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Entretien avec Jean-Paul Betbèze : la France est en désinflation

La Fondation iFRAP a interviewé l'économiste Jean-Paul Betbèze au sujet de la situation de la France dans l'économie mondiale, des taux d'intérêts à 10 ans, de la crise des pays émergents, de l'euro fort…

Fondation iFRAP : La France rentre-t-elle selon vous en récession, déflation ou désinflation ?

La France est en désinflation, combinaison de croissance lente et sans inflation. C'est une situation intermédiaire et dangereuse. Intermédiaire car ce n'est évidemment pas l'inflation, impossible avec le chômage que nous vivons et la politique monétaire de la BCE, mais ce n'est pas non plus la reprise inflationniste à l'anglaise, avec des salaires qui montent moins que l'inflation, ni la reprise à l'espagnole, par la baisse des salaires. Au fond, une reprise vient toujours de la remontée des profits : par la baisse des salaires réels « à l'anglaise » - économiquement impossible ou bien par la baisse des salaires nominaux « à la grecque ou à l'espagnole » - politiquement et socialement impossible en France. Reste donc la désinflation, en fait la modération salariale, voie française combinant désinflation et croissance molle dans la durée, qui consiste à faire des efforts de productivité dans le privé et de la réduction des dépenses dans le public, sur une pente de croissance faible.

C'est en cela que ce choix est dangereux et doit être géré méticuleusement car il peut verser :

  • vers la déflation, si l'inflation anticipée baisse, ce qui pèsera alors sur les programmes d'investissement et d'endettement, fera baisser les prix et monter la dette réelle, donc ouvrira à une crise majeure,
  • vers des tensions sociales croissantes,
  • vers une fausse modération salariale, avec en réalité des hausses de rémunération indirectes et des réformes insuffisantes ce qui sape la reprise et l'emploi, et débouche sur une crise des finances publiques avec des tensions avec la zone euro.

Le « choix » de la « modération salariale », on dit « pacte social », est donc celui d'une remontée lente de la profitabilité privée dans un contexte de réduction des dépenses publiques. C'est donc une situation où la croissance est plus faible qu'annoncé officiellement, du fait de l'assainissement. C'est pour cela que la Commission est ouverte à cette stratégie, en la surveillant bien sûr. Ce serait peut-être mieux de le dire.

Fondation iFRAP : Comment la crise des émergents impacte-t-elle selon vous les taux OAT à 10 ans, notamment de la France ?

En calmant les taux longs. La tendance est à la remontée des taux longs venant des USA et à la baisse des taux espagnols et italiens, en liaison avec leurs efforts, le tout avec des « regards » de plus en plus insistants sur la France. Mais avec la « crise des émergents », qui vient largement de la normalisation de la politique monétaire américaine, les États-Unis reprennent l'avantage. Leur croissance est repartie, leur financement pas cher des BRICS se réduit puis s'arrête, ce qui monte les taux dans ces pays et fait que les capitaux reviennent aux États-Unis, jugés alors plus sûrs. Et cette logique de retour en grâce des pays industrialisés, avec les États-Unis en tête, profite ensuite à la zone euro, qui a résisté aux chocs, peine certes, mais repart quand même.

Dans ce contexte, la France bénéficie d'un répit sur la remontée des taux longs, il faut le savoir. Mais la remontée sera de toute manière modeste : peu de croissance, peu d'inflation, et elle a eu lieu l'an dernier pour une bonne part. C'est bien pourquoi il faut faire attention aux choix français de modération salariale/pacte social en les présentant aux marchés. Il faut qu'il les comprenne, il faut les mettre en œuvre.

Fondation iFRAP : Que pensez-vous de la décision de la Cour de Kalsruhre relative aux OMT européens ?

Elle est sans aucun doute très juridique, et plus encore – de fait - politique. La Cour juge qu'il peut y avoir un excès avec l'OMT (outright monetary transaction, programme de rachat sur le marché secondaire des dettes souveraines européennes ndlr), mais elle s'en remet à la Cour européenne – sachant que l'OMT n'a jamais été mise en œuvre mais est destinée à figurer dans l'arsenal « au cas où ». Surtout, il va falloir voir de plus près son prochain jugement sur le système de soutien aux banques qui – lui – fonctionne. Il faudra voir si les marchés s'en inquiètent – alors que les enjeux sont bien plus importants. Le plus vraisemblable est que la Cour continuera de renvoyer à la Cour européenne, car toute modification du processus en cours de soutien aux banques sera très déstabilisante. A la fin de ces deux jugements… toutes les cours nationales renverront à la Cour de Luxembourg…

Fondation iFRAP : Et du débat actuel sur l'"euro fort" ?

C'est un débat très français, hérité du temps du Franc, avec le fameux Franc fort. La France a toujours pensé que son taux de change handicapait sa croissance, alors qu'elle a dévalué 13 fois par rapport à l'Allemagne - sans en avoir tiré un avantage évident. Techniquement, les Français rêvent d'une monnaie « faible » pour exporter, mais « forte » pour importer et « forte » pour investir hors de France ! L'idée qu'une monnaie stable permet de stabiliser les rentabilités et de monter en gamme ne nous est pas encore parvenue dans une bonne part de l'industrie « classique » - puisque les innovateurs s'en moquent ! Encore une fois, c'est un débat qui cache le fait que nous n'investissons pas assez, ne structurons pas assez nos entreprises et ne dialoguons pas assez dans l'entreprise en échangeant employabilité et formation contre salaire, l'employabilité étant l'emploi – donc le salaire – de demain.