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Rapport Moreau : les primes des fonctionnaires au centre du débat

Alors que le rapport Moreau est publié aujourd'hui et que la réforme 2013 des retraites se précise, la question des inégalités entre le régime général des salariés et les régimes spéciaux est revenue au centre des débats, et notamment celle des primes des fonctionnaires : leurs retraites ne seraient pas si avantageuses par rapport au privé puisqu'elles ne prennent pas en compte les primes. Véritable causus belli pour tous les syndicats qui ont bien montré dans cette affaire que leur base est essentiellement issue de la fonction publique, ils menacent de bloquer le pays en cas de réforme.

Ces primes représentent en moyenne 28% des rémunérations, soit un peu plus de 18 milliards d'euros pour la fonction publique d'État, et elles ne sont en effet pas prises en compte dans le calcul des retraites. Mais ces primes ne sont pas soumises à cotisations. Comme les CDD de trois ans renouvelables, ou ceux de 3 jours renouvelés 500 fois, ce problème de primes n'a pu survenir que dans le secteur public où ces systèmes exorbitants du droit commun sont encouragés pour compenser les rigidités du statut de la fonction publique. Dans le monde privé, l'attribution de primes ne peut être tolérée sans payer de cotisations sociales. Mais l'État s'est accordé le privilège de distribuer 18 milliards d'euros par an, sans verser aucune cotisation, retraite notamment sur cette somme. Une dérive faite de médiocres accords de court terme puisqu'en ne cotisant pas l'État a pu accorder des rallonges salariales face aux exigences des syndicats. Mais les choses ont changé, l'État s'est engagé dans la voie des économies, notamment par un budget fixe en valeur. Prendre en compte les primes au même niveau que les salaires pour le calcul des retraites comme le demandent les syndicats, force aujourd'hui l'État employeur et les salariés à faire des choix.

Un choix difficile pour les salariés

Tous les fonctionnaires d'État peuvent le constater sur leur feuille de paie, leur employeur et eux-mêmes paient une cotisation retraite. Pour un salaire de 3.000 euros (primes non comprises) par exemple, cela se présente ainsi en ne prenant ici en compte que les cotisations retraite [1] :

Salaire brut mensuelCotisation salariéCotisation employeurSalaire net
3.000 euros 240 euros 2.220 euros 2.760 euros
(Taux : 8 %) (Taux 74 %)

Les taux -arrondis ici- ne sont pas sytématiquement indiqués mais peuvent être facilement calculés et sont fixes quel que soit le niveau de salaire. Sur ces mêmes bulletins de salaire, sont aussi indiqués les montants des primes de résidence, de famille ou spécifiques des emplois occupés, par exemple de sujétion particulière. Supposons que ces primes soient soumises à cotisation retraite au même titre que les salaires de base. Comme dans une entreprise, le budget de l'État est contraint, et ce qu'il va donner en cotisation retraite ne pourra plus être donné à son employé. Soit pour un exemple où les primes représenteraient 28% du salaire brut de 3.000 euros :

Traitement PrimeBudget PrimesCotisation salariéCotisation employeurReste au salarié
Fonction publique État 840 € 39 € 357 € 444 €
Secteur privé 840 € 73 € 116 € 651€

Note de lecture : actuellement le fonctionnaire reçoit 840 €, soit la totalité du budget que l'employeur consacre à sa prime, sans que ni lui ni son employeur ne verse de cotisation retraite. Ce tableau indique ce qui reviendrait à un fonctionnaire sur ce budget prime de 840 euros suivant que sont appliqués les taux actuels de cotisation de la Fonction publique (environ la moitié de sa prime actuelle) ou celui du secteur privé, taux qui pourrait être applicable au terme d'une convergence globale des régimes spéciaux sur les règles du secteur privé.

Un choix obligatoire pour l'État

S'il devait prendre en charge la seule cotisation employeur sur les primes, l'État devrait augmenter son budget salaires de 74% du montant actuel de ces primes, soit 15 milliards d'euros (qui seraient de 3 milliards avec les taux de cotisation du privé). Autant d'argent qu'il est absolument impossible que l'État employeur finance. Aussi, le fonctionnaire se trouve face à un choix classique : continuer à percevoir 840 euros de prime, sachant que cette somme ne sera pas prise en compte dans le calcul de sa retraite, ou percevoir 444 euros tout de suite et une meilleure retraite plus tard. Suivant les situations familiales et financières, certains peuvent préférer la première solution, et d'autres la seconde.

Ce débat sur les primes est révélateur du court termisme qui règne dans la gestion des ressources humaines et les dépenses sociales de l'État. Comme nous l'avons expliqué, ces primes ont été encouragées pour pallier les lourdeurs du statut de la fonction publique. Elles ont largement débordé le seul encouragement au mérite et à la performance pour devenir des éléments annexes de rémunération : ainsi par exemple de la “prime” de professeur principal qui est un véritable salaire, ou de l'étrange prime de fusion des directions générales des impôts et de la comptabilité publique. Justement, les agents du ministère des Finances figurent parmi ceux qui perçoivent un pourcentage de primes supérieur à la moyenne. Ces primes sont souvent un élément d'autant plus important de la rémunération que le fonctionnaire se trouve en fin de carrière et qu'il a gravi tous les échelons de son corps. À défaut de le faire progresser dans son grade, sa rémunération progresse surtout grâce aux primes. Si bien qu'il ressent comme une injustice que sa retraite soit calculée sur les 6 derniers mois hors primes, alors que cet extra revenu n'est en rien représentatif de sa carrière. Inversement les enseignants qui perçoivent un pourcentage de primes inférieur à la moyenne de la fonction publique verraient dans la prise en compte des primes une forme de pénalisation de leur retraite. Ce schéma est la démontration de la pauvreté de la gestion des carrières dans la fonction publique alors même que l'État législateur impose aux entreprises des obligations de gestion prévisionnelle des emplois.

Des palliatifs ont été mis en place pour compenser ce défaut de prise en compte dans l'assiette : en 1964, la Préfon-retraite a été créée par les syndicats pour permettre aux fonctionnaires d'investir leurs primes dans ce fonds de pension en bénéficiant des avantages fiscaux spécifiques qui venaient de leur être accordés. Ce système d'épargne supplémentaire par capitalisation a été créé avec le soutien des grandes centrales syndicales, sauf la CGT, justement pour apporter une meilleure couverture retraite aux fonctionnaires alors que les retraites complémentaires étaient généralisées et rendues obligatoires dans le secteur privé. En 2003, la Retraite Additionnelle de la Fonction Publique a été créée pour prendre en compte –moyennant cotisations salarié 5% et employeur 5%-, les primes des fonctionnaires, jusqu'à 20% de leur salaire brut. Deux solutions qui ont déjà amélioré la prise en compte des primes. Mais ce qui n'est pas possible, c'est d'avoir perçu ses primes complètes brutes pendant toute sa carrière, et d'espérer un complément de pension une fois en retraite. La non prise en compte des primes dans la retraite des fonctionnaires de l'État ne constitue pas une injustice mais un choix de leur part : un revenu tout de suite plutôt qu'une retraite plus élevée plus tard.

[(Taux de remplacement & Revenus ne donnant pas lieu à cotisation

Le taux de remplacement T1 (rapport entre les montants de la première retraite et du dernier salaire) constitue une information utile pour les retraités et futurs retraités. Mais du point de vue des comparaisons entre régimes, c'est le taux de remplacement T2 entre la première retraite et la partie du dernier salaire ayant donné lieu à cotisation retraite qui est significatif, et qui met en lumière un taux de remplacement très supérieur dans la fonction publique.

D'autres professions comme les agriculteurs exploitants avaient choisi un faible taux de cotisation retraite (leur retraite complémentaire ne date que de 2003, et au taux de 3%). Leur taux de remplacement T1 est automatiquement plus faible que s'ils avaient cotisé plus, sans que cela constitue une injustice, mais le résultat d'un choix dont ils assument les conséquences. )]

L'État n'a pas d'autre solution que de tenir un langage de vérité aux agents de la fonction publique comme à leurs représentants syndicaux : les primes ne pourront être prises en compte qu'à dépenses de rémunérations constantes pour l'État, et il n'est pas certain que les actifs souhaitent une amputation aussi forte de leurs primes, même avec la promesse d'une augmentation du niveau futur de leurs retraites. Seule la mise en place d'un régime unique par points pour tous les salariés éviterait ces incompréhensions et ces suspicions entre catégories.

Le rapport Moreau qui propose [2], comme la Fondation iFRAP l'a fait, d'augmenter progressivement de 6 mois à 3 ans puis 10 ans la période de référence pour la calcul des droits à pension des agents du public, veut jouer sur la prise en compte des primes pour que les retraites des agents publics ne baissent pas au final et allant même jusqu'à écrire que cette modification du mode de calcul n'a "ni pour objet ni pour effet un gain budgétaire". Attention à ce genre de prise de position qui sous-entend que la réforme ne se traduirait pas par une baisse du coût global des pensions des agents publics alors même que nous évaluons à plus de 7 milliards d'euros par an le déficit caché des retraites publiques. Appliquée en 2007 aux régimes spéciaux cette technique d'échange "réforme contre avantage" s'est traduite d'après la Cour des comptes à la SNCF par un surcoût. La question de l'équité doit rester au centre du débat et les pensions publiques (et régimes spéciaux) doivent converger exactement avec celles des pensionnés du secteur privé.

[1] hors cotisation RAFP pour simplifier

[2] Rapport de Mme Moreau, Nos retraites demain équilibre financier et justice, remis le 14 juin 2013.