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La France peut-elle redevenir une grande nation ?

L'impuissance Française : une diplomatie qui a fait son temps

La diplomatie française est arrogante et dépassée. C'est du moins ce qu'affirme en substance Isabelle Lasserre qui vient de sortir son premier livre : « L'impuissance Française : une diplomatie qui a fait son temps ». Fruit d'une expérience de plus de 15 années en tant que reporter au service étranger du Figaro, la journaliste critique la diplomatie française point par point. Des « mauvais choix balkaniques », à la relation française avec le monde arabo-musulman, en passant par la perte des pions français en Afrique ou encore la crise transatlantique, tous les points majeurs de notre diplomatie sont analysés. Au-delà du regard journalistique de l'auteur, cette dernière s'attaque également à d'autres travers français emplis de jacobinisme. La diplomatie française n'aurait pas su évoluer, ni se réinventer au regard de grands évènements mondiaux. Les deux tournants majeurs que la France a ratés, selon Isabelle Lasserre, sont la chute du mur de Berlin ainsi que les attentats du 11 septembre.

Guillaume Dumant : En quoi la France n'a pas compris le 11 septembre ?

Isabelle Lasserre : La France n'a pas saisi le traumatisme que les attentats ont provoqué sur l'administration Bush ainsi que sur la société américaine. Il n'y a pas eu beaucoup d'empathie. Combien de fois avons-nous entendu que « c'était bien fait pour eux » ou « ils l'ont bien cherché », par une certaine catégorie de personnes c'est vrai, mais bon ça dénote un problème. Les Français se sont crus longtemps à l'abri. Il y avait un sentiment, présent même chez les élites, que la France était mieux protégée que les Etats-Unis. Mais c'était faux. On a mis plusieurs années pour comprendre que rien n'était acquis. Il y a eu beaucoup de projets d'attentats en France, qui ont été déjoués. Ils ne se sont pas produits, non pas grâce à notre politique mais grâce à nos services de renseignements.

GD : Quels sont les problèmes de la diplomatie Française ?

IL : La France a été arrogante trop longtemps. Sa diplomatie est aujourd'hui dépassée. Même la présence française pose problème. Regardez les représentations diplomatiques. Comment cela se fait-il que la France dispose du deuxième réseau diplomatique du monde. On n'a plus les moyens de ses diverses représentations dans le monde. Dans certains pays c'est justifié mais pourquoi avoir des bureaux avec beaucoup de personnel en Amérique Latine.

Il y a eu beaucoup de loupés aussi. La France n'a jamais vu venir l'importance de l'Ukraine en Europe. On n'a pas remarqué non plus la place de plus en plus importante de la Georgie.

GD : La France a t-elle perdu en crédibilité ?

IL : On a perdu du terrain en Afrique. On aurait dû miser sur les oppositions. Jamais la France n'a parié sur l'émergence d'une société civile ou d'une force externe au pouvoir.

On a toujours soutenu les pouvoirs en place, même lorsqu'ils étaient illégitimes. On est trop légitimiste, regardez la Cote d'Ivoire avec Gbagbo. Autre exemple Gorbatchev et Eltsine. Comment ne pas avoir compris ? On a été dépassé. La France est toujours persuadée que la stabilité est la clé du système.

Regardez Mitterrand avec les Balkans. Il estimait qu'il fallait un pouvoir fort pour les Balkans. C'était une erreur totale. La doctrine de la France est de dire que tout changement de pouvoir, par la force, génère de l'instabilité et donc on n'a pas les moyens de le résorber.

GD : Pensez vous que le nouveau Président de la République peut changer les choses ?

IL : C'est étrange. Il y a des éléments de contradiction. Globalement la politique africaine de la France ne bouge pas trop. Que ce soit la visite de Bongo en France ou le discours de Dakar, ces évènements font penser au passé.

Pourtant Sarkozy avait dit qu'il y avait l'Afrique et pas seulement l'Afrique francophone. Il avait prévu, lors de sa première visite de se rendre dans des pays anglophones. Ca n'a pas été le cas mais pourtant il y a une volonté de ne pas déconsidérer les autres pays d'Afrique.

GD : Il y a eu une évolution tout de même ?

IL : Il y a eu une grande évolution, c'est au niveau idéologique. Le discours est beaucoup moins idéologique que par le passé. A ce niveau là, ça a beaucoup bougé. Les lignes ont évolué. Après, tout ne peut pas changer en 6 mois. Il y des raisons techniques qui font que les choses ne bougent pas aussi vite.

GD : Quels chantiers peuvent lui permettre de redonner ses lettres de noblesse à la diplomatie française ?

IL : La présidence de l'Union Européenne peut offrir une tribune importante pour Sarkozy. Il peut faire que la France retrouve une voix dans le monde. Il a une carte à jouer.

De toute manière, il a déjà prouvé en peu de temps que la France pouvait changer l'Europe. Que ce soit avec le traité simplifié ou le dialogue avec les pays de l'Est, l'arrogance française n'est plus ce qu'elle était. Les « petits pays » de l'Est en avaient marre qu'on les méprise à longueur de temps et qu'on leur demande de se rallier à nous sans autre choix que de se taire. Sarkozy a redonné confiance et a restauré l'image d'une France un peu trop écornée par son arrogance.

GD : Quels dossiers seront déterminants ?

IL : Si le Président est malin, il transforme la présidence en reprenant un rôle de leader. Pour cela il doit unifier et il a deux dossiers importants en ligne de mire : l'Iran et le Kosovo.

Le Kosovo sera le vrai test. Si le Président arrive à unifier l'Europe donc s'il y a une solution unifiée, le compromis fera capituler la Russie. Dans le monde d'aujourd'hui, on ne peut pas faire cavalier seul. Pour exister la voix de la France ne peut pas être diluée. Là il a une carte à jouer et la France peut retrouver son influence.

Concernant l'Iran. Kouchner et Sarkozy se rassemblent sur ce point. Le Ministre des affaires étrangères a dit ce que tout le monde pensait tout bas. C'est le principe même de la dissuasion. Si on veut faire plier la personne en face de soi, il faut être ferme et faire planer des sanctions ou un point de non retour en tout cas.

GD : La France est-elle encore légitime en tant que membre permanent à l'ONU ?

IL : Notre siège est contesté. Mais malgré toutes ses faiblesses la France a un savoir faire. Que ce soit pour régler les conflits avec une force d'interposition ou nos relations avec les ex-colonies, la France dispose quand même de pas mal de compétences et d'expérience. D'autres pays n'ont pas en main ces atouts-là. Mais notre siège sera un jour celui de l'Europe.

GD : Croyez-vous que Kouchner va réussir à faire son « ministère de la mondialisation » ?

IL : Il va avoir du mal. Il est sur la même longueur d'onde que Sarkozy. Ils ont la même volonté de se projeter, ils ont tous deux la culture du résultat. Mais ça ne sera pas si simple de composer avec un Président qui choisit seul la conduite des affaires étrangères. La création de son cabinet de sécurité intérieure renforce un peu plus sa domination sur le quai d'Orsay.

Le signal de Sarkozy est d‘avoir une diplomatie morale. Ca c'est un début aussi.

GD : Mais justement le conseil de sécurité de l'Elysée pose un risque à la démocratie. La concentration des pouvoirs rejoint les politiques précédentes. En ça y a-t-il une rupture ?

IL : Cette idée de Conseil de Sécurité ne va pas dans le sens de la rupture. Le fait que l'Elysée garde le monopole est peut-être une aggravation. Mais bon, quand il y a des crises il faut réagir vite et fort. On ne peut pas attendre que le Parlement se réunisse même s'il doit avoir son mot à dire.

Ce qui est inquiétant c'est le petit nombre de conseillers à l'Elysée. Aux USA, s'il y a un conseil de sécurité, le Président est entouré d'un cabinet qui compte énormément de conseillers.

Et en plus de ces conseillers, aux USA les politiques peuvent compter sur une partie d'experts en dehors du premier cercle d'élites. En France, il n'y a pas de Think Tank ou de société civile. C'est un tort.