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Chiffrage des annonces de François Hollande devant le Congrès

Lors de son allocution devant le Congrès réuni à Versailles, le 16 novembre 2015, François Hollande a formulé plusieurs annonces donnant corps à sa formule « le pacte de sécurité plutôt que le pacte de responsabilité ». En clair, des dépenses supplémentaires à venir qui laissent présager, au nom de la défense légitime de la Nation et du renforcement de la sécurité, des mesures suffisamment massives sur le plan budgétaire pour mettre entre parenthèses (peut-être pour longtemps) nos engagements financiers européens. Après chiffrage cependant des premières mesures annoncées concernant les personnels supplémentaires à budgéter, il apparaît, compte tenu des données disponibles, que le coût budgétaire global de ce premier train de mesures ne devrait pas dépasser les 650 millions d’euros. Pas de quoi, pour le moment, porter un coup de canif suffisant au pacte de stabilité, ce que Bercy avait confirmé dès le jour même en précisant : « Cela va se compter en centaines de millions d’euros. (…) c’est bien un surcoût. Malgré tout, cela reste compatible avec nos équilibres et ne remet pas en cause nos engagements européens. » De quoi laisser à penser que lorsque le président de la République parle de ne pas respecter nos engagements européens, son regard porte ailleurs (collectivités territoriales, explosion du coût des OPEX, dépenses d’investissement supplémentaires non encore annoncées (vidéo-protection, renfort de la protection des frontières, etc.). 

Selon nos chiffrages, et d’après les éléments apportés par Michel Sapin, ministre des finances le 19 novembre 2015 devant la commission des finances du Sénat, l’ensemble devrait aboutir à un surcoût de 600 millions d’euros pour 2016. Cela veut donc dire que les dépenses de fonctionnement et d’investissement supplémentaires liées à l’augmentation de ces emplois nouveaux, devraient représenter entre 409 et 439,5 millions d’euros supplémentaire.

Les annonces de François Hollande, entre 17.718 et 19.295 ETP supplémentaires :

Le Président l’a énoncé clairement : « j’ai également conscience qu’il nous faut augmenter encore les moyens parce que si nous sommes en guerre, nous ne pouvons pas l’être avec ce que nous avions il y quelques années dans des lois de programmation militaire ou dans d’autres textes imaginés pour assurer la sécurité de nos concitoyens. » « Alors, 5.000 emplois supplémentaires de policiers et de gendarmes seront créés d’ici 2 ans afin de porter le total des créations d’emploi de sécurité à 10.000 sur le quinquennat. Cet effort, qui est considérable et qu’assume le gouvernement dans le contexte budgétaire que chacun connait, permettra simplement de restaurer le potentiel des forces de sécurité intérieure au niveau qu’elles connaissaient en 2007. Ces créations de postes bénéficieront aux services de lutte contre le terrorisme, à la police aux frontières et plus généralement, à la sécurisation générale du pays. Elles s’accompagneront des moyens d’équipement et d’investissement nécessaires à l’accomplissement des missions. » « De même le ministère de la Justice disposera de 2.500 postes supplémentaires pour l’administration pénitentiaire, pour les services judiciaires. Et je n’oublie pas l’administration des douanes qui devra être renforcée de 1.000 postes pour que nous puissions assurer le contrôle aux frontières dès lors qu’il sera utilisé. » « Quant à nos armées (…) j’ai donc là encore décidé qu’il n’y aurait aucune diminution d’effectifs dans la Défense jusqu’en 2019. Et cette réorganisation de nos armées se fera au bénéfice des unités opérationnelles, de la cyberdéfense et du renseignement. »

« Toutes ces décisions budgétaires seront prises dans le cadre de la loi de finances qui est en ce moment même en discussion pour 2016 ».

Nous formulons immédiatement plusieurs hypothèses :

  • Tout d’abord qu’un certain nombre de postes supplémentaires seront formalisés dès la discussion du PLF 2016 au Sénat en première lecture, mais que d’autres, à l’instar de la loi de programmation militaire (jusqu’en 2019) ou des différentes augmentations programmées, seront réparties équitablement entre les années 2016 et 2017.
  • Ensuite – pour la présentation des trajectoires – que les ETP et les ETPT sont substituables (les créations de postes étant exprimées en ETP, mais les plafonds d’emplois en ETPT), ainsi que la « simplification » consistant à considérer que le plafond voté correspond au plafond réalisé pour l’année 2015 et pour l’année 2016 (puisque nous n’avons pas la publication de la consommation des emplois sur ces deux années (décalage de la loi de finances de règlement)).
  1. 5.000 emplois supplémentaires dans la police et la gendarmerie :

Nous formulons à cet endroit deux hypothèses. En effet, soit l’objectif est de viser à retrouver un effectif proche de celui de la police et de la gendarmerie en 2007, et dans ce cadre il faudrait augmenter les effectifs entre 2016 et 2017 de 3.289 ETP/an. Soit il s’agit d’augmenter les postes de 5.000 emplois sur deux ans, mais dans ce cas, on raterait la cible de 10.000 et le retour à un effectif global proche de celui affiché en 2007. Les coûts d’entrée des postes de gendarmerie et de police sont appuyés sur les coûts synthétiques moyens dégagés toutes catégories d’emplois par les deux programmes de la mission.

Étant donné les évolutions d’effectifs passées et programmées, les deux hypothèses donnent les résultats suivants :

Hypothèse n°1 : avec 3.289 créations d’emplois/an

Hypothèse n°2 : avec 2.500 créations d’emplois/an

L’hypothèse implicite de ce premier chiffrage vient d’une augmentation des personnels respectivement de la Police nationale (PN) et de la Gendarmerie nationale (GN) au prorata des effectifs en poste.

Il faut par ailleurs tenir compte de l’évolution globale des personnels dans le cadre de leur plafond d’emploi annuel. À cet égard nous observons deux règles de chiffrage complémentaires. Nous assimilons les ETP des schémas d’emplois pour l’avenir aux ETPT des plafonds d’emplois. Les inévitables modifications de périmètres et transferts rendent hypothétiques ces résultats, mais il s’agit d’une « convention de chiffrage » obligatoire puisque l’on ne dispose pas toujours du prévisionnel des schémas d’emplois, et jamais des effectifs en poste en ETP.

Les évolutions des effectifs de la police nationale et de la gendarmerie entre 2007 et 2016 entre les PAE (plafonds d’autorisation d’emplois) théoriques en LFI et réalisés :

Ainsi que sur la somme des effectifs de sécurité (PN et GN) jusqu’en 2017 en y intégrant les hypothèses de recrutement annoncées par François Hollande (avec hypothèse n°1 et n°2) :

Les coûts ressortent alors comme suit, suivant les deux hypothèses (ils sont exprimés par rapport au salaire moyen de l’ensemble du programme, hors contribution au CAS pensions) :

Surcoût hypothèse 1

2016

2017

Total

PN

84,35

84,35

168,71

GN

43,57

43,57

87,14

Total

127,92

127,92

255,85

Total cumulé

127,92

255,85

 

 

Dans la première hypothèse, le coût total budgétaire serait de 127,9 millions d’euros en 2016 puis de 255,85 millions d’euros en 2017 (par rapport à la trajectoire actuelle de dépense, seul le cumul permet d’avoir année après année le surcoût budgétaire).

Surcoût hypothèse 2

2016

2017

Total

PN

64,13

64,13

128,26

GN

33,12

33,12

66,25

Total

97,25

97,25

194,50

Total cumulé

97,25

194,50

 

 

Dans la seconde hypothèse les surcoûts budgétaires seraient respectivement de 97,25 millions d’euros en 2016 et de 194,5 millions d’euros en 2017.

  1. 1.000 emplois supplémentaires dans les douanes (DGDDI) :

Nous avons fait l’hypothèse que les effectifs augmenteraient de 500 ETP en 2016 et de 500 ETP en 2017. Le coût d’entrée en carrière hors CAS pensions est estimé par rapport au coût moyen des effectifs d’entrée sur l’ensemble de la chaîne hiérarchique (du A+ au C). Il ressort à 36.380,34 euros/an.

On constate que les effectifs ainsi modifiés reviendraient peu ou prou à leur niveau d’exécution de 2009.

 

2016

2017

Total

DGDDI

500

500

1.000

coût budgétaire M€

18,19

18,19

36,38

 

  1. 9.218 personnels de défense supplémentaires :

Pour parvenir à ce chiffre il faut tout d’abord repartir du schéma d’emploi et y intégrer les modifications constatées par les annonces présidentielles.

 ETP

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Total

Déflation des effectifs opérée au titre de la LPM 2014-2019

 

-5.000

-7.500

-7.500

-3.500

 

-23.500

Déflation des effectifs opérée lors des précédentes réformes

-7.881

-2.500

103

103

 

 

-10.175

dont créations de postes

 

 

103

103

 

 

206

dont suppression de postes

-7.881

-2.500

 

 

 

 

-10.381

Déflation totale (loi du 18 décembre 2013)

-7.881

-7.500

-7.397

-7.397

-3.500

 

-33.675

Trajectoire actualisée loi du 28 juillet 2015

-8.007

0

2.300

-2.600

-2.800

-3.818

-14.925

Créations de postes

 

7.500

6.800

819

218

62

15.399

Suppressions de postes

 

-7.500

-4.500

-3.419

-3.018

-3.880

-22.317

Trajectoire actualisée discours de Fr Hollande

-8007

0

2.300

0

0

0

-5.707

dont créations de postes

 

 

 

2.600

2.800

3.818

9.218

Nous aurions dans ces conditions une création nette de postes de 2.300 en 2016 comme annoncé par l’actualisation de la LPM du 28 juillet 2015, puis des efforts de création nette de 2.600 ETP en 2017, de 2.800 ETP en 2018 et de 3.818 ETP en 2019. Graphiquement et en « bouclant » artificiellement avec les plafonds d’emplois LFI (pour 2015 et 2016) et réalisés pour les années antérieures, l’évolution serait la suivante :

Si l’on veut maintenant avoir une idée de l’évolution globale des effectifs sur longue durée, le graphique suivant permet de constater l’effet de « stoppage » de la baisse continue observée à partir de 2016. Cette baisse pourrait cependant se poursuivre si le schéma d’emploi révisé ne tenait pas compte des effets « rémanents » des schémas pluriannuels antérieurs (mais nous ne l’avons pas modélisé). Pour les années antérieures à 2009 nous avons « neutralisé » les effectifs de gendarmerie.

Sur le plan du chiffrage du coût budgétaire, nous avons choisi de retenir une certaine répartition des effectifs en fonction des annonces présidentielles :

  • Les renforts à la mission Protection, nous avons estimé qu’ils représentaient environ 71% des effectifs, soit 6.588 ETP.
  • Les effectifs renforçant les unités de renseignement (renseignement et cyberdéfense) ont été chiffrés par nos soins à 19% soit 1.721 ETP, en adéquation avec le renforcement annoncé par David Cameron d’une hausse de 1.900 personnes de ses propres services (+15%). Pour la France, cette augmentation représenterait une augmentation d’environ 12,9%[1].
  • Le reste étant assimilé à des postes d’encadrement (sous-officiers), soit 10%, 910 ETP.

Le chiffrage a été réalisé par assimilation : les renforts de la mission Protection sont associés à des militaires du rang, les effectifs du renseignement sont assimilés à des effectifs d’officiers, tandis que les autres effectifs sont assimilés à des effectifs de sous-officiers, le chiffrage par rapport aux coûts d’entrée de personnels civils éventuels étant indéterminable. Avec ces conventions de chiffrages nous obtenons les coûts budgétaires suivants :

 

Effectifs

Coût budgétaire

2017

2018

2019

Renfort mission de protection

6.588

157,45

 

 

 

Renseignement

1.721

84,40

 

 

 

Autres

910

26,18

 

 

 

Total

9.218

268,04

75,60

81,42

111,02

 

 

Coût budgétaire

75,60

157,02

268,04

PS : Nous n’avons pas voulu arbitrer entre les différents schémas de recrutement des services concernés sur base annuelle pour retenir un coût synthétique global moyen reporté sur le schéma d’emploi total programmé.

  1. 2.500 emplois supplémentaires pour la mission Justice :

Nous avons choisi de procéder à un arbitrage conventionnel entre les missions Justice judiciaire et Pénitentiaire. Nous avons choisi d’allouer 1.500 emplois pour l’administration pénitentiaire et 1.000 emplois pour la justice judiciaire. La répartition doit cependant tenir compte du schéma d’emploi préexistant que nous avons choisi de faire rétroagir sur le plafond d’emploi arrêté à partir de 2016. Par ailleurs nous avons supposé que l’effort global sur la fin du quinquennat serait également réparti en rythme annuel. Dans ces conditions l’évolution des effectifs serait la suivante :

En tenant compte des schémas d’emplois et plafonds d’emplois, et en procédant par assimilation à partir de 2015 :

 

2015

2016

2016 modifié

2017

Programme justice judiciaire PEA (ETPT)

31.641

31.743

32.243

32.743

Schéma d'emploi antérieur (ETP)

600

667

 

667

Nouvelles mesures Hollande (ETP)

 

 

500

500

Programme pénitentiaire PEA (ETPT)

36.758

37.823

38.573

39.323

Schéma d'emploi antérieur (ETP)

528

250

 

284

Nouvelles mesures Hollande (ETP)

 

 

750

750

Soit au niveau des surcoûts budgétaires

M€

2016 modifié

2017

Total

Programme justice judiciaire PEA (ETPT)

20,79

20,79

41,59

Programme pénitentiaire PEA (ETPT)

24,26

24,26

48,52

Un surcoût budgétaire total oscillant entre 589 et 650 millions d’euros à compter de 2019 :

Si nous mettons bout à bout l’ensemble des chiffrages ainsi que des ouvertures de postes nous aboutissons aux éléments suivants :

Déroulé par année en M €

2016

2017

2018

2019

Total

Police Nationale et Gendarmerie hypo 1

127,92

127,92

 

 

255,85

Police Nationale et Gendarmerie hypo 2

97,25

97,25

 

 

194,50

DGDDI

18,19

18,19

 

 

36,38

Défense LPM

0,00

75,60

81,42

111,02

268,04

Justice et pénitentiaire

45,05

45,05

 

 

90,11

Total (avec hypothèse 1)

191,17

266,77

81,42

111,02

650,37

Total (avec hypothèse 2)

160,50

236,10

81,42

111,02

589,03

Surcoût budgétaire

Total (avec hypothèse 1) coût budgétaire

191,17

457,94

539,36

650,37

 

Total (avec hypothèse 2) coût budgétaire

160,50

396,59

478,01

589,03

 

 

Déroulé par année ETP

2016

2017

2018

2019

Total

Police Nationale et Gendarmerie hypo 1

3.289

3.289

 

 

6.577

Police Nationale et Gendarmerie hypo 2

2.500

2.500

 

 

5.000

DGDDI

500

500

 

 

1.000

Défense LPM

 

2.600

2.800

3.818

9.218

Justice et pénitentiaire

1.250

1.250

 

 

2.500

Total (avec hypothèse 1)

5.039

7.639

2.800

3.818

19.295

Total (avec hypothèse 2)

4.250

6.850

2.800

3.818

17.718

Il apparaît donc que hors surcoûts complémentaires chiffrés aujourd’hui par le gouvernement pour 2016 seulement à 409 à 439,5 millions d’euros (pour un coût budgétaire global personnels compris de 600 millions d’euros environ), les coûts des dépenses de personnels pour 2016 devraient s’élever entre 160,5 et 191,2 millions d’euros. Des coûts relativement faibles qui s’entendent hors contribution au CAS pension, et hors surcoûts OPEX et primes de suggestions spéciales pour les forces de l’ordre, et bien entendu hors heures supplémentaires lorsqu’elles sont disponibles.

Le total des effectifs recrutés devraient donc en 2019 s’élever entre 17.718 ETP et 19.295 ETP, pour un coût budgétaire en fin de période (et donc en année pleine) compris entre 589 et 650,4 millions d’euros. Des dépenses qui devraient être largement potentiellement gagées par des diminutions d’effectifs dans des administrations non régaliennes. Pour en avoir le cœur net, il suffit de regarder la sous-consommation globale des plafonds d’emplois sur l’ensemble des ministères (-12.000 ETPT environ pour l'État hors opérateurs en 2015). Il va de soi que la réserve de précaution (0,5% de la masse salariale sanctuarisée) joue également son rôle. Il existe cependant dans certaines administrations des personnels « fantômes[2] » et des plafonds d’emplois qui ne correspondent pas aux sommes budgétées (sous-budgétisation, mais sous-consommation) ce qui correspond à des effets d’affichage. En revanche on assiste au contraire à des surconsommations, notamment dans le domaine pénitentiaire[3], la mission Justice assurant la compensation interne des dépenses supplémentaires occasionnées. Dans la mesure où l’Intérieur comme la Justice sont concernés, il serait bon que ces pratiques cessent afin de véritablement réaliser les objectifs assignés.


[1] Voir rapport de la délégation parlementaire pour le renseignement du 18 décembre 2014, dernier rapport disponible, p.94, précisons que les effectifs de renseignement français s’élevaient à 13.306 ETPT en 2014.

[2] Voir www.gendxxi.org.

[3] Voir l'étude complète de la Fondation iFRAP.