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La chimère du manque de PME

La situation économique française s'assombrit : au-delà des question de pouvoir d'achat, de crise financière, le déficit dramatique de la balance des comptes alors que celle de l'Allemagne resplendit, peut laisser craindre un effondrement de l'économie française. Un signe complémentaire que peu ont noté, est la chute des redressements fiscaux sur les entreprises ; ils ont baissé de plus de 30% en 2 ans, alors qu'ils étaient stables depuis plus de 10 ans, comme si les entreprises françaises étaient à bout de souffle.

C'est dans ce paysage qu'est apparue la solution miracle : la France manquerait d'entreprises moyennes comme l'Allemagne ; la clé de nos maux serait que nous n'avons pas ce « Mittelstand », ces PME qui fabriquent des produits, par exemple des machines-outils, que le monde est prêt à leur acheter quelle que soit la réévaluation de l'euro. Ergo, créons un Mittelstand, encourageons nos PME productrices en les aidant de toutes les manières possibles : en les aidant à exporter, en les aidant à financer leur développement, en leur consentant des avantages fiscaux, et, cerise sur le gâteau, en créant une nouvelle délégation ministérielle à la Mittelstand, comme ont été créés d'autres « machins » comme l'agence de l'immatériel.

Ces chimères intellectuelles sont pain béni pour les hauts-fonctionnaires en mal d'emploi, dont notre haute administration regorge. Mais elle va une fois de plus détourner nos maigres ressources des directions où elles pourraient être réellement utiles. Pourquoi la théorie du Mittelstand ne tient pas ?

La chimère du manque de PME [1]

Parce que d'abord, nous ne manquons pas de moyennes entreprises , en dessous de 1.000 salariés ; les statistiques comparées que nous avons développées avec la Grande-Bretagne montrent que nous avons plus de très petites entreprises que les Anglais, que pour le nombre d'entreprises entre 100 et 1000 salariés, nous sommes à parité mais que notre déficit apparaît pour les entreprises de 1000 à 5.000 salariés et devient le désastre au-dessus de 5.000 (dont nous avons moitié moins que les Anglais).

Et nous avons vérifié que les agglomérats sous forme de sociétés mères et sociétés filles ne cachaient pas qu'en France, nous aurions autant de grandes entreprises que les Anglais mais qu'elles seraient morcelées en une myriade de PME : le taux de filialisation est moins élevé en France qu'en Grande-Bretagne pour toutes les tailles d'entreprises.

En outre, un examen secteur industriel par secteur industriel montre que par rapport aux Anglais, qui n'ont pas de chômage, nous avons au moins autant sinon plus de salariés dans le secteur manufacturier, que notre déficit est dans le domaine des services.

Il est cependant vrai que nous - comme les Anglais – avons moins de salariés dans le secteur manufacturier que les Allemands ou les Japonais, environ 20% du total des salariés contre un peu plus de 30% outre-Rhin.

Mais s'il faut bien reconnaître que le secteur manufacturier n'est pas notre fort, il faut aussi prendre conscience qu'il est trop tard pour revenir en arrière ; nos chances de garder une forte industrie manufacturière sont mortes sous les coups répétés de l'Etat dans les années 70 à 90, à l'époque où la chimère du jour était « Le défi américain » de Jean-Jacques Servan-Schreiber, où nous avons abandonné la PME pour « concentrer », créer des géants, alors que c'est précisément à l' époque du livre de Jean-Jacques Servan-Schreiber que la taille moyenne des entreprises américaines commence à décroître.

La création de chimères économiques par des esprits brillants, chimères immédiatement gobées par les politiques, ne date donc pas d'hier. C'est comme cela que nous en sommes à 18 millions d'emplois dans le secteur marchand là où les Anglais ont dépassé les 25 millions pour des populations totales similaires, un peu au-dessus de 60 millions.

[1] Statistiques détaillées dans le Société Civile n° 81.