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PPP : Et si les Partenariats Public-Privé coûtaient plus cher au contribuable ?

Le dernier projet de loi [1] en matière de réforme des partenariats public-privé (PPP) n'en finit pas de déchaîner les passions. Dans un climat toutefois feutré, celui des professionnels du bâtiment et des administrations concernées. Il faut dire que l'État semble y voir une sorte de « pierre philosophale » capable de changer le béton en or !

Les partenariats public-privé (PPP) sont, aux yeux du gouvernement, parés de toutes les vertus : ils permettraient, dans les secteurs où l'expertise et les supports techniques pourraient faire défaut à l'État, de s'allier l'efficience du privé pour le décharger des tâches de réalisation et d'exploitation, mais aussi de proposer des modèles innovants de financement.

Il en résulterait des réalisations ou des exploitations à moindre coût pour la Puissance publique, et d'une qualité supérieure. Mais cet avantage ne serait pas le seul et sans doute pas l'essentiel : non contents de proposer une synergie bénéfique, les PPP comporteraient également la vertu d'améliorer la présentation financière des comptes de l'État ! Comme nous allons le voir, si les PPP constituent une vraie évolution dans les relations qu'entretiennent les pouvoirs publics et les opérateurs du privé, il ne faut pas négliger que les montages qui en résultent peuvent conduire à « déconsolider » les dépenses publiques. Un toilettage en contradiction avec les principes de transparence, de sincérité et de fidélité de toute comptabilité, fût-elle publique !

Les contrats de partenariat, une technique juridique d'avenir

Les contrats de PPP sont une catégorie hybride de contrats, censés pallier les insuffisances des formes classiques de collaboration entre la sphère privée et la sphère publique que sont les contrats de marchés publics et les délégations de services publics. Ils apportent la dimension du financement sur fonds privés qui fait défaut aux formes classiques de contrats administratifs. En outre, ils sont réputés plus efficients et pertinents que les techniques de régie où l'administration intervient en tant que seule entité conceptrice et réalisatrice. Ainsi, les contrats de partenariat peuvent-ils être définis comme des contrats administratifs transférant la mission globale de concevoir, de construire, d'exploiter, de gérer, mais surtout de financer des équipements ou des ouvrages publics pour le compte d'une personne publique dans une perspective de longue durée, permettant à la personne publique d'étaler son paiement dans le temps.

Introduits dès 1993, les vrais PPP ne feront leur apparition qu'à partir de l'ordonnance de 2004. À travers la lecture de ces textes, le législateur, conscient du caractère potentiellement invasif des contrats de partenariat, a cherché à en restreindre l'usage à des circonstances qu'il estimait exceptionnelles, justifiant l'existence d'un motif d'intérêt général se traduisant soit par la complexité de l'opération envisagée, soit par l'urgence [2] de la situation à laquelle le PPP devrait porter remède. En tout état de cause, ces critères d'évaluation doivent faire l'objet d'un avis rendu par un « organisme expert » : pour l'État, la Mappp (mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat) et, pour les collectivités territoriales, la commission consultative des services publics locaux.

Dans la réalité, pour la majeure partie des projets présentés, c'est la procédure reposant sur le critère de « complexité » qui a été choisie et non sur le critère objectif de l'urgence. La volonté de recourir aux PPP repose donc avant tout sur un argumentaire technique, afin d'en développer l'usage, bien plus que le caractère théoriquement exceptionnel de ces montages aurait pu le laisser penser.

Il faut dire que le volume et le nombre des PPP actuellement réalisés sont très inférieurs à ce qu'ils peuvent être par exemple au Royaume-Uni (3,3 milliards d'euros en France contre 60 milliards au Royaume-Uni).

La réforme des PPP : lorsque l'exception devient la norme

Le projet de loi déposé par le gouvernement contient de substantielles modifications quant aux conditions ouvrant l'accès aux PPP, mais également à leur environnement contractuel direct.

Tout d'abord, le projet de loi commence par élargir la notion d'urgence. Désormais, l'urgence sera légalement constatée lorsqu'il s'agira de faire face à une situation imprévisible, mais aussi en matière de rattrapage de retard d'équipement, c'est-à-dire au moyen d'une véritable clause balai permettant de ramasser tous les cas de figure objectivement observables en matière d'équipement, sauf dépenses somptuaires. En second lieu, le projet de loi crée un troisième critère s'ajoutant à ceux de complexité et d'urgence, le critère de bilan avantageux qui permet de supprimer ipso facto le caractère initial exceptionnel de la procédure. Il suffira que la mise en balance coût/avantage, par rapport aux mêmes prestations effectuées par la personne publique, fasse apparaître un avantage objectif pour que la procédure soit retenue.

Enfin, et c'est sans doute la mesure la plus décisive, le projet crée une voie d'accès sectorielle temporaire pour les contrats passés avant le 31 décembre 2012. Lorsqu'ils remplissent les destinations énumérées par la loi, ils sont présumés présenter un caractère d'urgence. Et la liste envisagée par le gouvernement ne couvre ni plus ni moins que l'ensemble des grandes politiques publiques étatiques : enseignement supérieur et recherche, lois de programmation de la sécurité intérieure et de la justice, nouvelles technologies appliquées à la police et à la gendarmerie nationale, réorganisation des implantations du ministère de la Défense, opérations nécessaires aux besoins de santé publique, aux infrastructures de transport et de rénovation urbaine, etc.

On l'aura compris, l'ouverture la plus large est faite au recours aux contrats PPP, et ce d'autant qu'aucune limite plancher n'a été déposée pour leurs réalisations.

Mais il y a mieux : afin d'inciter les entreprises privées à soumissionner, celles-ci ne seront plus tenues de souscrire une assurance dommage ouvrage, ce qui peut représenter une économie de 1,5% du coût du projet, à laquelle s'ajoutera l'exonération des taxes d'urbanisme relatives au plafond local de densité et aux locaux à usage de bureaux en Île-de-France, représentant jusqu'à 10% du coût de construction. Toutes ces mesures, associées aux améliorations apportées par les cessions de créances relatives à l'amélioration des montages financiers, montrent la volonté gouvernementale de dynamiser ces procédures innovantes.

Reste cependant que le diable se situe souvent dans les détails, et que les montages financiers innovants conduisent également à déconsolider la dette de l'État tout en présentant ainsi un bilan des comptes publics amélioré… Une subtilité qui n'a pas échappé au législateur

Les contrats de partenariat, une machine à déconsolider les comptes publics ?

Rappelons tout d'abord que la technique de déconsolidation consiste à « externaliser » une dette qui figurerait autrement au bilan de l'entité qui l'a contractée. Ainsi, la technique de déconsolidation permet aux personnes publiques de ne pas inscrire comptablement le montant de l'endettement qui devrait figurer dans leurs comptes en l'absence de toute technique innovante. Il s'ensuit une « amélioration virtuelle » des comptes qui bénéficie, dans le cadre des PPP, à l'entité publique, lui permettant de justifier d'une gestion saine et dynamique. En effet seul l'encours annuel de la dette figure au bilan et non le solde, et ces versements sont encore modifiés comptablement puisqu'ils apparaissent sous la forme de loyers payés à l'entité privée partenaire : des dépenses d'investissement deviennent donc des dépenses de fonctionnement.

Un schéma permettra de rendre mieux compte de la situation. Il s'applique tout particulièrement bien aux opérations dites d'AOT-LOA (autorisation d'occupation temporaire assortie d'une location avec option d'achat du bien [3]).

Exposé ainsi, l'usage des PPP peut être un fantastique outil de développement de l'investissement public. Il permet en outre une souplesse de gestion accrue dans la mesure où lorsque le montage est structuré sous la forme d'un financement et d'une maîtrise d'ouvrage privés, la dette est complètement isolée et non rattachée juridiquement à l'entité publique. Il s'agit alors de la traduction comptable, financière et légale du report de la maîtrise du risque lié à l'investissement sur l'organisme privé responsable de la conception et de la réalisation des travaux. Maîtrise de risques qui devrait porter ses fruits en matière de délais et de coûts de construction par exemple. C'est donc sur la pertinence des critères permettant d'identifier la prise en charge des risques que doit se porter l'analyse, car il en découle nécessairement une conséquence comptable essentielle de la dette pour l'entité publique. Or, les critères retenus par Bruxelles et par la France diffèrent sensiblement.

Ainsi conçus, les PPP ne doivent pas apparaître comme des outils de déconsolidation de la dette de l'État permettant de satisfaire aux critères de Maastricht. Le principe de sincérité des comptes publics est en jeu !

Quels critères comptables pour protéger le principe de sincérité des comptes publics ?

L'importance du traitement comptable des PPP relative à lson effet sur les critères de Maastricht [4] (3% du PIB pour le déficit et 60% du PIB pour la dette nationale) a été précisée par Bruxelles [5] par une décision qui indique que la déconsolidation d'un contrat de PPP conduisant à considérer un actif comme non public et donc non comptabilisable au bilan de l'État, repose sur deux conditions cumulatives : le partenaire privé supporte seul le risque de construction ; le partenaire privé supporte, soit le risque de « disponibilité » (ce qui correspond à des clauses de pénalités prévues comme dans tout contrat privé), soit le risque de « demande » (risque lié à la demande, variable par nature et inconnue lors de la signature du contrat, de l'utilisateur final du bien). S'y ajoutent trois critères subsidiaires que sont l'importance du financement public, l'effet des garanties publiques ou les dispositions quant à l'attribution finale des actifs. Mais l'appréciation du partage des risques s'effectue au niveau global du montage, et fait reposer sur la partie la plus exposée même à 51% la totalité des engagements contractuels. Ainsi, selon les critères Eurostat, la puissance publique a tout avantage à reporter un maximum de risque sur l'entité privée cocontractante, de façon à alléger son profil comptable.

La comptabilité générale de l'État pose un principe qui est plus restrictif ; c'est le critère du contrôle des actifs. Celui-ci se traduisant au niveau budgétaire au sein du compte général de l'administration des finances annexé au projet de loi de règlement, qui fournit des indications retraçant : le moment de la signature du contrat et la comptabilisation des flux financiers, ainsi qu'au moment de la livraison du bien, une comptabilisation de l'opération au bilan de l'État. Ainsi la comptabilité générale de l'État intègre davantage d'actifs faisant l'objet de contrats de PPP dans le bilan de l'État. Cependant, la distorsion est toutefois criante entre les règles internes et les règles européennes. Il s'ensuit que des règles plus rigoureuses devraient normalement conduire à une gestion plus efficiente des PPP.

La réforme des PPP : un bilan en trompe-l'oeil

La réforme des PPP arrive à un moment crucial. Alors même que Bruxelles a envoyé à la France un coup de semonce sous la forme d'un avertissement de la commission quant à l'évolution de ses comptes publics, la réforme des PPP s'inscrit dans un processus d'amélioration de la présentation de ses comptes. Il faut songer que si l'on déconsolidait selon les critères retenus par Eurostat pour évaluer l'endettement français, l'ensemble des 15% d'investissements publics prévus sous forme de PPP, cela permettrait de faire passer « sous le radar budgétaire de Bruxelles » pour près de 10 milliards € annuels, soit 0,6% du PIB. Cette technique permettrait de donner du mou à Bercy dont l'objectif est de dégager pour 30 milliards € d'économies sur trois ans, afin de revenir à l'équilibre. On comprend l'importance stratégique de la réforme.

Restent deux problèmes, et non des moindres, en suspens : tout d'abord, celui relatif à la concurrence.

En effet, les procédures classiques d'appel d'offres sont court-circuitées dans la réforme, ce qui pourrait conduire à la passation de contrats sous-optimaux pour les deniers publics. Le procédé d'intégration de la maîtrise d'ouvrage, de la conception et de la réalisation peut conduire à un véritable barrage à l'entrée des marchés de PPP aux petites entreprises et aux petits cabinets d'architectes.

En effet, le choix de l'opérateur « tête de réseau » répartit les rôles par paquets intégrés contenant l'ensemble des intervenants nécessaires (du banquier financeur en passant par les PME sous-traitantes).

Des distorsions de marchés substantielles peuvent être à craindre conduisant à des dérives en matière de facturation. Comme l'a relevé la Cour des comptes dans son rapport annuel 2008, il existe un véritable problème quant à la mise en évidence des « coûts complets » intégrant les coûts indirects ou à long terme, les coûts de maintenance et leur évolution. Et ce, dès la phase de l'évaluation préalable.

Un certain nombre de contrats récents ont été épinglés par la Cour pour des factures bien trop lourdes en moyenne période : ainsi l'immeuble abritant le « pôle du renseignement » du ministère de l'Intérieur. Résultat, un surcoût de 121,5 millions € pour surévaluation de la valeur de l'immeuble et donc du montant des loyers payés par l'État par rapport à une acquisition au comptant. L'addition est lourde ! Reste enfin la question du coût juridique. Là encore, les choses sont compliquées. S'agissant des délais, un cas a défrayé la chronique : les contrats d'externalisation de construction des prisons lancés par la loi d'orientation et de programmation pour la justice de 2002 n'ont pu voir le jour que 17 mois plus tard, après la conciliation Parlement-Conseil européen de décembre 2003 et la décision Eurostat relative au traitement comptable des PPP, la volonté expresse des pouvoirs publics étant une déconsolidation totale des contrats ! Mais indépendamment de l'allégement facial de la dette, les coûts juridiques existent également lorsque l'on attaque la validité du contrat lui-même. Ainsi la décision du ministère concernant le lancement d'un contrat de partenariat pour la modernisation et la rénovation de l'Insep, a révélé qu'il était impossible en pratique d'annuler la réalisation d'une telle commande. Le tribunal administratif [6] a en effet estimé que la décision de signature (en l'espèce illégale) était un acte détachable du contrat n'impliquant pas « nécessairement la nullité dudit contrat ». Et il justifie sa décision au regard de l'importance des travaux préparatoires d'étude et des sommes engagées dans le processus qui seraient alors de nature à porter « une grave atteinte à l'intérêt général » ! On est alors en droit de se demander si, au-delà des effets d'annonce et en l'absence d'un contrôle très serré des coûts induits, les PPP à la française ne coûteraient pas plus cher ?

[1] Présenté au Conseil des ministres du 13 février 2008, le projet de loi est déposé au Sénat le même jour et transmis à l'Assemblée nationale le 3 avril 2008.

[2] L'urgence étant appréciée suivant la décision du CE du 29 octobre 2004 comme la nécessité de rattraper un retard préjudiciable « en raison de circonstances particulières ou locales ». Le Conseil constitutionnel a lui-même ajouté (CC n° 2004-506 DC du 2 décembre 2004) que ce critère, comme celui de complexité, devait s'apprécier « objectivement » relativement à un « secteur ou à une zone géographique déterminée (pour l'urgence) et sur « l'incapacité pour la personne publique de définir seule et à l'avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins » pour le critère de complexité.

[3] Voir par exemple avec profit, Lignières Paul, Partenariats public-privé, Litec, Paris, 2005, 440 p., p. 109-110.

[4] Critères modifiés et assouplis par le Conseil européen des chefs d'État de gouvernement, réunion des 22 et 23 mars 2005, voir Villemot, Dominique, Quelle réforme fiscale ? L'Harmattan, Paris, 2007, p. 40-43.

[5] Décision de l'agence Eurostat du 11 février 2004.

[6] Tribunal Administratif de Paris, 12 mars 2008, Unsa-éducation et autres.