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Italie : un résultat qui ne doit pas conforter les adversaires du référendum

Deux ans après son arrivée au pouvoir, sa réforme parlementaire aura poussé Matteo Renzi à la démission après que 59% des Italiens aient rejeté son projet. Plébiscite sur sa personne, trop grande complexité de la question, attachement des Italiens à leur système parlementaire, difficile de savoir ce qui les a convaincus de dire « non » si massivement. De notre côté, la pratique du référendum est défendue par certains candidats à la présidentielle qui proposent, par exemple, une automatisation pour les traités européens, les réformes constitutionnelles, pour une réforme territoriale ou… comme Matteo Renzi, un référendum sur la baisse du nombre de parlementaires. Un décryptage s’impose.

La réforme constitutionnelle de Renzi, un projet qui va dans la bonne direction…

La question posée aux Italiens ce dimanche était : « Approuvez-vous le texte de la loi constitutionnelle relative aux dispositions pour la fin du bicaméralisme paritaire [égalitaire NdT], la réduction du nombre des parlementaires, la maîtrise du coût de fonctionnement des institutions, la suppression du CNEL et la révision du titre V de la 2e partie de la Constitution, comme approuvé par le Parlement et publié au JO n° 88 du 15 avril 2016 ».

Ce que la réforme de Matteo Renzi incluait était une vaste refonte du système parlementaire italien en mettant fin au bicamérisme parfait entre les deux chambres parlementaires italiennes qui ont autant de pouvoirs l’une que l’autre dans l’élaboration des textes. A titre de comparaison, en France, l’Assemblée nationale a le dernier mot sur le Sénat (bicamérisme inégalitaire). C’est dans ce sens que la réforme Renzi proposait d’aller… mais elle allait même beaucoup plus loin : la réforme parlementaire avait vocation à faire baisser le poids du Sénat lors des échanges parlementaires mais également de ne plus l’autoriser à voter la confiance au gouvernement, de lui donner un rôle seulement consultatif sur les réformes constitutionnelles comme les lois de finances et surtout, de baisser le nombre d’élus en passant de 315 à 100 sénateurs, non plus élus au suffrage direct mais par les conseillers régionaux.

En plus de proposer une baisse du nombre d’élus locaux, la réforme visait un renouvellement de ces derniers et cherchait aussi à supprimer la pratique des membres de droits et à vie qui existe au sein du Sénat (les anciens présidents de la République ont ainsi automatiquement accès à un siège à vie). Le nouveau Sénat devait alors être composé de 74 conseillers régionaux et de 21 maires pour un mandat de 5 ans non renouvelable. Les membres de droit, quant à eux, étaient remplacés par 5 sénateurs désignés par le président de la République pour une durée de 7 ans.

Dernière touche de cette réforme, la baisse des indemnités des sénateurs qui touchent actuellement près de 11.000 euros mensuels, un record en Europe. La réforme proposait de supprimer leur indemnité pour ne conserver que la couverture des frais liés à l’exercice de leur mandat et aux déplacements pour siéger au Sénat. Le tout, pour une économie estimée à 500 millions d’euros. Enfin, dernière mesure d’économie et de simplification des institutions, le référendum proposait de supprimer le  Conseil national pour l'économie et le travail (CNEL), qui est l’équivalent du Conseil économique et social européen (CESE) en France, et qui est, comme chez nous, principalement composé de représentants d’organisations syndicales chargés de « conseiller » le gouvernement sur les politiques économiques et sociales.

La majeure partie de ces mesures (baisse du nombre de parlementaires, baisse des indemnités et des moyens consacrés à l’activité parlementaire, suppression du CNEL/CESE) vont dans le bon sens et font directement écho à la situation française où, avec 577 députés et 370 sénateurs, nous sommes dans une situation bien plus exagérée puisque nous additionnons 925 parlementaires contre 730 en Italie. En France, le sujet d’une baisse du nombre d'élus monte et devrait se trouver au cœur de la campagne à venir. Déjà, lors de la primaire de la droite et du centre, certains candidats comme Bruno Le Maire ou Nathalie Kosciusko-Morizet s’étaient positionnés sur une baisse du nombre d’élus tout comme François Fillon qui propose de baisser le nombre de parlementaires avec… un référendum en septembre 2017. Nombreux sont ceux qui, en regardant l’Italie, vont être tentés de le dissuader de demander aux Français leur avis sur la question. Ce serait une erreur, car le recours au référendum ne doit plus être redouté par nos dirigeants. Il est temps de renouer avec cette pratique.

… mais qui se heurte à une pratique du référendum mal assimilée 

En passant par le référendum pour réformer le système parlementaire, Matteo Renzi a mis en pratique ce que beaucoup pensent tout bas : « Comme les élus ne couperont jamais leurs privilèges, leurs sièges, leurs indemnités, il faut demander au peuple souverain de trancher la question ». Cela n’a pas fonctionné mais la démarche empruntée par Matteo Renzi reste vraisemblablement la bonne et elle a, alors que les systèmes parlementaires européens souffrent de lenteur et de complexité, vocation à se généraliser.

Il est à craindre que l’échec de Matteo Renzi (et de David Cameron sur le Brexit, il y a à peine quelques mois) ne confortent nos dirigeants politiques dans l'idée qu'il faut éviter les référendums, trop incontrôlable et où « le peuple se fiche de la question, il vote sur la personne du chef de l’Etat ». C’est en effet un risque, d’autant plus que les opinions publiques et les peuples européens ne sont pas actuellement éduqués et habitués à répondre au référendum et sur la conduite des politiques publiques :

  • En Italie par exemple, la pratique du référendum est très récente, le premier référendum populaire s’est tenu en 1974 et le premier référendum constitutionnel en 2001. Les Italiens n’ont été sollicités que 13 fois à l’échelle nationale et à 7 reprises, ils ont répondu « non ».
  • Les Français, eux, ont été sollicités 10 fois à l’échelle nationale et ils ont répondu « non » seulement 2 fois.
  • Au Royaume-Uni, les Britanniques n’ont été sollicités qu’à 11 reprises depuis 1975 à l’échelle nationale et ils ont répondu 5 fois « non ».
  • En Suisse, les citoyens ont été sollicités à 158 reprises depuis 1958 et ils ont répondu « non », 143 fois !

De cette comparaison, on retiendrait que les Français sont, paradoxalement, ceux qui répondent le plus souvent « oui » alors qu’ils sont aussi les moins sollicités. La pratique du référendum est également plus ancienne chez nous puisqu'entre 1793 et 1946, 14 référendums ont été organisés et seul un a obtenu un « non », sur le premier projet de Constitution de 1946. On retiendra aussi que les Suisses qui ont été les plus sollicités (et de très loin) répondent presque systématiquement « non » au référendum fédéral ce qui met à mal la théorie selon laquelle lorsqu’on demande son avis au peuple, c’est si exceptionnel que celui-ci préfère en faire un plébiscite sur le gouvernement plutôt que de répondre à la question.

Les citoyens européens comme leurs dirigeants politiques doivent être (re)éduqués à la pratique du référendum et la seule façon de l’apprendre collectivement est de systématiser son recours, notamment en songeant à une généralisation du vote numérique (qui viendrait atténuer les coûts de l’organisation des votes) et, en France, en facilitant le recours au référendum d’initiative populaire (encore jamais utilisé depuis 2008 car presque impossible d’en réunir toutes les conditions). Nos gouvernements doivent avoir le réflexe de trancher les débats publics qui divisent la société civile avec cette pratique mais ce, à condition de ne plus mettre la démission du gouvernement dans la balance (ce qu’a fait Matteo Renzi, dimanche dernier). C’est une habitude démocratique à construire. Enfin, dernier élément, en France, les questions posées restent toujours sur l’Union européenne, sur la Constitution ou sur les modes d’élections. Il est urgent d’élargir le spectre des questionnements : en 2000, les Suisses ont voté pour la suppression du statut de la fonction publique, un sujet encore parfaitement tabou en France. En 2013, la question de la mise en place d’un revenu minimum de base leur était posée (et rejetée). Ils répondent également à des questions fiscales comme la transformation de la taxe sur la valeur-ajoutée en taxe sur l’énergie, sur la fiscalité des successions. Impensable chez nous où Bercy tranche toutes les questions fiscales lui-même.  En 1993, les Italiens ont voté sur le financement des partis politiques, en 2011 sur la construction de centrales nucléaires en Italie. Finances publiques, transition énergétique, fonction publique, temps de travail, syndicalisme, nombreux sont les sujets qui polluent les débats publics sans qu’aucun consensus n’en ressorte jamais : poser la question aux Français, nous permettrait d’avancer beaucoup plus vite.

Ce qui était en jeu pour les Italiens

Pour l’Italie, il s’agissait de la plus importante réforme constitutionnelle depuis sa création puisqu’elle touchait à 45 articles sur 139. L’objectif de Matteo Renzi était, avec cette refonte, d’accélérer le temps parlementaire et de freiner l’instabilité gouvernementale en donnant l’avantage à la Chambre des députés tout en réduisant les coûts parlementaires du Sénat. L’acte II de cette réforme (mais qui n’était pas en jeu dans le référendum) était la recomposition de la carte électorale, des circonscriptions et la mise en place d’une règle du « winner takes it all » pour le parti politique réalisant 40% aux élections législatives et qui se verrait attribuer 340 des 630 sièges afin de garantir au Président du Conseil, une vraie majorité pour gouverner.

Cet horizon aurait bouleversé la pratique parlementaire italienne, ce qui explique sûrement pourquoi seuls quelques petits partis centristes ont soutenu Matteo Renzi, lâché par son propre parti qui a fait campagne contre le référendum. Les commentateurs italiens soulignent également que l’élection des sénateurs par les conseillers régionaux et non plus par le peuple (et ce, sans interdiction du cumul des mandats) et la fin de l’équilibre entre les deux Chambres parlementaires (qui était l’une des pierres fondamentales de la nouvelle Constitution italienne à la sortie de la Seconde guerre mondiale et du régime fasciste) n’ont pas plu aux Italiens très suspicieux vis-à-vis de leurs hommes et femmes politiques.