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Dette publique : ces économistes qui sonnent l'alarme

L'économiste Charles Gave vient dans son dernier livre, L'Etat est mort, vive l'Etat, [1] nous prédire une crise financière et sociale inéluctable du fait de l'explosion de la dette publique. Ce qui rend sa démarche intéressante est l'enchaînement logique qu'il tente de démontrer, graphiques à l'appui, à partir du rôle néfaste de l'Etat dans l'économie.

L'auteur nous propose en effet pour commencer une batterie de statistiques impressionnante, s'étalant sur plusieurs décennies, sur les rapports existant entre les développements respectifs du secteur capitaliste et du secteur étatique (qu'il appelle « communiste »), le taux de croissance et la dette publique. C'est ainsi que :

- entre 1978 et 2010 la croissance du secteur public a été en France deux fois plus élevée que celle du secteur privé ;
- sur la même période, mais plus encore depuis 2002, la courbe de décroissance du PNB reflète la courbe du ratio du secteur privé par rapport au secteur public ;
- quand le secteur public augmente d'un point, le ratio dette publique sur PNB augmente de quatre points.
- la courbe de hausse du chômage reflète enfin celle de la hausse du ratio secteur public sur secteur privé.

La citation : « Si les politiques parviennent à distribuer un pouvoir d'achat non gagné en empruntant de quoi effectuer ces transferts, alors ils seront réélus. Hélas pour eux, et tant mieux pour nous, nous arrivons à la fin de ce processus, ce qui est « la » bonne nouvelle… Les marchés sont en train de retirer la clé de la cave aux alcooliques qui nous gouvernent ».
Charles Gave

La conclusion est facile à tirer : « plus la part de l'État dans l'économie est forte, plus la croissance est faible. Plus la croissance est faible, plus le taux de chômage monte. Plus le taux de chômage monte, plus les dépenses de l'État augmentent. Et plus la croissance est faible…Un cercle vicieux dans toute son horreur… »

Pour Charles Gave, le système français est un « social-clientélisme », dont le but est d'accaparer le pouvoir « afin de distribuer des avantages non gagnés à ses propres troupes » (avantages qui ne peuvent être financés que par l'emprunt), ce qu'il distingue de la social-démocratie (à la suédoise par exemple), où le dialogue s'instaure entre des parties prenantes égales ayant des intérêts communs à terme.

L'auteur nous prédit une panique financière d'ici à 2017. La France paie en ce moment des intérêts très faibles sur sa dette, ce qui masque le problème, mais dans environ sept ans elle devra refinancer la dette de 2009/2010 plus les déficits nouveaux, avec le risque que le marché ne puisse plus absorber la demande, aboutissant donc à une très forte tension sur les taux. Et la France est exposée car sa dette est détenue à plus de 60% par l'étranger (à la différence du Japon), et l'absence de monnaie nationale, remplacée par l'euro, ne permet au pays ni de jouer sur l'inflation ni de dévaluer. Tout peut alors aller très vite, dès lors que « la musique s'arrête ».

Charles Gave pense cependant que nous ne connaîtrons pas la crise financière et la faillite que l'Argentine a connues, mais une crise sociale à la suédoise où les réformes devront se faire, à chaud toutefois et dans la douleur. Ce qui signifie selon lui une redéfinition des missions de l'Etat, recentré sur le régalien, et des réformes qui pèseront sur « les pauvres et les rentiers ». Pour les premiers ce sera la hausse de la TVA et pour les seconds celle des impôts sur l'immobilier.

L'analyse de Charles Gave rejoint celle de K. Rogoff et de C. Reinhart, co-auteurs d'un best–seller de la littérature économique récente américaine tout récemment traduit en français sous le titre de « Cette fois, c'est différent ». Ces économistes font l'historique de huit siècles de folie financière pour démontrer que les crises se sont succédé sans désemparer les unes aux autres, chacun croyant à tort que « c'est différent » à chaque fois. Sans vouloir faire de hasardeuses prédictions, ils pensent que l'économie souffrira pendant plusieurs années d'une anémie persistante, avant de reprendre le cours de la croissance. Ils estiment de façon générale, ce que Charles Gave reprend à son compte, qu'au-delà d'une dette publique correspondant à 90% du PIB, tout déficit supplémentaire se traduit par une contraction de la croissance. Cette réflexion, appliquée à la France dont les dépenses publiques sont déjà lourdes et la dette atteint déjà quasiment 90%, signifie que le pays n'a pas d'autre choix que de mettre fin à la dérive financière, sachant que tout pays a un plafond de dette et que croire le contraire serait retomber dans le travers de penser que « cette fois c'est différent ».

De telles lectures incitent à penser que la France a des atouts dont ne disposent pas les pays comme ceux de l'Europe du Sud, devrait « passer entre les gouttes » comme le pense K. Rogoff, mais en même temps la France a de plus grandes difficultés pour admettre la nécessité de réformes douloureuses.

Il semble bien a priori que le scénario décrit par Charles Gave se mette en route, avec un désarroi social se généralisant, des augmentations de TVA en débat en France (la TVA sociale) et touchant déjà nos voisins, et la mise à contribution des revenus du patrimoine avec la hausse de la CSG sur ces revenus, et en particulier sur les plus-values immobilières, ajoutée à la montée des taxes locales. Nous n'en serions alors qu'au début d'une rigueur sociale douloureuse, seule condition pour éviter une vraie crise financière plus dommageable encore. Ne voit-on pas d'ailleurs les prémices d'un consensus politique, avec la gauche responsable (François Hollande) stigmatisant la « hotte du Père Noël » des promesses de Benoît Hamon ?

[1] François Bourin Editeur.