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Cour des comptes et Parlement

La Cour des comptes doit être au service du Parlement

100 députés ont écrit suite à la parution du rapport thématique de la Cour des comptes sur l'organisation et la gestion des forces de sécurité publique. Un rapport qui critique le fait que nombre de forces de police et de gendarmerie soient occupées à des activités autres que la surveillance de la voie publique et que, par exemple en Seine-Saint-Denis, le taux moyen d'occupation de voie publique soit seulement de 5,3 % des effectifs en 2009. Mais ce rapport montre surtout que la Cour des comptes devrait être au service du Parlement…

Les parlementaires ont très mal pris la publication de ce rapport et un vrai malaise s'est installé entre la Cour des comptes et le Parlement et ce à juste titre car, dans la plupart des pays, un tel rapport aurait été présenté non pas par la Cour seule mais par le Parlement. Dans un communiqué, l'association des magistrats revendique son indépendance tout en faisant référence à la Constitution qui, dans son article 47-2, stipule que la Cour a «  vocation à contribuer à l'information des citoyens ».

Cependant, avant tout, la réforme constitutionnelle de 2008 a inscrit dans la Constitution à l'article 47-2 que la Cour des comptes doit assister le Parlement dans sa mission d'évaluation des politiques publiques [1]. La publication des rapports de la Cour devrait se faire dans le cadre de cette collaboration. Force est de constater que c'est loin d'être le cas aujourd'hui. L'Assemblée nationale notamment était censée travailler avec la Cour des comptes dans le cadre des travaux du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques créé suite à la réforme constitutionnelle.

Ce comité vient de rendre publique la liste des sociétés de conseil qui ont été sélectionnées pour les aider à évaluer nos politiques publiques. Ces 9 sociétés de conseil (Université de Rennes-1, Mazars, Kurt Salmon, KPMG, Credoc, Plein sens (école d'économie de Paris), Eurogroup Consulting et Ernst and Young) vont répondre à des sollicitations régulières de l'Assemblée et ce, pour la première année, pour 5 études avec un budget d'environ 300 à 500.000 euros. Deux rapports sont en cours de rédaction, un sur une comparaison des politiques familiales en Europe et un autre sur la RGPP.

C'est un pas en avant par rapport à l'époque où la Fondation iFRAP essayait de faire passer l'idée que les rapporteurs spéciaux de la Commission des Finances de l'Assemblée nationale devaient pouvoir se faire assister dans leurs contrôles sur pièce et sur place… Mais, alors que la Cour devrait être très sollicitée par le CEC et inversement, le CEC a commandé à la Cour des comptes seulement deux rapports, l'un portant sur la politique d'hébergement d'urgence et un second sur la médecine scolaire.

Au final, le bilan du CEC ne sera pas bien lourd. A part deux rapports remarqués sur l'Aide Médicale d'État et sur les autorités administratives indépendantes, les rapports du CEC n'ont pas eu l'impact qu'ont outre-manche ceux du NAO aura publié en tout environ 10 rapports à la fin de la législature contre 50 par an pour son homologue britannique…

Du côté du Sénat, la collaboration entre la Commission des Finances et la Cour des comptes semble plus avancée (le nombre de travaux réalisés dans le cadre de l'article 58-2° de la LOLF à la demande de la Commission des finances du Sénat est de 5 en 2010 et de 5 prévus pour 2011).

Néanmoins, le sénateur Jean-Claude FRÉCON a souligné dans son rapport [2] qu'un sous-indicateur permettant de mesurer le niveau des activités accomplies par la Cour à la demande du Parlement n'était toujours pas créé malgré les demandes précédentes : « Des réserves sur la prise en compte des missions d'assistance au Parlement peuvent à nouveau être formulées

Dans le domaine des missions d'assistance au Parlement, les indicateurs n'ayant pas été modifiés dans le sens des remarques émises par votre rapporteur spécial l'an dernier25(*), les mêmes observations peuvent être formulées. (…) En effet, si les précisions méthodologiques qui accompagnent cet indicateur soulignent que les activités conduites dans le cadre dudit article 58-2° ont doublé, depuis 2005, passant de 3% à 6% du total du temps de travail de la Cour des comptes, votre rapporteur spécial réitère son souhait de voir apparaître dans cet indicateur, de manière distincte, toutes les activités d'assistance au Parlement de la part de la Cour des comptes. »

Ni la Cour ni le Parlement n'ont véritablement choisi de travailler (vraiment) ensemble pour une meilleure évaluation de nos politiques publiques. Pourtant les moyens nécessaires sont là : le budget de l'Assemblée nationale est, pour 2011, de 533 millions d'euros, celui du Sénat de 327 millions d'euros. Quant au budget annuel de la Cour des comptes, il est de l'ordre de 70 à 80 millions d'euros avec plus de 700 personnels à temps plein. Il serait tout à fait possible de découper la Cour en trois en spécialisant par « métiers » : la partie juridictionnelle, la partie audit et certification des comptes de l'État et de la Sécurité sociale et la partie assistance au Parlement.

Le fait que la collaboration Cour/Parlement soit si mal organisée a pour conséquences, d'une part que les rapports de la Cour manquent de propositions opérationnelles et se bornent trop souvent à une simple analyse critique, et que les travaux de la Cour n'ont pas l'impact qu'ils pourraient avoir. Faute de coopération les travaux de la Cour restent lettre morte et le resteront tant qu'ils ne se traduiront pas par des mises en demeure pour le Gouvernement d'agir.

Rapport de la Cour des comptes sur l'organisation et la gestion des forces de sécurité publique

En réalisant l'audit des forces de police et de gendarmerie consacrées aux missions de sécurité publique (hors activités de police judiciaire), la Cour a apporté un diagnostic poussé et tranché : il existe des lacunes criantes en matière d'allocation des effectifs et des ressources aux missions de service public développées, ce qui conduit à un manque d'efficience dans la conduite des politiques publiques analysées.

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Rapport de la Cour des comptes sur l'organisation et la gestion des forces de sécurité publique (juillet 2011)

- En matière de gestion de la masse salariale, l'accroissement de 2,1% du nombre de policiers consacrés à la sécurité publique entre 2003 et 2009 est compensé par une baisse des adjoints de sécurité conduisant à une décroissance globale de 2,3% sur la période et se poursuit actuellement en 2011 [3]. Cependant du fait de l'augmentation des rémunérations, le montant des crédits budgétaires alloués croit malgré une réduction des dépenses de fonctionnement et d'équipement et près de 6.700 ETPT d'heures de récupération non consommées.

- Par ailleurs s'agissant des ressources humaines, on assiste à une sous-optimisation importante : il n'existe pas d'adéquation entre le niveau de délinquance et l'allocation des effectifs. Du côté des gendarmes, leur déploiement tient plus compte de l'importance des collectivités où ils interviennent que de l'ampleur des crimes et délits constatés. D'ailleurs les relevés statistiques comportent de nombreux biais si bien que la Cour relève : « nous recommandons par exemple de comptabiliser les délits sur le lieu de leur commission et non de leur enregistrement. » Du simple bon sens… Encore faudrait-il que l'emploi des forces soit massivement réorienté vers le terrain, ce qui est là aussi très loin d'être le cas : 27% du nombre d'heures théorique est consacré au cœur de métier, tandis que 5,5% du temps est réellement consommé par des activités de voie publique (sécurité et circulation) ! La raison : 42,7% du temps est consacré à des tâches administratives ou judiciaires dans les bureaux. La Cour constatant « il existe certes un plan de substitution d'agents administratifs aux policiers employés à des tâches strictement administratives, mais sa mise en œuvre est inachevée, notamment pour des raisons budgétaires. »

Policiers

- Enfin l'arbitrage entre implantations de police et de gendarmerie reste mal conçu. On relève par exemple la poursuite d'implantation de forces de polices dans des collectivités de moins de 20.000 habitants, alors que la gendarmerie serait plus pertinente. Par ailleurs les locaux pour les deux forces sont sous-optimisés : hésitations entre politiques immobilières et locatives, faible pression à la baisse sur le coût des fluides, manque de redéploiement des forces dans les secteurs prioritaires…

La Cour livre donc un constat éclairant sur le manque d'optimisation des forces de sécurité publique. Elle ne peut malheureusement pas pour le moment devenir « force de proposition » : aucune conséquence n'est réellement tirée par exemple de la sous-optimisation du temps de travail consacré à des missions de sécurisation effectives ou de voie publique : pourquoi par exemple ne pas externaliser les fonctions d'administration pure, pourquoi ne pas confier à des compagnies de sécurité privées dûment certifiées, le soin de réaliser des missions de garde statique, de convoiement de détenus, comme c'est le cas par exemple en Grande-Bretagne, afin de rapprocher davantage les effectifs du terrain ? Autant de pistes que l'on pourrait tracer par une lecture en creux du rapport. C'est en définitive l'équidistance vis-à-vis des pouvoirs publics (Exécutif/Législatif) qui paralyse la Cour pour aller jusqu'au bout de ses missions d'évaluation des politiques publiques et rentrer résolument dans une logique de « value for money » [4]. Il faut résolument en la matière la rapprocher constitutionnellement du Parlement…

[1] « Art.47-2.- La Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l'action du Gouvernement. Elle assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'exécution des lois de finances et de l'application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l'évaluation des politiques publiques. »

[2] Rapport général n° 111 (2010-2011).

[3] Il faut bien distinguer clairement la mission sécurité publique de l'ensemble des activités des forces de polices et de gendarmerie. Les effectifs permettent de mieux saisir le périmètre d'action : sur 240.000 policiers et gendarmes, l'activité de sécurité publique (SP) ne concernent que 63.000 agents territoriaux (DDSP) de la Direction centrale de la sécurité publique (DCSP) auxquels s'ajoutent les 20.000 agents de la Sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP) et 80.000 gendarmes dont les activités spécifiquement SP ne sont pas individualisables en raison de leur polyvalence.

[4] Il est par exemple symptômatique que la Cour, bien qu'elle constate un manque de définition des périmètres d'action de la police nationale et de la gendarmerie relatifs à leurs missions de sécurité publique, renvoie à un second rapport la « mutualisation des moyens » alloués aux deux forces. Or c'est ce second rapport qui devrait permettre une véritable appréciation de « value for money ». Pourquoi ne pas avoir commencé par là ? Cela témoigne d'un manque de tropisme pour l'évaluation proprement « budgétaire » que seul pourrait adopter systématiquement un service d'audit des politiques publiques spécialisé.