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Le « droit à l’erreur » d’Emmanuel Macron, un concept encore trop vague

Parmi les mesures que le nouveau Président désire faire passer par ordonnance, figure l’institution d’un droit à l’erreur. Il s’agit d’éviter d’être systématiquement sanctionné dans les démarches administratives, afin que « le cœur de la mission de l’administration ne soit plus la sanction mais le conseil et l’accompagnement ». Excellent, sauf que cette notion de droit à l’erreur est bien obscure, qu’elle existe déjà et concerne tous les domaines de la loi avec des règlementations différentes. De plus, pour les entreprises, particulièrement en droit du travail, elle n’est guère susceptible d’application en raison de son exclusion lorsqu’une sanction pénale est encourue, ce qui est systématiquement le cas. Autre sujet, Emmanuel Macron avait aussi, en 2015, évoqué le « droit à l’erreur en matière d’embauche ». Excellent aussi, mais de cela il ne semble plus être question du tout. Tout cela ne finirait-il pas en fumée ? Faudra-t-il en fin de compte distinguer, comme l’avait fait Edouard Philippe - avant d’être nommé Premier ministre – le Macron des discours de celui des actes ?

Le « droit à l’erreur pour tous »

Ce droit à l’erreur concerne les rapports des citoyens avec les administrations. Le domaine privilégié est bien sûr celui du paiement des taxes et des impôts. L’exemple donné concerne un employeur ayant omis de déclarer à l’Urssaf la prime de Noël versée à ses employés. Dans ce cas, il ne devrait plus être condamné à une « amende ».

Le premier problème, c’est que le droit à l’erreur n’est pas une nouveauté, et qu’il est déjà régi par des dispositions diverses qui ne sont pas identiques dans les différents domaines où il trouve à s’appliquer, et que les sanctions qu’il permet d’éviter sont elles aussi différentes suivant les cas.

Dans le cas de la déclaration à l’Urssaf, le sujet a déjà fait l’objet d’un décret 2016-941 du 8 juillet 2016, pris sur la base d’un rapport parlementaire, qui supprime les majorations de retard et pénalités sous certaines conditions de régularisation et pour autant qu’il ne s’agisse pas d’« omissions répétées ». Quoi de différent dans la proposition du Président ? Que signifie le terme d’amende qu’il a utilisé, sachant que les pénalités et majorations de retard ne sont pas des amendes ?

En matière fiscale, la question se pose différemment. Le Code général des impôts contient nombre de dispositions qui lui sont spécifiques. Par le type d’impôt, par les sanctions : majorations de retard (de 10, 40 ou 80% selon le comportement du contribuable et sa bonne ou mauvaise foi, intérêts de retard (0,4% par mois, qui ne sont pas des sanctions ni des amendes, mais la réparation pécuniaire forfaitaire de la perte subie par l’administration), condamnations pénales en cas de fraude. Les règles de télécorrection sont aussi particulières. Il y a de plus toujours la possibilité de solliciter la clémence de l’administration. Que va modifier l’ordonnance dans ce domaine ? Probablement rien – ou très à la marge : on voit mal l’administration fiscale renoncer à percevoir ses pénalités de retard, encore moins en cas de mauvaise foi ou de fraude.

L’autre problème consiste en la restriction apportée par le Président : le droit à l’erreur ne concerne pas « ce qui relève du pénal » ou de la violation des « règles de sécurité ».

Le cas des « amendes administratives ». Il s’agit d’une sanction de nature pécuniaire qui a la particularité d’être prononcée par une autorité administrative et non judiciaire (qui est en revanche seule compétente pour prononcer des peines de prison). Elle a cependant, comme son nom l’indique, un caractère pénal. Son domaine est très vaste : droit de la sécurité sociale, droit fiscal, douanier, droit de la concurrence, etc. Le Conseil d’État a jugé que les sanctions pécuniaires qui peuvent être infligées par les différentes commissions administratives : CSA et toutes les commissions en matière financière ou bancaire sont bien de nature pénale. Elles seraient donc écartées de l’application du droit à l’erreur.

Le cas du droit du travail. Les fameuses 3.000 pages du code du travail édictent évidemment des obligations très nombreuses à la charge des employeurs. Or la grande majorité de ces obligations[1], y compris celles qui concernent les rapports entre employeurs et salariés, et qui sont souvent de nature purement formelle, voire dérisoires, sont sanctionnées en tant que délits ou contraventions par des condamnations de nature pénale, emprisonnement et/ou amendes. L’exemple le plus topique est le délit d’entrave à la constitution ou au fonctionnement des institutions représentatives du personnel. Or, ce délit n’est pas défini par la loi, contrairement à la règle « nulla poene sine lege » qui exige une définition claire de l’infraction, et donnée par la loi. C’est l’inspecteur du travail qui relève l’infraction et le juge qui apprécie librement. On a ainsi vu des condamnations pénales prononcées pour des motifs absolument futiles (par exemple l’obligation de passer par le concierge pour avoir accès à la clé du local du CE !).  En matière de sécurité, inutile de dire que l’intégralité des obligations est sanctionnée pénalement, et que la précision de son exclusion n’est même pas nécessaire. On peut donc conclure qu’en matière de droit du travail, la notion de droit à l’erreur sera d’application quasi nulle. Un pas avait pourtant été franchi avec la loi Macron, mais un pas minuscule : en matière d’entrave au fonctionnement du comité d’entreprise, et seulement dans ce cas-là, la sanction d’emprisonnement a été écartée, mais pas l’existence du délit pénal avec les sanctions pécuniaires.

Le « droit à l’erreur en matière d’embauche »

C’est en 2015 qu’Emmanuel Macron a déclaré qu’il fallait « qu’on reconnaisse que, pour les entreprises et les entrepreneurs, il y a un droit à l’erreur, c’est-à-dire qu’on peut se tromper quand on embauche…Si on reconnaît le droit à l’erreur des entrepreneurs, on leur donne la capacité d’embaucher ».

Que signifiait cette déclaration d’il y a deux ans, sinon que se tromper quand on embauche devrait permettre d’autoriser le licenciement ? Il semble que l’auteur ait visé, comme plusieurs médias l’ont relevé à l’époque, « notamment » « le cas où l’activité s’effondre ».

Depuis, on n’a pas entendu parler de ce cas particulier de droit à l’erreur. A vrai dire, tout cela est extrêmement confus. Nous sommes dans un domaine juridique, il faut donc que les concepts soient clairs. Or la notion d’erreur appliquée à l’embauche ne peut logiquement concerner que des cas où cette embauche constitue en soi une erreur. Donc pas celui où « l’activité s’effondre » ultérieurement. En revanche, on est fondé à penser que ce que le ministre de l’époque visait est la définition des difficultés économiques qui figure maintenant dans le Code du travail à l'article 1233-3 et qui constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement économique, mais pas une "erreur"[2].

Alors, à quoi faut-il s’attendre ? A ce que le Président considère que le texte actuel de l’article 1233-3 remplit maintenant le souhait qu’il avait exprimé en 2015, même s’il ne concerne pas à proprement parler un droit à l’erreur, mais la définition  de la cause réelle et sérieuse du licenciement ? Dans ce cas, rien à espérer de nouveau. Ou à ce qu’il s’agisse d’élargir de nouveau cette définition, par exemple dans le sens que nous avons nous-même suggéré ? Nous n’avons aucune déclaration qui pourrait le faire penser. Il est très peu probable en tout cas qu’il s’agisse d’un véritable droit à l’erreur dans le fait d'embaucher. Quant à la question, différente, de savoir si des erreurs de gestion commises pendant l'exécution du contrat de travail peuvent enlever à la cause du licenciement son caractère réel et sérieux, la jurisprudence ne le considère pas, sauf à ce que ces erreurs puissent être qualifiées de « légèreté blâmable » caractérisée (voir encadré ci-dessous). Il est donc iutile de légiférer sur ce point. Au total, cette notion d’erreur en matière d’embauche a toutes les chances de passer aux oubliettes.

La légèreté blâmable de l’employeur

La faute ou la légèreté blâmable de l’employeur retire tout caractère réel et sérieux à la cause du licenciement, qui devient donc abusif et ouvre droit à des indemnités au profit du salarié. Ainsi une faute provoquant des difficultés économiques, voire la faillite de l’entreprise, enlève à l’employeur tout droit de se prévaloir de telles difficultés pour licencier un salarié. Encore faut-il qu’il s’agisse d’une faute caractérisée, que le juge doit qualifier comme telle et distinguer de la simple erreur de gestion. Exercice délicat, qui ajoute encore à l’incertitude de l’employeur. Il résulte de ces principes que l’énumération des causes figurant à l’article 1233-3 du Code du travail, par exemple celles réputant réelles et sérieuses les baisses d’activité, ne constituent nullement une assurance de l’efficacité du procédé.

Mais il y a plus : une jurisprudence s’est fixée sur des demandes émanant de salariés prétendant faire juger que leur embauche elle-même était constitutive de légèreté blâmable !  Il s’est trouvé une cour d’appel  (Dijon) pour décider qu’un licenciement était sans cause réelle et sérieuse car les difficultés économiques subies par l’employeur plusieurs années après l'embauche provenaient du fait que ce dernier avait créé de nouveaux emplois sans s’être assuré qu’il pourrait les financer. L’erreur aurait donc été commise à l’embauche longtemps avanr le licenciement. On mesure ici à quelles extrémités les jugements des tribunaux peuvent conduire, car jamais une entreprise ne devrait embaucher à ce compte. En 2005 la Cour de cassation a heureusement cassé la décision et remis les pendules à l’heure par un attendu de principe bienvenu : « L’erreur du chef d’entreprise dans l’appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule la légèreté blâmable ». Le mot important est évidemment ici la prise en compte du risque de l’entrepreneur. Cette jurisprudence encadre bien le droit à l’erreur à l’embauche, tout au moins en matière de licenciement économique[3], et ne justifie pas que l’on prenne une ordonnance pour imposer des règles différentes sur ce sujet particulier.

[1] Chaque titre ou presque du Code du travail – il y en a largement plus d’une centaine - contient un chapitre consacré aux « dispositions pénales », sans compter les sanctions administratives comme les interdictions d’exercer ou le remboursement des aides.

[2] Article 1233-3 : Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

[3] Car elle pourrait être étendue au licenciement individuel, notamment en cas d’erreur commise sur l’appréciation des compétences, ou de la future attitude du salarié, faite au moment de l’embauche. Mais on en est très loin !