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En 2022, aucune prison contrôlée en dessous de 115% de taux d’occupation

Le contrôleur des lieux de privation de liberté (CGLPL) Mme Dominique Simonnot reprend le triste constat que nous venons de formuler à la suite de la publication des dernières statistiques pénitentiaires dans le cadre de la présentation de son rapport annuel 2022 : « Avec 73.080 détenus au 1er avril 2023 pour 61.000 places et quelque « 2.111 matelas au sol » « la France atteint un nouveau record d’incarcérations. » Mais elle son approche consiste à mettre l’accent sur la surpopulation et non sur la sous-capacité du parc. Cette erreur de perspective évite de s’interroger sur le sous-dimensionnement criant du parc pénitentiaire français et à rejeter sur la politique pénale, la charge de l’incarcération ou de la détention préventive pour les courtes peines et les personnes en attente de jugement en maisons d’arrêt ou quartiers d’arrêt. Ce qui à notre sens constitue une voie sans issue.

Le constat accablant fait par le CGLPL en 2022

« Sans crainte de lasser (…) voici les maisons d’arrêt. Réservées aux « courtes peines » et aux prévenus, présumés innocents jusqu’au jugement – elles affichent un surpeuplement jusqu’à 250%, infligent aux prisonniers de vivre à trois par cellule, 21 heures sur 24 – dans moins d’1 m² d’espace vital par personne (…) contraints, pour 2.100 d’entre eux à dormir sur un matelas au sol. »

Cette promiscuité terrible aboutit à interdire en pratique la plupart des activités de réinsertion « tout est contraint par le nombre et par le temps. L’éducation, la culture, le sport, le travail, les activités, les soins […] Sans cesse et sans souci est bafouée la loi imposant un emprisonnement visant à « préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d’agir en personne responsable (…) et d’éviter la commission de nouvelles infractions. »

Rappelons qu’en effet en France d’après le CGLPL, nous n’avons que 25% de détenus au travail, contre 70% en Allemagne. Par ailleurs, « très surprenant, également, le personnel pénitentiaire et médical est contingenté selon le nombre de places théoriques d’une prison et non selon le nombre réel de ses habitants. » En conséquence en cas de surpopulation carcérale, il y a inévitablement un désajustement des personnels d’encadrement par rapport aux besoins de prise en charge. Il en résulte que la norme d’1 surveillant pour 50 détenus en MA/QA passe en pratique à 1/100 voir à 1/150 détenus. Il est ainsi fréquent d’entendre que « les prisons ne tiennent « que grâce à la résignation des détenus », les agents pénitentiaires étant, eux « plongés dans un découragement général. »

En 2022, le CGPL et ses équipes d’inspection ont visité 115 établissements dont 28 pénitentiaires dont 15 maisons d’arrêt (MA). « Aucune n’a permis cette année de voir un taux d’occupation inférieur à 115%. »

Surpopulation carcérale ou sous capacité carcérale ?

Dominique Simonnot expose donc la proposition récurrente que soutient le CGLPL depuis 2017 consistant à mettre en place un « mécanisme de régulation carcérale » « afin qu’il n’y ait pas plus de détenus que de places disponibles » Un mécanisme qui avait été mis en place fugacement pendant la pandémie de Covid 19 et fait fondre la population en détention de quelques 72.000 à 58.800 personnes, mais de façon désormais institutionnalisée : confier à une commission locale, présidée par l’autorité judiciaire (le JAP (juge d’application des peines)), le soin de ne pas dépasser un taux donné de densité carcérale « en mobilisant dans ce but toutes les voies de droit existantes. » Comme par exemple:

  • Différer la mise en exécution de certaines peines en attendant que des places se libèrent ;
  • Aménager les peines des détenus les plus prêts de la réinsertion (de la sortie) ;

Et de fustiger vertement la politique capacitaire du Gouvernement : « la solution avancée par l’Etat tient en une hypothétique construction de « 15.000 nouvelles places de prison » à horizon 2027. Fameuse promesse fleurant le rance, puisque ces 15.000 places étaient déjà proclamées en 2017 pour 2022. Très modestement réduites, à 2000 fin 2021. Fleuron de cette « réussite », la prison de Lutterbach étouffe déjà sous une densité de 180%. Preuve que plus on construit, plus on remplit. Inertie encore. »

Sur le constat de la difficile sortie de terre de places opérationnelles nouvelles, les chiffres parlent d’eux-mêmes, l’encéphalogramme reste plat. L’augmentation de la capacité carcérale est même négative entre le 1er janvier 2020 et le 1er avril 2023 (-138 paces) :

En revanche, il conviendrait d’identifier les blocages qui inhibent toute augmentation de la capacité carcérale :

  • Cannibalisation des places nouvelles par la vétusté des anciennes ;
  • Blocage (légaux ou politiques) dans le développement de nouveaux projets pénitentiaires ;
  • Difficulté de recrutement des personnels de surveillance ;
  • Insuffisance des moyens alternatifs à l’incarcération comme le placement sous bracelet électronique : et pourtant sur la période entre 1er janvier 2020 et le 1er avril 2023, leur nombre a cru de 34,4%, pour atteindre près de 15.538 écroués à domicile sur surveillance électronique.

Aux Pays-Bas, un nombre de courtes peines plus important qu’en France

Comme l’indiquait déjà en 2017 l’Institut pour la Justice[1], en 2021 d’après l’étude annuelle SPACE I du Conseil de l’Europe[2], les entrées en détention toutes causes sont plus importantes aux Pays-Bas qu’en France (124,4/100.000 habitants contre 100,9/100.000 habitants). Et pourtant lorsque l’on mesure le taux de détention, les Pays-Bas semblent disposer d’un taux de détention bien inférieur au nôtre : en 2021, les Pays-Bas affichent 53,9 détenus/100.000 habitants contre 92,9 détenus/100.000 habitants en France, soit près du double[3]. C’est la multiplication des courtes peines qui explique cette très grande différence. Les Pays-Bas incarcèrent beaucoup mais pour de très courtes durées.

L’exemple Hollandais montre qu’en matière d’efficacité de la réponse pénale, il vaut mieux multiplier les places opérationnelles en MA/QA là où l’on en a le plus besoin, au lieu de développer en priorité les quartiers et centres de détention, comme nous l’avons montré récemment[4].

Conclusion

Mettre l’accent sur la surpopulation carcérale comme le fait la CGLPL laisse à penser qu’à court terme le nombre de places de prison étant rigide, il faut jouer sur les flux entrants et sortant des détenus plutôt que sur le stock des places disponibles en ajustant les moyens alternatifs à l’incarcération à due concurrence. Rien ne nous semble plus faux. Le parc pénitentiaire français ne vit pas en état de surpopulation carcérale mais de sous-capacité opérationnelle, et ce, de puis le début des années 2000. Il importe donc à bref délai de développer les capacités carcérales françaises :

  • Mise en place de capacité carcérales éphémères (préfabriqués, reconversions immobilières, pour les détenus les moins dangereux placés en détention pour de très courtes peines ou en attente de jugement pour les délits les moins graves) ; afin d’ajuster la politique carcérale aux flux de la politique pénale[5] ;
  • Développement de la surveillance électronique pour les infractions les plus légères
  • Modifier le droit actuel pour permettre au Garde des Sceaux de préempter les terrains publics nécessaires dans le cadre des réserves foncières disponibles via une procédure accélérée – sous l’égide de la DIE (direction immobilière de l’Etat) ;
  • Définir un objectif crédible d’encellulement individuel à moyen terme et s’y tenir, par exemple 2030 ;
  • Mettre en place en CA/QA un objectif à terme de surcapacité carcérale opérationnelle afin de faire face à des situations d’urgence.
  • Utiliser les surcapacités carcérales des pays frontaliers lorsqu’elles existent et pour les détenus volontaires ;
  • Ajuster pour ce faire le projet de loi de programmation de la justice, tel que transmis au HCFP (Haut conseil des finances publiques)[6].

[1] https://www.institutpourlajustice.org/medias/pourquoi-les-pays-bas-ont-des-prisons-vides/

[2] https://wp.unil.ch/space/files/2023/04/SPACE-I_2021_FinalReport.pdf#page=106

[3] https://wp.unil.ch/space/files/2023/04/SPACE-I_2021_FinalReport.pdf#page=33

[4] https://www.ifrap.org/etat-et-collectivites/138-places-de-prison-operationnelles-depuis-le-1er-janvier-2020

[5] A noter que ce dispositif pourrait être complémentaire à celui proposé par le CGLPL. Si un mécanisme de « régulation carcérale » était mis en place, il devrait être accompagné d’un dispositif jumeau proposant la mise à disposition de cellules éphémères pour désengorger les CA/QA pour les délits les moins graves à due concurrence.

[6] https://www.hcfp.fr/liste-avis/avis-ndeg2023-3-loi-dorientation-et-de-programmation-du-ministere-de-la-justice