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Peut-on renforcer la police nationale rapidement ?

Malgré l'annonce du gouvernement de remonter les effectifs de la police et de la gendarmerie (voir notre chiffrage des annonces du gouvernement), de nombreux freins existent, notamment la saturation des écoles de formation et la gestion du temps de travail de la police qui accumule les heures supplémentaires depuis une dizaine d'années et qui risque, elle aussi, d'arriver à saturation. Alors quelles sont les pistes pour renforcer notre police nationale sur le court terme afin de répondre le plus vite possible aux besoins de sécurité ?

Des moyens de formation à saturation

À la suite des attentats contre Charlie Hebdo, le gouvernement annonçait la création de 5.000 emplois supplémentaires dans la police et la gendarmerie. Une annonce renouvelée suite aux attaques du 13 novembre… sauf que, les écoles de formation de la police nationale, passées de 25 à 10 depuis 2005, atteignent désormais leur capacité maximum : l’année dernière, 2.628 nouveaux agents de la police nationale ont terminé leur formation et 1.964 agents ont quitté la police (départ à la retraite), ce qui a créé un accroissement de 664 gardiens de la paix en 2014. Du côté des gendarmes, les chiffres sont semblables avec 3.192 gendarmes nouvellement formés et 2.534 sous-officiers quittant les effectifs, soit un accroissement de 658 agents en 2013[1]. Les capacités de formation, en France, tournent donc autour de 1.350 nouveaux gendarmes et policiers par an. Soit largement en dessous de l’annonce du gouvernement qui promet 5.000 nouveaux agents en 2 ans (la durée de formation d’un gardien de la paix ou d’un gendarme oscille autour des 12 mois, avec une obligation de service de 5 ans à la suite).

Le casse-tête des heures supplémentaires

Étant donné que nos capacités de formation de la police vont rapidement être saturées et demanderont, dans tous les cas, un délai de un à deux ans avant de voir les nouveaux effectifs sur le terrain, il faut peut-être agir sur le temps de travail des agents déjà formés. Le temps de travail de la police nationale et la politique des heures supplémentaires a souvent été pointé du doigt par la Cour des comptes qui déplorait, en mars 2013, « qu’il n’y a[it] pas de durée uniforme de travail applicable à l’ensemble des fonctionnaires dits actifs ».

Temps de travail dans la police nationale et la gendarmerie

Pour rappel : le service annuel de la fonction publique est 1.607 heures/an

Police (temps théorique)

Gendarmerie (temps moyen effectif)

2007

De 1.435 à 1.603 heures

1.796 heures

2013

De 1.416 à 1.655 heures

1.797 heures

De ce rapport, il ressort plusieurs éléments :

  1. La durée théorique de travail dans la police nationale est inférieure au service annuel de 1 607 heures (régime des 35 heures applicables dans la fonction publique) : entre 1. 416 et 1.655 heures ;
  2. Et le temps de travail effectif l'est encore plus et les fonctionnaires du corps des gardiens de la paix et les gradés cumuleraient ainsi 160 millions d’heures annuelles par an. Et sur ce temps de travail, 3,2 millions sont des heures supplémentaires qui donnent l’ouverture à 4,9 millions d’heures récupérables (dont 4,4 millions ont été prises). Ainsi 38 minutes de service supplémentaire donnent droit à une heure de récupération et à l’échelle de la police nationale, cela représente 19 heures par an et par agent. « Une valeur moyenne [qui] peut sembler relativement faible » convenait la Cour des comptes qui dénonce cependant de grands écarts, ainsi : « au sein d’une unité de sécurité de proximité, le stock des repos compensateurs restant dus peut aller, selon les agents, de quelques heures à plusieurs centaines d’heures, voire plus de mille ».

Les heures supplémentaires dans la police nationale

Les durées annuelles théoriques de travail des fonctionnaires de police sont variables en fonction du régime horaire auquel ils sont soumis mais les durées effectivement travaillées sont inférieures à ces durées théoriques en raison des coefficients multiplicateurs (de 100 % à plus de 300 %) qui sont appliqués aux heures supplémentaires pour calculer les repos de récupération correspondants.

Ainsi, en régime cyclique de type 4/2, un rappel au service d’une durée de 5 heures effectué sur des repos légaux crédite le fonctionnaire concerné de 16 heures 20 minutes à récupérer (deux vacations), soit un coefficient multiplicateur qui s’élève de fait à 330 %. D’autant que l'heure supplémentaire devait être payée 12,33 euros selon les textes, dans les faits, le taux est passé à 26,47 euros.

L’objet ici, n’est pas de mettre en cause l’implication ou la mobilisation des forces de police mais de mettre en lumière les fragilités de leur management : au 31 décembre 2014, la police cumulait déjà 19 millions d’heures supplémentaires non récupérées. Avec la mise en place du plan Vigipirate depuis janvier 2015, la barre des 20,3 millions d’heures devait être largement dépassée et ce, alors que nos forces de police vont devoir se remobiliser pour une longue période. Le recours à ce régime des heures supplémentaires semble arriver à saturation et représente également pour les années qui viennent « une charge sur les exercices futurs car la prise de ces congés reportés vient à terme ponctionner le potentiel de travail disponible, au plus tard sous la forme d’une cessation d’activité des fonctionnaires anticipée de plusieurs mois par rapport à la date de leur départ à la retraite. »

Quelques pistes pour renforcer la police nationale sur le court terme :

#1) Remonter le temps de travail dans la police nationale :

Seuls les chiffres du temps de travail théorique de la police sont connus actuellement, et la Cour des comptes demande depuis plusieurs années, que soit mesurée « la durée moyenne réelle de travail des policiers selon leur régime horaire et le type de services auxquels ils sont affectés ». C’est à la fois une question de transparence et de meilleure gestion des effectifs. En attendant cela, nous pouvons calculer, en agents théoriques, le gain obtenu en augmentant le temps de travail des policiers :

  • Scénario 1 : Remonter le temps de travail des policiers aux 35 heures hebdomadaires :

En prenant un temps de travail moyen et théorique de 1.535 heures par an (moyenne des temps théoriques donnés par la Cour des comptes en mars 2013), remonter ce temps de travail aux 35 heures augmenterait le temps de travail annuel de chaque agent de +72 heures, ce qui représenterait le travail de 6.535 agents à temps plein théoriques.

  • Scénario 2 : Aligner le temps de travail des policiers sur le temps de travail effectif moyen des gendarmes (1.797 heures) :

En prenant un temps de travail théorique de 1.535 heures par an (moyenne des temps théoriques donnés par la Cour des comptes en mars 2013), aligner ce temps de travail à 1.797 heures par an augmenterait le temps de travail annuel de chaque agent de +225 heures, ce qui représenterait le travail de 21.126 agents à temps plein théoriques.

#2) Externaliser certaines missions de la police nationale :

Le premier syndicat des forces de police, Alliance, a été le premier à juger qu’il fallait recentrer le travail de la police sur les missions de sécurité, sur le terrain et déléguer au privé les missions moins prioritaires comme les gardes d'hôpitaux, les transferts de détenus, la garde des préfectures. Or, quand on regarde la répartition des missions au sein de la gendarmerie et dans la police entre 2015 et 2016, on constate que ce sont les missions judiciaires et de ressources humaines qui ont été le plus augmentées (avec la police des étrangers – délivrance des titres de séjours - et sûreté des transports internationaux dans la police – de 7,4 à 8,2%).

Des exemples d’externalisation de la sécurité existent déjà en Europe : 8 pays ont déjà des effectifs de sécurité privés plus élevés que ceux de la sécurité publique alors qu’en France, l'activité peine à décoler et pourtant, le groupe de sécurité français Amarante International, concluerait déjà 25% de son chiffre d'affaires avec des organismes publics (Cnes, ministère des Affaires étrangères - voir sur le site de Challenges). En Espagne, le privé assure la sécurité du métro. En Autriche, ces sociétés sont en charge de la sécurité des autoroutes et l'Allemagne réfléchit à déléguer au privé des missions traditionnellement régaliennes, telles que le contrôle d'identité dans les lieux publics, les délits routiers, l'attribution des cartes grises (voir la note complète). Des pistes d'externalisations dans la police seront donc peut être explorées dans les mois qui viennent alors que la police doit être plus que jamais mobilisée et que ses forces font face à un encombrement de tâches multiples qui ne relèvent pas toujours du cœur de métier de policier.

Gendarmerie : répartition par action entre 2015 et 2016

 

2015

2016

Ordre et sécurité public[2]

46%

45%

Sécurité routière

11,4%

11%

Missions de police judiciaire et concours à la justice[3]

25,4%

27,1%

Commandement, ressources humaines et logistique[4]

14,6%

14,9%

Exercice des missions militaires

2,2%

1,8%

 

Police : répartition par action entre 2015 et 2016

 

2015

2016

Ordre public et protection de la souveraineté

13,1%

12,9%

Sécurité et paix publiques

35,4%

34,1%

Sécurité routière

5,7%

5,2%

Police des étrangers et sûreté des transports internationaux

7,4%

8,2%

Missions de police judiciaire et concours à la justice

28,2%

28,5%

Commandement, ressources humaines et logistique

9,9%

10,8%

 


[1] Données, Le Monde du 17 novembre 2015.

[2] Retrace les missions qui concourent à la maîtrise des troubles à l’ordre public et à la réduction des menaces, maintien de l’ordre (manifestations, attroupements), protection des autorités et de personnalités, protection de bâtiments officiels et lieux sensibles.

[3] Missions réalisées au profit de la justice ou de l’administration pénitentiaire, activités de coopération internationale en matière judiciaire.

[4] Ensemble des fonctions de soutien, organisées en 3 pôles : commandement, gestion RH et formation/soutien des personnels.