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Retraites des agents locaux : une clause du grand père qui ne dit pas son nom

L’analyse des bilans sociaux montre une tendance très nette des collectivités locales à privilégier le recrutement de contractuels plutôt que des agents statutaires. Ainsi, la variation des effectifs montre que le pourcentage de contractuels a progressé de +50% à Dunkerque en 2019 (contre -1% pour les fonctionnaires), de +122% dans le département de l'Ain, +40% dans le Val d'Oise, etc. Un choix qui s’explique en priorité par le poids des cotisations sociales notamment retraite applicable aux fonctionnaires avec un taux de cotisation employeur de 31,65% tandis qu’il se situe à 14,65% pour un contractuel. La conséquence c’est que la caisse de retraite des fonctionnaires locaux - la CNRACL - est de plus en plus déficitaire, tandis que la caisse de retraite complémentaire des contractuels - l'Ircantec - est excédentaire (les contractuels sont rattachés à la CNAV pour leur régime de base). Une situation intenable sur le long terme et qui appelle des décisions courageuses : la première c'est d'aller au bout de cette substitution entre contractuels et fonctionnaires en appliquant la clause du grand père comme cela a été fait dans les autres régimes spéciaux. Les nouveaux entrants dans la fonction publique territoriale serait automatiquement sous le statut de contractuels. La seconde c'est de faire évoluer les règles du régime spécial pour ceux qui sont déjà en poste en modifiant en faisant converger les règles sur celles applicables dans le privé, en particulier le mode de calcul et les avantages non contributifs.

L’analyse des effectifs au sein des collectivités locales à travers les rapports sociaux uniques (anciennement bilans sociaux) révèle des changements profonds. Les mouvements de personnel sont marqués par une montée en puissance des recrutements de contractuels au fur et à mesure des départs à la retraite des fonctionnaires.

Une première analyse à travers les synthèses des RSU donne les chiffres suivants :

 Variation des effectifs de fonctionnairesVariation des effectifs de contractuels
Val-de-Marne 2021-1,6%+15,9%
Orne 2021-4,3%+50,6%
Pyrénées-Atlantiques 2021+0,9%-13,1%
Cher 2021-3,7%+21,4%
Ain 2021+1,3%+122,3%
Aisne 2021-1,3%+35,2%
Val-d’Oise 2022+5,6%+40,5%
Loir-et-Cher 2021+0,1%-5,8%
Corrèze 2021-2,8%+40%
Eure 2021-1,5%+86%
Meuse 2021-0,2%-8,2%
Dunkerque 2019-1,2%+50%
Roubaix 2021-1,3%+23,1%
Béziers 2021-2,2%+813,6%

Des chiffres au niveau local qui sont confirmés par les enquêtes nationales :

Evolution des effectifs dans la fonction publique territoriale selon le statut

 Effectifs au 31/12/2019Effectifs au 31/12/2020Effectifs au 31/12/20212019-2020 en %2020-2021 en %
Fonctionnaires14691455,61446,7-0,9%-0,6%
Contractuels407,7419,9436,6+3,0%+4,0%
Ensemble1968,51960,31977,0-0,4%+0,8%

A ce rythme là, le nombre de contractuels dans la territoriale sera supérieur au nombre de fonctionnaires d’ici 25 ans.

Pourquoi un tel changement ?

La Fondation IFRAP s’est, de nombreuses fois, penchée sur les règles des régimes spéciaux de retraite des fonctionnaires. Les agents de la fonction publique territoriale sont affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), caisse de retraite des fonctionnaires locaux et hospitaliers. Les règles de liquidation (âge, mode de calcul, avantages non-contributifs, etc.) sont identiques au régime spécial des fonctionnaires d’Etat. En revanche, les taux de cotisation sont différents : la cotisation salariale est de 11,1%, identique à toute la fonction publique[1] et la cotisation employeur est de 30,65%[2], elle a été remontée à 31,65% en 2023. La conséquence de cette cotisation employeur majorée pour les employeurs locaux est d’augmenter le coût des embauches de fonctionnaires.

Ainsi pour un fonctionnaire local touchant un salaire brut moyen de 2584 € dont 1943 € de traitement brut[3], la cotisation CNRACL est de 595 € par mois. Pour un contractuel rémunéré au même montant, la cotisation employeur serait de 378 € par mois[4]. Il s’avère que le salaire brut moyen des contractuels est plus faible, de l’ordre de 2000 € bruts par mois soit au total un différentiel de cotisation retraite près de 300 € par mois, 3600 € par an ! Pour les employeurs locaux dont les dépenses de fonctionnement sont mises sous pression (les dépenses de personnel représentent 37% des dépenses de fonctionnement des collectivités locales – 69 Mds € sur 187 Mds €), en raison notamment de la hausse en 2022 du point d’indice, le recrutement de contractuels sur emploi permanent s’impose comme une nécessité.

Une situation de la CNRACL de plus en plus préoccupante

Mais ce choix n’est pas sans conséquence pour la CNRACL qui gère le régime spécial : la population cotisante a reculé depuis 2015 de -0,2% par an tandis que le nombre de pensionnés est en forte progression de 3% par an. Le rapport démographique de la caisse qui était encore de 2,01 en 2012 est de 1,44 aujourd’hui.

D’où la décision en 2021 d’une reprise de ses déficits de 2018 et de 2019 par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), à hauteur de 1,3 Md€. D’où la décision d’ailleurs en 2022 d’augmenter d’1 point la cotisation employeur.

La Cour des comptes dans son rapport sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale de mai 2023 indique aussi que « compte tenu d’un déficit devenu structurel (1,4 Md€ en 2020, 1,2 Md€ en 2021, 1,8 Md€ en 2022), les capitaux propres du régime sont devenus négatifs en 2021 et s’établissaient à - 2,3 Md€ à la fin de 2022. La tendance déficitaire étant appelée à se poursuivre et à s’aggraver, la LFSS 2023 a autorisé la CNRACL à recourir à des ressources non-permanentes dans la limite de 7,5 Md€ pour assurer la pérennité des paiements des prestations sur l’ensemble de l’année 2023. Les besoins de financement sont provisoirement couverts par des emprunts à court terme souscrits par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), solution de plus en plus coûteuse avec la remontée rapide des taux d’intérêt. »[5]

D’ailleurs, le président de la Caisse a tiré le signal d’alarme dans la Gazette des communes : « Les frais financiers liés aux emprunts que nous devons faire […] passent de 8 millions d’euros en 2022 à 110 millions cette année. » Ces frais portent principalement sur des emprunts de trésor­erie que nous devons faire sur quelques jours dans l’année », précise-t-il. Le régime doit en effet verser en fin de mois leurs pensions aux fonctionnaires territoriaux et hospitaliers retraités, alors que les employeurs ne paient leurs cotisations qu’au 5 du mois suivant (pour les hôpitaux) ou « quand ils veulent » (pour les collectivités et leurs établissements), détaille-t-il. Le Président de la Caisse indique aussi faire face à des impayés d’employeurs : en 2020, ce sont plus de 318 millions d’euros de contributions qui n’ont pu être honorées. Un défaut de paiement essentiellement imputable à des structures relevant de la fonction publique hospitalière qui cumulent 258,6 millions d'euros de créances (81,14% du total des créances). De leur côté, les collectivités territoriales et les établissements publics locaux défaillants ne représentent que 18,6% des sommes dues à la CNRACL (59,5 millions d’euros). Trois employeurs défaillants affichent des créances particulièrement lourdes : le centre hospitalier d’Ajaccio (76,37 millions d’euros) qui ne verse plus sa contribution patronale depuis 2007, le Centre hospitalier universitaire de Martinique (40,72 millions d’euros) et la Ville de Fort-de-France (20,43 millions d’euros).

Le président pointe aussi une difficulté supplémentaire : les fonctionnaires territoriaux nommés dans un emploi à temps non complet et travaillant moins de 28 heures sont affiliés au régime général depuis mars 2022. Une situation qui va accentuer le déséquilibre de la Caisse puisque selon le Président un grand nombre d’agents des collectivités travaillent à temps partiel. D’où son souhait de revenir sur le seuil des 28 heures et d’affilier les contrats à durée indéterminée « qui sont en fait de faux fonctionnaires ». Autre hypothèse, une hausse progressive de 6 points de base des cotisations retraite payées par les employeurs, pour parvenir à un taux de 36,47%, soit 20% de hausse. 

Il est certain qu’en l’absence de toute mesure, le déficit de la CNRACL va immanquablement se creuser : selon le COR, il devrait atteindre 6,6 Md€ en 2030, soit un montant supérieur à cette date à la totalité du déficit de la branche vieillesse des régimes de base et du FSV. Et le COR de souligner que la hausse du taux de cotisation employeur pèserait aussi pour une part importante sur les soldes des hôpitaux publics, déjà déficitaires.

Conclusion

Le sauvetage de la CNRACL par une hausse continue de ses cotisations ou par une reprise de sa dette risque bien de ressembler à une fuite en avant. Il faut aujourd’hui se poser la question de recruter les nouveaux entrants dans la fonction publique territoriale (et aussi hospitalière) comme contractuel avec une affiliation à la CNAV et à l’Ircantec. A cette règle pourrait s’ajouter un choix sur option pour les fonctionnaires locaux de changer de statut et basculer en tant que contractuel. Bien sûr, il sera nécessaire de compenser les pertes de cotisations directement à la CNRACL via une subvention. Mais cela ne doit pas exonérer de revoir les règles de liquidation de la CNRACL (notamment le mode de calcul et les avantages non-contributifs comme les catégories actives).  

Les motifs de recrutement d’un contractuel

(fiche issue du centre de gestion de l'Eure)

Motifs les plus fréquents, tels que le prévoit le Code Général de la Fonction Publique, CGFP.

Recrutement pour le remplacement temporaire d’un emploi permanent (L332-13)

Pour répondre à des besoins temporaires, des agents contractuels territoriaux peuvent occuper des emplois permanents des collectivités pour assurer le remplacement d’agents publics territoriaux :

  • Autorisés à exercer leurs fonctions à temps partiel ;
    • Indisponibles en raison d’un détachement ou d’une disponibilité (courte durée), d’un stage ou d’une période de scolarité préalable à la titularisation ou pour suivre un cycle de préparation à un concours ;
    • D’un congé régulièrement accordé.

Les agents contractuels sont alors recrutés pour une durée déterminée et dans la limite de la durée d’absence du fonctionnaire (ou du contractuel) à remplacer. 

Pour le recrutement sur un besoin permanent (L332-14 et L332-8 etc.) 

Recrutement dans l’attente de recrutement d’un fonctionnaire : il s’agit du motif L332-14 

Attention : une déclaration de vacance de poste est obligatoire, ainsi que la création du poste par votre assemblée délibérante, s’il n’existe pas au tableau des effectifs.

Recrutement par contrat sous les motifs L332-8, 1°, 2°,3°,4°,5° et 6° :

  1. Pour toutes les communes et EPCI quelles que soient leurs tailles, pour tous les emplois et pour tous temps de travail de l’agent lorsqu’il n’existe pas de cadre d’emplois de fonctionnaires correspondant aux fonctions à assurer (attention, il conviendra alors de pouvoir prouver ce dernier point) (L332-8,1°)
  2. Pour toutes les communes et EPCI quelles que soient leurs tailles, pour tous les emplois et pour tous temps de travail de l’agent, lorsque les besoins des services ou la nature des fonctions le justifient et sous réserve qu’aucun fonctionnaire n’ait pu être recruté, (attention, il conviendra alors de pouvoir prouver ce dernier point) (L332-8,2°)
  3. Pour les communes de moins de 1 000 habitants et les groupements de communes regroupant moins de 15 000 habitants, pour tous les emplois et pour tous temps de travail de l’agent, (L332-8,3°)
  4. Pour les communes nouvelles issues de la fusion de communes de moins de 1 000 habitants, pendant une période de trois années suivant leur création, prolongée, le cas échéant, jusqu’au premier renouvellement de leur conseil municipal suivant cette même création, pour tous les emplois et pour tous temps de travail de l’agent (L332-8,4°)
  5. Pour les communes de plus de 1000 habitants et EPCI de plus de 15000 habitants, pour tous les emplois à temps non complet lorsque la quotité de temps de travail est inférieure à 50 % (L332-8,5°)
  6. Pour les emplois des communes de moins de 2 000 habitants et des groupements de communes de moins de 10 000 habitants dont la création ou la suppression dépend de la décision d’une autorité qui s’impose à la collectivité ou à l’établissement en matière de création, de changement de périmètre ou de suppression d’un service public. (L332-8,6°) 

La durée maximale du contrat, sauf pour les contrats du L332-8,4°, est de 3 ans, renouvelable une fois pour une durée totale maximale de 6 ans.
Au-delà, le contrat ne peut être reconduit que de manière indéterminée par décision expresse de l’autorité territoriale.


[1] Pour mémoire, la cotisation salariale d’un salarié non-cadre du privé au plafond est de 11,31%

[2] Pour mémoire, elle est de 16,46% dans le privé

[3] Chiffres issus du dernier rapport sur l’état de la fonction publique

[4] En prenant l’hypothèse qu’il cotise sur la totalité de ses primes

[5] https://www.ccomptes.fr/system/files/2023-05/20230524-RALFSS-2023_0.pdf