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Le vice-rectorat de Mayotte bientôt débordé ?

L'indexation dans la fonction publique n'est pas la solution !

A Mayotte, depuis le mois de février la grève fait rage dans l'enseignement public. La raison ? Une revendication d'indexation des rémunérations des instituteurs mahorais sur l'inflation comme leurs homologues métropolitains et leur intégration anticipée dans les corps de la fonction publique générale. Ce mouvement est porté par le SNUipp à l'instigation de son secrétaire départemental Rivomalala Rakotondravelo dit « Rivo » à la suite d'une lettre adressée en décembre 2010 et laissée sans réponse par le vice-rectorat de l'île mahoraise. La raison de ce mouvement social qui a duré près de 2 mois (de la mi-février au début avril) est intéressante à plus d'un titre car elle montre bien par l'exemple comment la France, entrée avec Mayotte dans le piège de la « départementalisation », va devoir nécessairement accélérer la cadence de l'alignement qu'elle envisage pour ce territoire devenu DOM de plein exercice au 1er avril par rapport aux autres départements ultramarins, entraînant inévitablement un coût budgétaire important pour les pouvoirs publics.

Spontanément, l'attaque se porte sur le statut. Or on sait d'après l'étude d'impact des deux lois du 7 décembre 2010 relatives à Mayotte que l'évolution progressive des titulaires de la fonction publique mahoraise mise en place lors de l'indépendance des Comores dans les années 1960, va être réalisée soit par l'intermédiaire de basculements successifs au sein de corps dits « passerelle » (43% des effectifs) afin d'être ensuite versés dans les corps de la fonction publique d'État ou de la fonction publique locale (comme le corps des professeurs des écoles), soit directement avec le passage de concours internes spécifiques [1] etc… ainsi que par des vagues successives de titularisation de contractuels. Le but de l'opération étant de permettre le soutien d'une transition harmonieuse, celle-ci devant s'étendre sur une période sans doute proche des 20 ans.

D'ici là, le but des organisations syndicales est clair, il s'agit en réalité d'accélérer au maximum la vitesse du mécanisme de transition. Ce qu'ils appellent en l'espèce « départementaliser » le système éducatif à partir du mois d'avril. Et ce, afin de « rattraper » au plus vite le niveau des salaires pratiqués dans les autres DOM. A la clé, :

"1- Départementalisation du système éducatif (organisation du service public de l'éducation à Mayotte, « résidentialisation » des enseignements détachés à Mayotte, instances paritaires (…) indexation des salaires,

2- Carrière (titularisation des instituteurs contractuels, reconstitution des carrières en vue d'une intégration dans les corps des professeurs des écoles et de la validation des services effectués dans le corps de la CDM (collectivité départementale de Mayotte) dans le calcul de la pension, avancement, …)"

Cependant cette accélération de l'alignement statutaire risque de faire tache d'huile au sein des autres corps de la fonction publique locale. En réalité il a déjà commencé dans la mesure où d'autres fonctionnaires bénéficient déjà d'une indexation sur le coût de la vie (les gendarmes à Mayotte sont indexés à 93%, les journalistes de RFO à 53%). En outre, l'alignement vise à se porter non seulement sur les indexations pratiquées dans les autres DOM (à l'image de leurs homologues réunionnais, indexés à 50%), mais également par rapport aux fonctionnaires d'Éat détachés (en raison de l'imbrication des fonctions publiques locales et d'Éat à Mayotte, avec la pratique des détachements croisés). Résultat, des revendications ayant trait au bénéfice de la prime de résidence (la « résidentialisation ») accordée exclusivement aux fonctionnaires d'État en poste dans l'île devrait s'étendre progressivement aux autres titulaires des différentes fonctions publiques en poste.

Pour avoir une idée précise des enjeux, il faut savoir que sur les 5.506 agents [2] de l'éducation nationale recensés par le rectorat, 67% proviennent de la fonction publique d'État [3]. Le reste, environ 1.100 agents [4] relèvent de la fonction publique mahoraise et d'emplois précaires. Or l'ensemble des effectifs représente actuellement une masse salariale de 215,9 millions d'euros. Sachant que les salaires mahorais sont beaucoup plus faibles que ceux de leurs homologues de la fonction publique d'État, toute indexation devrait conduire à une revalorisation de plusieurs dizaines de millions d'euros. Une perspective qui ne représente pas un cas d'école : Dans un geste de bonne volonté, le gouvernement a décidé fin 2010 d'accroître la vitesse d'intégration au sein du corps des professeurs des écoles, des instituteurs recrutés à Mayotte, de 108 en 2010 et 170 en 2011, soit une augmentation substantielle de 57% ! Il devrait exploser dans les années à venir…

Par ailleurs, étant donné le poids de l'éducation au sein de la fonction publique locale à Mayotte (près de 22%), quand le secteur public lui-même représente 49% du PIB local [5], l'effet de levier risque d'être dramatique. Et l'on risque à court terme de voir se reproduire au plan économique, le scénario de « la vie chère » que les DOM ont connu voilà deux ans : le risque inflationniste des prix à la consommation suite aux sur-rémunérations de la fonction publique « locale »… au détriment des salaires et de l'activité du secteur privé. Un phénomène qui devrait être encore amplifié avec l'octroi de l'ensemble des minima sociaux à la population dès 2012 (même si leur niveau sera beaucoup plus bas que dans les autres DOM).

En outre, avec la départementalisation de Mayotte, l'État ne pourra plus expulser les 6.000 enfants/an entrés clandestinement sur l'île, qui pourront être scolarisés, auxquels devraient s'ajouter les 4.550 naissances françaises de mères étrangères à la maternité de Mamoudzou, sur les 7.000 annuelles. Cela représentera à terme un flux entrant d'enfants à éduquer de l'ordre de 10.550 enfants/an. Pour le moment, le nombre d'enfants scolarisés s'élève à 81.506 élèves, soit +88% en 13 ans. Avec la départementalisation et à flux constant ce chiffre pourrait encore doubler en 8 ans… nul doute que les syndicats d'enseignants réclameront d'urgence de nouveaux moyens pour un vice-rectorat [6] dont le budget actuel s'élève à 262,2 millions d'euros. Avec 82,3% de ses crédits consacrés aux frais de personnel (215,9 millions d'euros), si rien n'est fait pour endiguer les flux migratoires actuels, le budget vice-rectoral pourrait atteindre en 8 ans les 478,1 millions d'euros (sans investissements supplémentaires mais avec doublement des professeurs), voire à 524,4 millions d'euros en cas de doublement des investissements et des frais de fonctionnement [7]… un véritable Big Bang financier, d'autant moins supportable que la France se sera sans doute engagée sur une politique drastique de rigueur budgétaire.

Pour le moment, ce chiffre de 82,3% du budget tenu par les salaires est inférieur aux autres rectorats français pour lesquels ces derniers représentent environ 98% des crédits alloués. La raison de cette différence en est l'importance des dépenses d'investissement dans les équipements scolaires à Mayotte (7,2%), soit 19 millions d'euros, avec l'objectif de créer près de 600 classes supplémentaires d'ici 2015, soit une capacité globale d'absorption d'environ 18.000 élèves. Or d'ici 2015, il devrait il y avoir, tous niveaux confondus, environ 24.000 enfants supplémentaires à scolariser rien que par l'intermédiaire des flux clandestins… sans même prendre en compte la démographie proprement mahoraise (qui présente un flux entrant de seulement 2.450 enfants/an environ).

Raison de plus pour que les pouvoirs publics ne lâchent rien sur l'indexation des salaires des enseignants ou sur les alignements de statuts ou de carrières qui pourraient encore alourdir les comptes.

[1] Revendication accordée le 16 mars 2011, par l'intermédiaire d'un décret à paraître leur permettant de candidater dans le corps par concours interne

[2] Etude, L'éducation en chiffres, édition 2010-2011, Vice-rectorat de Mayotte, avril 2011, p.9.

[3] Voir DPT Outre-mer 2011, p.177, soit 3681 ETP pour la fonction publique d'État et 417 contractuels.

[4] Se reporter à CNFPT, Métiers territoriaux à Mayotte, au 31 décembre 2007, juillet 2010, Etudes régionales, p.23. Les derniers chiffres connus pour la territoriale (2007) s'établissaient à 1.097 agents (affaires scolaires et périscolaires)

[5] Voir, estimation 2005, dans CEROM, n°1 novembre 2010, p.11, co-édité IEDOM, INSEE, AFD

[6] devenu entre-temps rectorat ? C'est en tout cas une de leurs revendications

[7] Ce qui est plus que probable, car il faudra également entretenir l'existant. Or l'état de vétusté de certains bâtiments scolaires est parfois déjà fort avancé, comme très récemment le lycée de Mamoudzou (900 places) mais occupé par 2.300 élèves, qui ouvre dans des conditions de sécurité et de salubrité particulièrement dégradées, voir Insécurité au lycée de Mamoudzou : 60 enseignants exercent leur droit de retrait, Vousnousils.fr, 14 avril 2011.