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Gaspillages dans les collectivités territoriales : le livre de Michel Vergnaud

En s’intéressant à la gestion des collectivités territoriales, Michel Vergnaud, sa vingtaine de collègues et le millier d’adhérents de l’association CANOL se sont attaqués à un sujet politique central, celui de la décentralisation. D’un côté, il semble logique de la favoriser, les acteurs locaux (mairies, communautés de communes, conseils généraux et conseils régionaux) étant plus à même que les ministères parisiens de répondre efficacement aux besoins particuliers de leurs administrés. 

Mais avec 36.000 collectivités locales, évaluer leurs actions très diverses, très nombreuses et très dispersées représente un défi considérable qui n’est que partiellement réalisé par les chambres régionales des comptes. En théorie, au moment du vote, les électeurs devraient être les véritables juges des actions de leurs élus, mais le nombre et la complexité des sujets constituent des obstacles quasi insurmontables. Comment savoir si les travaux réalisés et les embauches à la mairie, sont justifiés ? La qualité et le coût des services fournis sont-ils compétitifs ? Et même des investissements qui satisfont les électeurs sont-ils financés grâce à une gestion efficace ou par une dette insupportable ? Des questions auxquelles il est difficile de répondre, de nombreuses collectivités choisissant d’internaliser la production des services, qui ne sont donc plus jamais soumis à un appel d’offres compétitives

Cette situation justifie la création de groupes de citoyens indépendants qui se regroupent pour travailler les dossiers locaux. Les élus des oppositions sont aussi responsables d’évaluer ce qui est fait par la majorité, mais leurs positions systématiquement « contre » font rarement progresser la compréhension des dossiers. D’autant plus qu’ils ont parfois eux-mêmes géré la collectivité de façon similaire. Le livre « Aux Voleurs » publié par l’association CANOL documente 22 ans de combats dans la région lyonnaise face à des élus de toutes couleurs. Les nombreux cas décrits sont d’intérêt général, les mêmes dérives et tentations pouvant se produire dans toutes les collectivités locales.

De plus en plus de ressources récurrentes des collectivités locales leur étant fournies par l’Etat (ex suppression de la taxe d’habitation) et en l'absence d'une comptabilité analytique systématisée (comme en Italie), il est difficile pour les citoyens de juger de la performance de leurs élus et de savoir s’ils en ont pour leur argent. D’autant plus que les milliards de plans spéciaux régulièrement distribués par l’Etat (les financements croisés et la péréquation verticale): pour les écoles, les logements, les hôpitaux ou les transports de certains territoires à problèmes, masquent la recherche des responsabilités de leur situation, et brouillent les possibilités de jugement des électeurs.      

Gaspillages et arnaques

Les auditeurs bénévoles de CANOL, de compétences très variées, s’intéressent aussi bien aux cas de mauvaise gestion qu’à ceux de malversations, et dans des domaines très divers : « transports, voirie, subventions, culture, aide internationale, crèches, logement, fonction publique territoriale, fiscalité locale, aide sociale… ». Pour chaque sujet, leurs critères portent sur les résultats des politiques menées (exemple RSA) que sur la justification de leurs coûts.

 « Aux voleurs » documente une cinquantaine de leurs enquêtes les plus spectaculaires ou les plus significatives, y compris les intimidations subies, et les démêlés judiciaires par lesquels de puissants organismes ont voulu les faire taire, en vain. Même la capacité pour une association de contribuables locaux de poursuivre en justice est contestée par certains tribunaux administratifs.

Des exemples de dossiers : anomalies dans le calcul des taxes des ordures ménagères, surcoût et anomalies de procédures dans de grands chantiers (hôtel de région, stade, musée...), service de l’eau, temps de travail des fonctionnaires, distribution de subventions… Des dossiers dont le traitement s’étend souvent sur plusieurs années, faites d’études des dossiers, interactions avec les administrations concernées et action en justice en cas d’échec.

Les cas documentés par l’auteur sont à la fois précis et généraux, les risques de mauvaise gestion existant sous des formes similaires dans de nombreuses collectivités locales. Ce livre doit servir d’alerte pour les citoyens, de guide pour les associations qui décident de contrôler ce qui se passe dans leur collectivité locale. Et aussi de référence pour les responsables qui réfléchissent au niveau souhaitable en France de décentralisation et d’autonomie des collectivités locales. Etendre les pouvoirs des élus locaux, rapprocher les administrations de leurs administrés est utile, mais multiplie les risques d’incompétence (ex. emprunts toxiques, « éléphants blancs », investissements non rentables) et d’adhérences » entre puissance publique et intérêts particuliers (ex. embauches, subventions, intérêts croisés, appels d’offres absents ou faussés…) Le rôle des « comités de quartiers » mis en place dans certaines villes se limite à des sujets mineurs d’aménagement et ne peut pas remplir ce rôle de contrôle et de coproduction de la politique locale. Les collectivités locales doivent produire des informations beaucoup plus claires, et les citoyens doivent se regrouper pour les analyser, sans attendre qu’un projet particulier ou un problème les concernant directement attirent leur attention. C’est ce qu'a fait l’auteur de « Aux voleurs » avec succès et un courage certain.