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François de Rugy : la réforme de l’Assemblée nationale est bien lancée

Le 20 septembre dernier avait lieu le lancement de la Réforme de l’Assemblée nationale annoncée par François de Rugy, son président, dans son allocution inaugurale le 27 juin dernier. Nous avions alors fait part de notre enthousiasme par rapport aux axes qui avaient alors été esquissés afin de parvenir à une réforme en profondeur du fonctionnement de l’Assemblée et de son action notamment s’agissant de l’évaluation des politiques publiques. Le lancement de ces chantiers intitulés Pour une nouvelle Assemblée nationale. Rendez-vous des réformes 2017-2022, prolonge ce sentiment en structurant la réflexion autour de quatre objectifs qui rencontrent des attentes fortes de la société civile : efficacité de l’action parlementaire (discussion des lois, évaluation des politiques publiques), exemplarité de cette action (statut de l’élu, rémunération, collaborateurs), transparence dans le fonctionnement de l’assemblée (budget, statut et rémunération des agents, documents administratifs), ouverture de l’Assemblée sur la société (participation citoyenne, open data et « gouvernement ouvert », etc.)

A cette fin, des groupes de travail ont été constitués afin de répondre par des thématiques très opérationnelles aux objectifs ainsi arrêtés :

  • Le statut des députés et leur travail ;
  • La procédure législative et l’organisation des travaux parlementaires et les droits de l’opposition ;
  • La démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne ;
  • Les moyens de contrôle et d’évaluation (des politiques publiques) ;
  • Les conditions de travail à l’Assemblée ;
  • Le développement durable dans la gestion et le fonctionnement de l’Assemblée ;
  • Ouverture de l’Assemblée nationale à la société et son rayonnement scientifique et culturel.

Le choix d’une méthode de travail incrémentale

On le voit, le programme est vaste et suivant les conclusions retenues, l’Assemblée nationale pourrait voir son action substantiellement modernisée[1] et prendre réellement le virage tant attendu de l’Open Data et du contrôle concret de l’action du gouvernement et de sa propre activité législatrice.

Le choix de la méthode est donc essentiel afin de parvenir à remplir les objectifs fixés. Sur ce plan, le déroulé proposé par la Présidence est inédit : le résultat ne sera pas écrit d’avance mais résultera véritablement des conclusions livrées à l’issue des travaux entrepris ; la méthode sera progressive, sous la forme d’un document « livrable » par les sept groupes de travail tous les six mois, suivant une feuille de route initiée par le Bureau de l’AN à chaque étape ; l’ensemble du processus fera l’objet d’une totale publicité (avec site dédié), livrant au public les débats, les auditions et les documents de travail fournis par les différents interlocuteurs (parties prenantes) ; enfin, comme l’a évoqué François de Rugy : « le processus de réforme sera citoyen : cette ouverture en sera l’un des piliers car l’on ne peut pas souhaiter ouvrir l’Assemblée sur la société sans en faire l’un des éléments essentiels de la conduite des réformes elles-mêmes. Dès aujourd’hui toutes celles et tous ceux qui le souhaitent : députés, collaborateurs, associations, universitaires, think tanks, ou simples citoyens pourront adresser aux groupes de travail une contribution qu'il leur incombera d’étudier. »

Se donner du temps pour parvenir à réaliser chaque objectif décliné, action par action, est une bonne méthode afin de réaliser une réforme d’envergure en profondeur. Par ailleurs, la recherche du consensus ne sera pas poursuivie à tout prix jusqu’au blocage. Le Président de l’AN a ainsi prévenu : « Ce projet voulu et annoncé par la majorité, ne pourra pas être l’œuvre de la seule majorité. Je veille à y associer depuis le début, l’ensemble des groupes politiques, l’ensemble des groupes de notre assemblée dans un esprit de compromis, mais sans se fixer la règle du consensus à tout prix qui a trop longtemps, de commission d’experts en commission des sages, de rapports en colloques, enrichis le débat, mais a abouti à une forme de paralysie, d’inaction ou d’impuissance. Je le dis très clairement, je rechercherai systématiquement les majorités les plus larges, mais s’il n’y a pas de consensus cela ne nous empêchera pas d’agir. La volonté réformatrice de la majorité, c’est la garantie que les réformes seront menées à bien. »

Les actions concrètes d’ores et déjà entreprises

Le Bureau de l’AN a déjà arrêté un certain nombre de décisions : réunion du bureau du 2 août 2017[2], la loi du 15 septembre 2017 et réunion du bureau du 20 septembre 2017. Leur contenu est le suivant :

Statut du député et moyens de travail :

  • Suppression des cartes de transport gratuites ou à tarif réduit dans les transports ferroviaires pour les membres honoraires du Parlement. Gains estimés en 2018, près de 800.000 euros ;
  • Alignement des retraites des parlementaires sur le droit commun de la fonction publique… avant qu’il ne le soit juridiquement complètement par intégration dans le régime général (à l’occasion de la réforme des retraites prévue par le gouvernement) ;
  • Alignement de l’allocation de fin de mandat des députés sur le régime de droit commun de l’allocation de retour à l’emploi (ARE), quant à son mode de calcul.

Conditions de travail à l’AN et statut des collaborateurs parlementaires :

  • Loi du 15 septembre 2017 : fin des collaborateurs familiaux (le respect des procédures et préavis du droit commun, imposent leur départ effectif des 22 encore en poste dans 2 ou 3 mois) ;
  • Loi du 15 septembre 2017 : Création d’un motif spécifique de licenciement des collaborateurs.

Démocratie numérique et nouvelles formes de participation citoyenne :

  • Tout citoyen pourra adresser ses contributions aux groupes de travail (décision du Bureau du 2 août 2017) ;
  • Grande consultation publique organisée en octobre et novembre sur l’association des citoyens aux procédures parlementaires (décision du Bureau du 20 septembre 2017[3]).

Bien entendu il s’agit d’un tout premier volet de mesures… d’autres devraient suivre, notamment afin d’assurer la publicité du suivi et la traçabilité des dépenses des parlementaires suite à la suppression du dispositif des IRFM (indemnités représentatives de frais de mandat) dans le cadre des dispositions votées le 27 juillet 2017 par l’Assemblée nationale au cours de la discussion en séance publique de la loi ordinaire relative à la confiance dans la vie politique[4].

Les changements de pratiques envisagées par la Présidence de l’Assemblée nationale

Par ailleurs François de Rugy a annoncé un certain nombre de chantiers qui lui tenaient particulièrement à cœur et qui seront lancés indépendamment des travaux des groupes de travail. On peut en citer au moins quatre :

Un contrôle de l’Assemblée nationale par la Cour des comptes : Cette procédure serait inédite puisqu’à l’heure actuelle, le Sénat et l’Assemblée nationale n’ont conclu que des conventions avec la Cour visant à la certification de leurs comptes (conformité) depuis le 23 juillet 2013, mais ne se sont pas volontairement assujettis à un contrôle qui dépasse largement la pratique d’un simple audit[5]. Ainsi que l’évoque sans détour François de Rugy : « J’ai indiqué par ailleurs que j’étais favorable à ce que la Cour des comptes puisse contrôler les comptes de l’Assemblée nationale comme elle le fait à l’Elysée depuis bientôt dix ans et j’en ai parlé au Président de la Cour des comptes, qui y est tout près. »

Une présentation analytique séparée du budget de la Présidence de l’Assemblée nationale : Là encore, il s’agit d’un précédent important et d’un effort de transparence inédit, qui permettra de bien isoler et de suivre les actions spécifiques de la présidence, par rapport au reste de l’Assemblée. Là encore François de Rugy est très clair : « La Présidence de l’Assemblée nationale ne saurait s’extraire de cette exigence d’exemplarité et de transparence. J’ai donc demandé qu’un analytique de la Présidence soit établi, car à l’heure actuelle il n’est pas possible de le distinguer précisément de celui de l’Assemblée nationale, ce qui nous empêche de mesurer son importance et son évolution. » La Fondation iFRAP s’attendra à ce que cet analytique fasse l’objet d’une présentation budgétaire adaptée dans le cadre de la publication annuelle de l’exécution budgétaire de l’Assemblée nationale[6].

Une transparence accrue dans les procédures de nomination à la discrétion du Président : Il s’agit en particulier de modifier des « pratiques » jugées peu transparentes jusqu’à présent : Ainsi François de Rugy s’est engagé publiquement à[7] :

  • Publier les appels à candidature (permettant à toute personne intéressée d’y répondre) et à motiver les choix motivants telle ou telle désignation ;
  • Dès à présent à proposer aux présidents de groupes de faire connaître les organismes extra-parlementaires dans lesquels ils souhaitent voir certains de leurs députés siéger[8]. En effet, d’ici la fin octobre, près de 360 députés seront amenés à siéger dans près de 160 organismes extra-parlementaires.

Il s’agit véritablement d’un effort inédit de transparence, qui pourrait par exemple être prolongé dans le cadre d’un meilleur suivi par les citoyens de l’activité de l’Assemblée nationale, par la publication de la liste des organismes où cette obligation légale est présente, conjointement avec, à partir de la fin octobre, la liste des députés retenus.

Un véritable effort de publication (Open Data) : Ces développements conduisent à la volonté de rendre enfin communicables, des documents pourtant essentiels pour la compréhension du fonctionnement et de l’activité de l’Assemblée nationale et de son administration. François de Rugy prend le problème de front : « Comment justifier que beaucoup de documents internes relatifs au fonctionnement du Parlement demeurent encore non communicables, alors que le droit à la communication des documents administratifs est la norme, est la règle dans toutes les administrations depuis les années 1970. Ces questions sont légitimes et ma conviction est que nous devons leur apporter des réponses et rapidement. »

Il importe évidemment que des documents aussi essentiels au fonctionnement des assemblées que le règlement intérieur de chaque assemblée (et pas seulement le règlement de ladite assemblée) soient publiés, afin de pouvoir connaître les plafonds d’emploi, les corps et les effectifs des services parlementaires. Il est par ailleurs également important que les informations relatives aux corps, aux grilles salariales et aux régimes indemnitaires, aux supports légaux de ces régimes soient également connus en toute transparence, afin que les carrières administratives et leur évolution soient bien appréhendées par le citoyen et éventuellement le candidat aux concours de chaque fonction publique parlementaire.

L’objectif pourrait être par exemple de créer une section législative spécifique sur le site légifrance et sur circulaires.gouv.fr ainsi que de façon redondante sur le site de l’Assemblée nationale (et peut être du Sénat), permettant de bien isoler la production réglementaire de chaque assemblée : décisions du bureau, décisions des questeurs, actes de la présidence, arrêtés de ces mêmes organes, circulaires et notes de service s’il y a lieu (portée normative ou interprétative importantes, etc.).

Par ailleurs un certain nombre de documents remis aux assemblées et à leurs commissions pourraient être utilement diffusées par elles : rapports d’inspection, documents fiscaux et statistiques, rapports d’activité des conseils dans lesquels siègent les parlementaires (on pense au rapport sur la Caisse des dépôts qui n’est jamais publié par le représentant de l’Assemblée nationale compétent siégeant à son conseil de surveillance), etc.

Conclusion : l’Assemblée nationale à un tournant

La volonté de François de Rugy d’inscrire l’Assemblée nationale à la pointe de la démocratie participative citoyenne, de la transparence et de l’exemplarité doit être saluée. Elle engage indirectement un rapport de force avec le Sénat dont l’apport essentiel à l’enrichissement du débat parlementaire et au contrôle de la l’application de la loi et des politiques publiques ne doit pas cacher l’important besoin de transparence accrue. Par ailleurs, alors qu’Emmanuel Macron a fait savoir dès son programme présidentiel sa volonté de baisser d’1/3 le nombre de députés et de Sénateurs, il importe de préempter la question du redéploiement des moyens en direction des organes d’évaluation et de contrôle des politiques publiques.

La rationalisation du travail et de la discussion parlementaire devrait s’inscrire dans cette logique de partage avec le travail d’évaluation et contrôle. Deux actions qui ne peuvent que reposer sur une transparence accrue du travail parlementaire sous ses trois composantes : celle des parlementaires eux-mêmes et de leurs équipes, mais aussi celle des services qui leurs sont par principe subordonnés ainsi que de leurs moyens budgétaires. La méthodologie semble la bonne et s’inscrit dans la durée. Elle se veut participative et publique. La Fondation iFRAP ne peut que soutenir cette démarche.


[1] Pour consulter les actions entamées par la précédente présidence de Claude Bartolone, se reporter au rapport de M. Denys Robillard, https://www.denys-robiliard.fr/IMG/pdf/170303_bilan_an_2012-2017.pdf

[2] http://presidence.assemblee-nationale.fr/communiques-de-presse/communique-de-francois-de-rugy-pour-une-nouvelle-assemblee-nationale-les-rendez-vous-des-reformes-2017-2022-et-les-premieres-decisions

[3] Ainsi que l’évoque François de Rugy : « Dans cet esprit nous allons organiser une vaste consultation sur la participation des citoyens à la vie des institutions et notamment au travail parlementaire. Droit de pétition, référendum d’initiative citoyenne, conférence de consensus, consultation citoyenne, le but est d’alimenter la réflexion à venir sur la révision constitutionnelle qui a été lancée par le Président de la République, afin d’y prévoir les instruments les plus adaptés à la démocratie participative. C’est la première fois que les citoyens auront directement leur mot à dire, pour l’écriture de cette réforme constitutionnelle. »

[4] Voir en particulier la deuxième séance du 27 juillet, s’agissant de la discussion de l’article 7 du projet de loi ordinaire, http://www.assemblee-nationale.fr/15/cri/2016-2017-extra/20171024.asp

[5] Voir les conventions signées le 23 juillet 2013 par les deux institutions avec la Cour, http://presidence-14.assemblee-nationale.fr/activites/certification-des-comptes-de-l-assemblee-nationale-signature-d-une-convention-avec-la-cour-des-comptes, ainsi que pour le sénat : http://www.senat.fr/espace_presse/actualites/201307/signature_des_conventions_confiant_la_certification_des_comptes_du_parlement_a_la_cour_des_comptes.html. A noter cependant qu’aucune de ces conventions n’est aujourd’hui consultable en ligne, mais que seule celle du Sénat le fut (nous la mettons en fichier joint).

[6] http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/les-comptes-de-l-assemblee-nationale, notons que les rapports actuels de certification des comptes ne sont pas indexés sur un onglet dédié. Les comptes certifiés depuis 2013 sont consultables pour le Sénat et l’AN sur le site de la Cour des comptes, https://www.ccomptes.fr/fr/recherche?search=certifications+des+comptes&sort_by=search_api_relevance&items_per_page=10, ou fastidieusement par requête sur chacun des sites des deux institutions.

[7] Voir son discours, en particulier : « La loi charge en outre le Président de l’Assemblée nationale d’un certain nombre de nominations notamment au sein de différents conseils et autorités administratives indépendantes. J’ai pris la décision de publier des appels publics à candidature, de manière à ce que toutes les personnes intéressées puissent être amenées à se manifester auprès du Président de l’Assemblée nationale. Et je m’engage également à motiver chacune des désignations que je serai amené à effectuer ou à proposer cela concernera notamment les nominations au Conseil constitutionnel, aux conseils supérieurs de l’audiovisuel ou de la magistrature par exemple. D’ores et déjà, nous avons transformé en profondeur le processus de nomination au sein de ce que l’on appelle les organismes extra-parlementaires dans lesquels siègent des députés et des sénateurs ès qualité. Je l’ai voulu moins discrétionnaire, plus consultatif et plus transparent. Dès la fin juillet, j’ai transmis à chaque président de groupe la liste de toutes les nominations à effectuer en les invitant à m’indiquer la liste des organismes dans lesquels ils souhaitaient prioritairement avoir des représentants. Et c’est sur la base de leurs souhaits que je leur ai transmis des propositions aussi consensuelles que possible. Ce processus me permettra de désigner plus de 360 députés dans plus de 160 organismes d’ici la fin du mois d’octobre, en respectant le poids et les choix de toutes les forces politiques qui composent notre assemblée et qui y ont échos. C’est la première fois de l’histoire de notre assemblée que tous les groupes sont associés de manière aussi transparente aux désignations qui y sont effectuées par le Président. »

[8] Les organismes extra-parlementaires sont des opérateurs ou des comités où de par la loi un/ou plusieurs députés ou sénateurs sont appelés à siéger de droit.