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Titularisation des contractuels : la réforme en sens inverse de Georges Tron

Le principe de l'emploi permanent occupé par un titulaire est obsolète

Tous nos voisins suppriment peu à peu, pour les fonctions publiques non régaliennes, le statut et sa garantie d'emploi à vie de leurs agents publics. Mais la France ─ le ministre François Baroin et Georges Tron (secrétaire d'Etat chargé de la fonction publique) ─ semble faire le chemin inverse en proposant aux contractuels de la fonction publique leur titularisation et aux titulaires de CDD publics de les passer en CDI. Certes, pas tous, mais 40.000 à 50.000 deviendraient titulaires par voie de concours spécifiques et 100.000 passeraient de CDD à CDI après avoir fait plus de 6 ans en CDD… Pourquoi la France semble-t-elle toujours à contre-courant sur ces questions de ses personnels publics ?

Même s'il est vrai (voir « Les fonctionnaires contre l'État »), que les quelque 875.000 (ou plus) contractuels de la fonction publique sont très mal traités dans l'administration française, puisque considérés comme des inférieurs par les titulaires (ils n'ont pas passé le concours), proposer de titulariser à plus ou moins longue échéance les contractuels, c'est l'exact inverse de la réforme qu'il faudrait faire. La réforme d'avenir consisterait à embaucher les fonctionnaires non régaliens sous contrat de droit privé.

En effet, tous les précédents plans de titularisation (16) ont échoué et on a embauché ensuite encore plus de contractuels. Tout simplement parce que le système a besoin, non pas de plus de rigidité, mais de plus de souplesse. Nombreux sont ceux, à l'intérieur de l'administration, qui reconnaissent, en off, ce problème. A force de rigidifier notre administration par couches de protection statutaire successives, nous avons besoin de 20 à 30% de personnels en plus pour rendre des services publics comparables à ceux des autres pays européens.

Nous sommes en effet le seul pays à compter 7 millions d'agents à emploi protégé, soit 5,4 millions de plus qu'en Allemagne où les fonctionnaires sous statut sont seulement 1,7 million et, au total, 30% de fonctionnaires en plus. Le statut de la fonction publique, tel qu'il a été conçu à la sortie de la guerre par le communiste Maurice Thorez, était, au départ, réservé aux fonctionnaires de l'État, à l'époque peu nombreux… Il a été progressivement étendu, toujours par le truchement de ministres communistes, aux enseignants, aux agents des collectivités et aux agents des hôpitaux. Résultat : depuis 1980 nous avons embauché 36% de fonctionnaires supplémentaires.

En vertu du surcoût que la masse salariale représente pour les finances publiques (État, collectivités et hôpitaux dépensent, selon la Cour des comptes, chaque année 285 milliards en frais de personnels), la tentative du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite devait permettre des économies qui ne sont pas au rendez-vous puisque les économies en question ont quasiment été intégralement dépensées (à plus de 70%) en primes et hausses de salaires… Pendant ce temps-là, les collectivités embauchaient massivement (40.000 nouveaux personnels en moyenne ces dernières années). Au final, notre nombre de fonctionnaires reste stable mais ne baisse pas, et la France continue d'embaucher ses agents à vie, sans aucune souplesse.

Pourtant le même Georges Tron répondait en 2009 sur le sujet à la Fondation iFRAP :

" Selon le ministère du Budget, l'engagement de long terme pour le recrutement d'un fonctionnaire serait de l'ordre d'un million d'euros en valeur actuelle. Renoncer à 100.000 recrutements [de fonctionnaires] permettrait ainsi d'éviter 100 milliards d'euros d'engagements implicites de l'État."

Même si l'on voit bien que le ministre tente de titulariser le moins de contractuels possible, l'hypocrisie qui consiste à dire qu'un «  emploi permanent doit être occupé par un titulaire », est regrettable. Ce principe renforce d'ailleurs la perspective de dépenses supplémentaires car, qui dit emploi titulaire dit, à terme, retraite plus chère pour la collectivité. Selon nos estimations, si tous les contractuels étaient titularisés, ce serait un milliard d'euros par an de dépenses supplémentaires pour l'Etat…

Améliorer la situation des contractuels dans le secteur public peut aussi passer par n'embaucher plus que des contractuels, à égalité les uns avec les autres. Car comment expliquer à un contractuel qui fait son travail depuis 10 ans qu'il va devoir passer un « concours spécifique » pour vérifier qu'il est bien apte à le faire ? Il semblerait que tous les autres pays ont compris que la fonction publique du futur sera une fonction publique avec surtout des contractuels ; et non l'inverse. Sauf la France.

Les contractuels, variable d'ajustement

«  Reste maintenant à identifier la « variable d'ajustement » qui permet d'assurer bon an mal an les tâches nécessaires à la survie de cet univers que l'on pourrait croire condamné à l'issue de ces constats. (…) C'est le rôle qu'ont toujours joué – et que continuent de jouer – les « auxiliaires » de la fonction publique, toujours titularisés en fin de compte mais toujours renaissants car, sans exclus, point de privilégiés. (…) Le flot doit donc être alimenté en permanence : une réduction drastique du nombre des intérimaires déstabiliserait à coup sûr ce système. Quant à l'intérimaire lui-même, il attend avec patience et résignation que cette période de transition se termine, en acceptant tout ce qui lui est demandé. »

Extrait de : François Dupuy, Lost in management, p. 36-38.