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Nouvelle vague de décentralisation : les propositions de la Fondation IFRAP

Le Président vient de mandater Eric Woerth, ex-ministre du Budget et désormais député Renaissance d'une mission de 6 mois afin de préparer un texte législatif relatif à la décentralisation. Un texte qui se présente déjà a minima puisqu'à l'occasion du Congrès des maires de France, Eric Worth a déjà annoncé qu'il ne s'agirait pas d'un "grand soir", que les départements seraient préservés et qu'une collectivité ne sera supprimé. Si un premier bilan des concertations doit être présenté dans 3 mois, la Fondation IFRAP présente, ici, ses propositions relatives à une révision des missions publiques et, initialement, présentées dans un dossier spécial pour un programme de coalition, 2023-2027

La décentralisation, une occasion déjà manquée pendant le premier quinquennat d'Emmanuel Macron

En 2017, Emmanuel Macron parlait de donner plus d’autonomie et de déconcentration aux territoires (« il faut redonner des compétences au plus près du terrain ») et de réduire le millefeuille administratif avec la suppression d’au moins un quart des départements. 

La réalité, c'est qu'au cours du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, cette promesse a été, dans un premier temps, mise sous le tapis avant d'être réglée via le vote d'un texte peu ambitieux, flou et vite oublié, la loi 4D, très loin du grand acte de décentralisation promis. La loi permet, notamment, chaque département à avoir des attributions différentes des autres départements, chaque région à avoir un périmètre de responsabilité différent des autres régions... ce qui rend les comparaisons de gestion de plus en plus difficiles, voire impossibles.

A l'époque, le gouvernement justifait le manque d’ambition du texte par sa volonté de ne pas bousculer le fonctionnement territorial en pleine crise sanitaire et économique.

La crise sanitaire et le mouvement des gilets jaunes ont rappelé le besoin de gestion locale des Français qui expriment massivement le souhait de voir les collectivités assumer plus de responsabilité, en particulier la commune et la région.

Cet appel à plus de décentralisation intervient alors que les réformes successives ont créé une organisation territoriale et une répartition des compétences trop complexe qui se caractérise par un empilement de structures. Il est plus que temps de clarifier le « qui fait quoi » avec des missions claires pour l’État, les régions et les communes en ne retombant pas, comme le demandent les élus locaux, sur la clause générale de compétence qui permet que tous fassent un peu de tout (et au final, surtout mal).

La conséquence est que la France a un coût de production des services publics qui est élevé : 27 % du PIB en 2018 quand la moyenne des pays européens (21 pays) est de 23,6 %. L’écart de 3,4 points représentant un surcoût de 84 milliards €. À l’échelle des dépenses totales, nous dépensons 300 milliards de plus que la zone euro dont 55 milliards au niveau local. La Fondation IFRAP estime qu’après cette nouvelle vague de décentralisation, c’est 38 milliards qui pourront être dégagés tout en renforçant nos territoires.

Les 4 mesures à inclure dans le contrat de coalition :

  • Adopter le principe de la fusion des communes de moins de 500 habitants

La Fondation IFRAP propose de lancer un acte II des contrats de « Cahors » et de fixer le nombre minimum d’habitants par commune à 500 habitants, cela concerne 4,5 millions d’habitants vivant dans 19 796 communes. Pour relancer un nouveau cycle de contractualisation, il faut augmenter le nombre de collectivités éligibles. Nous proposons de descendre le seuil d’éligibilité de 50 000 à 10 000 habitants pour les communes et de 150 000 à 15 000 habitants pour les EPCI, portant le nombre de collectivités éligibles à 1 557 (contre 338 aujourd’hui) et couvrant 84,2 % des dépenses de fonctionnement des collectivités (contre 66 % actuellement).

Enfin, la rationalisation des dépenses des petites communes de moins 500 habitants (par un alignement ou fusion avec la strate supérieure) représente un potentiel d’économies de 667,1 millions € en dépenses réelles de fonctionnement et de 690,56 millions € en dépenses d’investissement, soit un gisement de près de 1,36 milliard € (hors coûts de fusion pendant la durée de transition).

  • Revoir les missions du département qui doublonnent les organismes sociaux, en recentralisant la politique de protection sociale qui doit incomber à l’État

Alors que l’État est contraint de plus en plus régulièrement de reprendre la main, ou de refinancer à coups de contributions spéciales les compétences sociales des départements, la proposition est de revoir les missions des département en commençant par recentraliser l’action sociale des départements.

On observe d’ailleurs plusieurs exemples d’évolutions institutionnelles où le département a été « absorbé » soit par la région (Corse, Guyane, Martinique) ou par la métropole (Lyon).

Au passage cela devrait permettre de revoir les coûts de fonctionnement des conseils départementaux (4 058 élus en 2021 pour des charges annuelles de plus de 168 millions €, 88 millions € de frais de mission et 48 millions de frais de réception, 276 377 agents départementaux pour 16 milliards € de charges de personnel dont 83 000 opérationnels de l'action sociale détachés auprès des communes et EPCI).

Au final, les services généraux des départements représentent une dépense de fonctionnement de 5,4 milliards €.

  • Accélérer le dispositif de contractualisation entre l’État et les collectivités pour assainir les finances publiques locales

À moyen terme, il faut déboucher sur une démarche plus fine, analytique et partagée tout en évitant les fuites (budgets annexes, règle d’endettement, ETP). Les Italiens en la matière sont bien plus en avance sur la France et comparent en permanence les collectivités entre elles pour les faire converger, politique publique par politique publique, vers les bons gestionnaires. De notre côté, il faut comparer le coût de chaque service public entre collectivités : les crèches, les écoles, l’eau, la voirie… En 2018, une démarche identique à celle de l’Italie a été proposée par le Sénat mais malheureusement repoussée par l’Assemblée nationale. Le Sénat demandait aussi que tout citoyen puisse accéder aux termes du contrat passé entre l’État et chacune des 322 collectivités mais cela aussi a été rejeté. Un effort de transparence et de comparaison à relancer.

Autre élément, la France emploie à Bercy (2021) près de 127 161 agents publics (ETP) contre seulement 99 320 au Royaume-Uni sur des missions comparables. Explications : en France, le réseau des comptables publics doublonne (séparation des ordonnateurs et des comptables oblige) avec celui des directions financières de l’ensemble des organismes publics (hôpitaux, opérateurs, collectivités). La mise en place du compte financier unique et des agences comptables locales rattachées aux collectivités territoriales est indispensable.

  • Instaurer au niveau constitutionnel un principe de subsidiarité pour limiter les compétences partagées comme en Espagne

Il s’agit ici d’inscrire dans la Constitution la limitation des compétences partagées et des cofinancements. Cela fonctionne déjà en Espagne où l’action publique a été ajustée en cherchant le meilleur niveau (subsidiarité) pour chaque politique publique afin que l’État se défasse clairement de ses compétences en faveur des échelons locaux. Alors que la France souffre particulièrement d’un éparpillement des compétences, des guichets et des acteurs, instaurer ce principe au niveau constitutionnel doit être la première étape à acter avant d’entamer une véritable (et ultime) vague de décentralisation.

À plus long terme, cela nous permettra de décentraliser la politique éducative comme le font nos voisins européens (Allemagne, Royaume-Uni et Suède) où la gestion des établissements et des enseignants est pensée au plus près des territoires tandis que l’État conserve un rôle de superviseur.