installée dans la production de volailles, mais que le chef de l’État voudrait généraliser surtout dans le secteur bovin et laitier où le revenu agricole est, aujourd’hui et en moyenne, le plus bas. Un plan de simplification des normes et une loi sur la rémunération des agriculteurs doivent aussi voir le jour. 

Sans surprise, en réponse à la crise, la quasi-totalité des annonces du gouvernement concerne donc la création de nouvelles aides financières ou le lancement de plan de soutien. Le coût pour les finances publiques de ces annonces tourne déjà autour de 520 millions d’euros et vient s’ajouter aux 15 milliards de soutiens annuels déjà dépensés par les pouvoirs publics français pour l’agriculture : 13,5 milliards hors enseignement agricole, dont 6 milliards d’aides sociales en 2019. Un soutien auquel il faut ajouter les 9,5 milliards de l’Union européenne (PAC) portant l’aide publique totale à l’agriculture à 23,4 milliards d’euros et composée comme ceci : 60% d’aides européennes, 40% d’aides nationales. Une aide colossale qui ne permet pas d’assurer un revenu décent aux agriculteurs.

Un revenu agricole moyen à 17 600… ou à 12 500 euros ? 

Un revenu moyen d’un ménage agricole à l’origine agricole… minoritaire

Lorsqu’on veut parler du revenu des agriculteurs, les statistiques de l’Insee offrent principalement une vue des revenus d’un ménage agricole. Or, dans ces derniers, la part des revenus issus de la production agricole est largement minoritaire. En clair, les ménages agricoles vivent surtout d’autres activités (salariés, indépendants) ou d’autres revenus (patrimoine, indemnités chômage, retraites, etc).  

Ainsi, en 2018, le revenu moyen d’un ménage agricole était de 52 398 euros + 10 557 d'impôts directs, soit 62 955 euros. La décomposition de l’Insee est la suivante : 

  • 59% sont issus d’une autre source de revenu, du conjoint ou de l’agriculteur lui-même : salaire d’une activité salariée ou indépendante, revenu du patrimoine, indemnités chômage, retraite, etc. 
  • 3% ont pour source le versement d’aides sociales.
  • 14% sont prélevés en impôts directs. 
  • Et au final, les revenus issus de la production agricole ne représentent que 24% de ce total, soit en 2018 et en moyenne, 17 645 euros annuels, soit environ 1 470 euros par mois. 

Attention cependant, ce revenu moyen est très varié selon le type de production agricole : ainsi les ménages agricoles exerçant dans le secteur du maraîchage et de l’horticulture touchent, en moyenne, un revenu 30% supérieur tandis que les ménages agricoles exerçant dans la filière bovine touchent, en moyenne, un revenu inférieur de 28%. 

Un revenu agricole « pur » de plus en plus fragile

Source : Insee, Filosofi 2018 / Sénat, Rapport d'information n° 528 (2018-2019), La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ?, p.18 pour la part des subventions / Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, 2018. 

Si l’on se penche, ensuite, exclusivement sur les 17 645 euros de revenu purement agricole, on constate qu’il se décompose comme suit en 2018 :

  • 37% lié à la consommation alimentaire (vente de production).

La fragilité ici, c’est l’augmentation des importations très peu contrôlées : +87% depuis l’an 2000. Le Séant pointe que, désormais, un fruit et légume sur deux consommées en France est importé et c’est également le cas pour 34% de la consommation intérieure de volailles, 25% de la consommation de porc. En 2014, la Cour des comptes estimait le taux de contrôle physique sur les importations entre 3 et 7% (pour un budget dédié inférieur à 10 millions d’euros) pour un taux de non-conformité, en 2017, oscillant entre 8 et 12%, le taux de non-conformité le plus haut touchant les denrées « bio » avec 17% de contrôles non validés. Le Sénat estime, ainsi, que 10 à 25% des produits importés (et donc consommés) sur le territoire ne respecteraient pas les normes imposées à nos agriculteurs. Ces produits représenteraient 5 à 10 milliards du marché. 

  • 25% lié aux exportations.

La fragilité, c’est que malgré une augmentation des exportations agricoles de +55% depuis l’an 2000, la France décroche quand même. Alors qu’elle occupait la 3e place mondiale en 2005, la France pointe désormais au 6e rang aujourd’hui. Le Sénat pointe même que sans le secteur viticole et les spiritueux, la France afficherait un déficit commercial agricole de plus de 6 milliards d’euros. 

  • 9% lié à d’autres marchés : énergie, chimie, textile.
  • 29% lié aux subventions.

Dans son rapport, La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ?le Sénat pointe qu’en 2018, 29% du revenu brut agricole est issu de subventions, soit en moyenne 5 120 euros annuels. Cela veut dire que le revenu agricole, annuel et hors subvention, était en moyenne de 12 534 euros en 2018 et qu’il ne représente plus que 17% du revenu moyen d’un ménage agricole. 

La véritable décomposition du revenu moyen d’un ménage agricole

À partir de ces données, il semble plus pertinent et transparent pour la Fondation IFRAP, de présenter le revenu moyen d’un ménage agricole comme ceci :

Il en ressort alors que :

  • La part des revenus purement agricoles n’est plus de 24%, mais de 17%.
  • La part d’aides publiques monte à 10% avec 3% issus du système de protection français et 7% issus de la politique agricole commune (PAC). 
  • La part de revenus d’autres activités ou d’indemnités (chômage et retraite) est de 59%.

Des subventions d’origines exclusivement européennes ?

Se pose ensuite la question de l’origine des subventions qui supportent le revenu agricole et il apparait fort probable qu’elles soient, exclusivement, d’origine européenne. 

Source : CAP expenditure, European Commission / Common Agricultural Policy : Key graphs & figures, October 2023.

En effet, en octobre 2024, la Commission européenne dans sa comparaison régulière de la part des subventions européennes dans le revenu agricole estime que les subventions de l’Union (total subsidies) pèsent pour 33% du revenu d’un agriculteur français pour la période 2017-2021, ce qui nous place dans la moyenne européenne (32%) et ce, alors que la France est le pays qui bénéficie le plus de la politique agricole commune (PAC). 

Ce taux de subventions dans le revenu agricole est, également, en train de baisser : il était de 40,5% pour la période 2010-2013 pour la France, 40% pour la moyenne européenne (à 27). 

Côté français, 6,4 milliards d’allègements de charges

En face, le soutien national à la rémunération des agriculteurs passe, plutôt, par une politique d’allègements des charges : ces allègements représentent 48% du soutien national au secteur agricole et la tendance est à la hausse.

En effet, hors dépenses d’enseignement agricole, le soutien public et national à l’agriculture a augmenté de +3,9 milliards entre 2013 et 2019, passant de 9,6 à 13,5 milliards d’euros… une augmentation intégralement portée par les allègements sur les charges sociales et fiscales des agriculteurs qui ont augmenté de +4,4 milliards (avec une baisse parallèle des dépenses fiscales et des aides de l’État) passant de 2 à 6,4 milliards d’euros. 

On peut estimer que l’allègement moyen octroyé par les pouvoirs publics français et par agriculteur est d’environ 15 300 euros par an. On parle ici surtout d’allègements du coût de travail dans l’agriculture, notamment sur les charges et cotisations pour l’emploi de la main-d’œuvre saisonnière, des travailleurs occasionnels ou des demandeurs d’emploi ou encore de l’exonération partielle « jeune agriculteur » sur les 5 premières années d’activité. 

39 586 euros de subventions d’exploitations en moyenne, 92% de bénéficiaires en 2022

Si l’on regarde le montant total des subventions versé aux exploitations agricoles en 2022, on constate que le montant total est de 39 586 euros en 2022 et que 92% des exploitations ont dû bénéficier d’une aide. 

  • Les aides d’origines européennes étaient, en moyenne et en 2022, à 25 455 euros pour le 1er pilier, 6 896 euros pour le 2nd pilier, pour un total de 32 351 euros.
  • Les aides d’origines nationales étaient, en moyenne et en 2022, à 7 146 euros. On parle ici des aides spécifiques (dispositif grippe aviaire, indemnité calamité, etc).