Actualité

Constitution, le Parlement veut (enfin !) se doter d'un office d'évaluation des politiques publiques

Ce mois de mai 2008 a fait montre d'une actualité très chaude entre projet de réforme des institutions et loi de modernisation de l'économie. Faisons le point ce mois-ci sur la réforme de la Constitution et la bataille qui s'est tenue à la fois dans la presse et dans l'hémicycle entre le 8 et le 27 mai pour imposer le principe de l'inscription dans la Constitution de la création pour notre Parlement d'un office parlementaire de contrôle des politiques publiques. La résistance de la haute administration a été, sans surprise, au rendez-vous, mais nous avons sur ce dossier marqué des points capitaux. En effet, nous avons maintenant toutes les cartes en main pour passer à l'étape suivante : la création de l'office parlementaire d'évaluation des politiques publiques sous forme d'une délégation parlementaire.

Projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République

AMENDEMENT

Présenté par Louis Giscard d'Estaing
Co-signé par Jean-Michel FOURGOUS, Claude GOASGUEN
et Elie ABOUD, Manuel AESCHLIMANN, Nicole AMELINE, Marc BERNIER, Christian BLANC, Claude BODIN, Loïc BOUVARD, Valérie BOYER , Philippe BRIAND, Chantal BRUNEL, Dominique CAILLAUD, Patrice CALMEJANE, Olivier CARRE, Philippe COCHET, Olivier DASSAULT, Bernard DEFLESSELLES, Bernard DEPIERRE, Nicolas DHUICQ, Jean-Pierre DOOR, Daniel FASQUELLE, Yannick FAVENNEC, Alain FERRY, Daniel FIDELIN, Nicolas FORISSIER, Jean-Paul GARRAUD Claude GATIGNOL, François-Michel GONNOT, Michel GRALL, Arlette GROSSKOST, Michel HERBILLON, Françoise HOSTALIER, Sébastien HUYGHE, Michel LEZEAU, Lionnel LUCA, Richard MALLIE, Philippe Armand MARTIN, Georges MOTHRON, Alain MOYNE-BRESSAND, Bertrand PANCHER, Yannick PATERNOTTE, Jean PRORIOL, Michel RAISON, Jacques REMILLER, Jean ROATTA, Daniel SPAGNOU, Éric STRAUMANN, Alain SUGUENOT, Michelle TABAROT, Lionel TARDY, Dominique TIAN, Christian VANNESTE, Philippe VIGIER, Philippe VITEL, Gérard VOISIN,

ARTICLE UNIQUE

À l'article 21 est ajouté un alinéa III ainsi rédigé :
« Est inséré, après l'article 47-2 de la Constitution, un article 47-3 ainsi rédigé :
«  Art. 47-3. – Le Parlement est doté d'un office parlementaire d'évaluation et de contrôle des politiques publiques. Une loi fixe les modalités de son fonctionnement. »

Conférence de presse

Lundi 19 mai à l'Assemblée nationale, l'iFRAP a organisé une conférence de presse pour Louis Giscard d'Estaing et Jean-Michel Fourgous afi n de présenter leur amendement à la Constitution sur le thème « Renforcer les pouvoirs du Parlement ? Les députés veulent le faire ! ». Cette conférence de presse a donné lieu à de nombreuses reprises dont Les Échos, LCP-AN, BFM, BFM TV, RMC, France Inter, Profession politique et l'AFP.

Texte de la dépêche AFP parue suite à la conférence de presse : Paris, 19 mai 2008 (AFP) – Une cinquantaine de députés UMP souhaitent l'inscription dans la Constitution d'un offi ce parlementaire de contrôle des politiques publiques et défendront un amendement en ce sens dans le projet de réforme des institutions, a annoncé lundi l'un d'entre eux Louis Giscard d'Estaing. « Nous voulons que le Parlement ait la capacité autonome de concourir à l'élaboration des politiques publiques, il s'agit d'un sujet majeur dans l'équilibre de nos institutions », a plaidé le député du Puy-de-Dôme lors d'une conférence de presse. « Nicolas Sarkozy avait affi rmé le fait que le Parlement doit contrôler l'exécutif et avoir les moyens de le faire, c'est ce que nous faisons avec cet amendement », a-t-il ajouté, précisant qu'il s'agissait également d'un point du programme législatif de l'UMP. Les députés ne modifi ent que 0,1 % du budget de l'État et « comme il n'y a pas de contrôle effi cient, la France est un des pays où l'on a la plus grosse progression des dépenses publiques », s'est plaint un autre signataire de l'amendement, Jean-Michel Fourgous, lors de cette conférence de presse. M. Fourgous a également souligné qu'il y avait un « consensus » avec le PS sur la nécessité d'un contrôle parlementaire. Ce contrôle faisait partie des propositions du comité Balladur sur la réforme des institutions et a été abandonné dans le projet de loi pour être uniquement confi é à la Cour des Comptes. La commission des lois lors de l'examen du texte a rétabli le dispositif initial en stipulant que le Parlement « vote la loi, contrôle l'action du gouvernement et concourt à l'évaluation des politiques publiques. ». « Nous, nous allons un peu plus loin », a souligné M. Giscard d'Estaing.

Réforme des institutions. Le Parlement va-t-il se révolter ?

La démocratie irréprochable ce n'est pas une démocratie où l'exécutif est tout et le Parlement rien. C'est une démocratie où le Parlement contrôle l'exécutif et a les moyens de le faire », nous disait le candidat Sarkozy dans son grand meeting de lancement de campagne du 14 janvier 2007. Puis, en mars 2007, le futur président déclarait, dans un entretien à la revue Acteurs Publics, être déterminé à « renforcer l'évaluation de l'efficacité des dépenses » et souhaitait « la création d'un office parlementaire d'évaluation et de contrôle de la dépense publique permettant au Parlement de jouer son rôle dans le contrôle de l'Administration et l'évaluation des politiques publiques ». Bref, un organisme de contrôle calqué sur le modèle – déjà copié dans le monde entier – du National Audit Office (NAO) britannique.

Il y a urgence, la France est le pays occidental où les dépenses publiques rapportées au PIB atteignent le niveau le plus élevé : 54%. À la source de cette dérive, se situe un véritable dysfonctionnement du contrôle de la dépense publique dans notre pays. Le Parlement a seul le pouvoir de sanction sur les dépenses – car il vote le budget – mais ses moyens d'enquête, par rapport aux parlements des autres grandes démocraties, sont dérisoires. Pour les observateurs, le message était limpide : dès l'élection de Nicolas Sarkozy, les pouvoirs de notre Parlement seraient confirmés et renforcés. Nos parlementaires, élus aussi pour cela, contrôleraient vraiment dépenses publiques et administrations grâce à un organe de contrôle qui fonctionnerait comme le NAO britannique ou le SNAO suédois. Le 6 mai, Nicolas Sarkozy est élu. Le 29 octobre 2007, la commission Balladur sur la modernisation des institutions de la Ve République, après avoir siégé et auditionné de nombreuses semaines, remet son rapport au Président de la République.

Ce rapport propose de modifier l'article 24 de la Constitution en stipulant : « Le Parlement vote la loi, contrôle l'action du Gouvernement et concourt à l'évaluation des politiques publiques. » Jusqu'à présent, les seuls articles de la Constitution qui évoquent le pouvoir de contrôle du Parlement sont les 47 et 47-1, qui se bornent à lui reconnaître le droit de contrôler la seule exécution des lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Le comité Balladur a donc proposé « que le texte même de la Constitution soit précisé de telle sorte que cette mission de contrôle [des dépenses] soit expressément dévolue au Parlement ».

Quelques jours plus tard, le 5 novembre 2007, le Président de la République est invité en grande pompe à la Cour des Comptes pour la célébration du bicentenaire de l'auguste maison. Il y fait un discours très applaudi dont le cœur est une déclaration quelque peu contradictoire avec ses précédentes prises de positions : « Je connais les débats récurrents autour du rôle de la Cour des Comptes. Je connais la remise en cause toujours renouvelée de son statut, de son indépendance (…). Un jour on veut la couper en deux, séparer la dimension juridictionnelle et les fonctions d'expertise, d'évaluation, de certi- fication. Un autre jour on veut lui créer des concurrents, multiplier les organismes d'évaluation. »

« Nous devons saisir cette chance historique de renforcer les pouvoirs du Parlement »

Intervention de Louis Giscard d'Estaing mercredi 21 mai 2008 en séance publique à l'Assemblée nationale en discussion générale sur le projet de loi de modernisation des institutions de la Ve République.

M. Louis Giscard d'Estaing : « C'est un honneur de m'exprimer à cette tribune sur ce projet de loi constitutionnelle, d'autant que je suis un « pur produit » de la Ve République : je suis non seulement né le mois même de sa promulgation, mais j'ai également eu le privilège d'être sensibilisé, dès mon plus jeune âge, à l'action de ses deux premiers présidents puis, dans des conditions encore plus exceptionnelles, à celle de leur successeur, qui a donné de nouveaux droits à l'opposition en permettant la saisine du Conseil constitutionnel par 60 parlementaires.

Chacun sait combien ces droits nouveaux ont été utilisés. Et chacun sait qu'il est toujours possible d'améliorer notre Constitution, pourvu que l'on préserve les grands équilibres qui lui ont permis d'atteindre, cette année, son 50e anniversaire. Notre loi fondamentale a prouvé sa résistance au temps et sa capacité remarquable d'adaptation aux différents contextes politiques. La volonté du président de la République de moderniser la Constitution est d'autant plus légitime qu'elle s'inscrit dans la continuité d'un large débat politique, au cours duquel les candidats à l'élection présidentielle ont reconnu la nécessité d'assurer un meilleur équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Comme l'a rappelé le Premier ministre, nos concitoyens demandent que la modernisation de notre démocratie sociale soit suivie d'une évolution similaire de notre démocratie politique. Dans son discours du 14 janvier 2007, Nicolas Sarkozy affirmait ainsi qu'une démocratie irréprochable n'est pas un régime où l'exécutif serait tout et le Parlement rien. C'est une démocratie où le Parlement contrôle effectivement l'exécutif.

Le texte qui nous est proposé tend à améliorer l'organisation du travail de l'Assemblée en répartissant mieux les députés au sein des commissions permanentes. Comment travailler efficacement dans une commission comptant plus de 140 membres ? Grâce à ce texte, le travail en commission sera d'autant plus utile que le droit d'amendement pourra désormais s'y exercer pleinement. La principale avancée, à savoir le partage de l'ordre du jour, ne sera toutefois suivie d'effet que si le Parlement dispose de moyens autonomes pour préparer les textes législatifs et pour évaluer leur impact. Jean-François Copé l'a encore rappelé il y a quelques instants. Nous devons saisir cette chance historique de renforcer les pouvoirs du Parlement en nous donnant enfin les moyens de contrôle et d'évaluation qui font aujourd'hui défaut.

C'est pourquoi nous devons impérativement instituer un office parlementaire de contrôle de la dépense publique, tout en consacrant la « règle d'or » défendue par notre collègue Charles de Courson. Nous garantirons ainsi l'effectivité de la lutte contre les déficits, et le Parlement disposera de moyens autonomes pour évaluer l'impact des textes de loi, au lieu de dépendre des seuls chiffrages de l'administration. Ce sera une nécessité à partir du moment où l'ordre du jour sera partagé. Cette réforme parviendra pleinement à renforcer les pouvoirs et la responsabilité du Parlement si elle lui accorde les moyens de les exercer en le dotant d'un office parlementaire. C'est ainsi que nous pourrons mieux encore exercer le rôle qu'attendent de nous les Français ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Coup de théâtre

Pendant ce temps se prépare, à Matignon et à l'Élysée, le texte de la réforme constitutionnelle. Fin mars, avant d'être visé en Conseil d'État, l'avant-projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République prévoit bien, en son article 9, que l'article 24 de la Constitution mentionnera dorénavant que le Parlement « concourt à l'évaluation des politiques publiques ».

Le 4 avril 2008, le président de la République prononce un discours à Bercy à l'occasion de l'annonce des résultats de la deuxième salve d'audits RGPP et annonce : « J'ai demandé au premier président de la Cour des comptes de réfléchir à la constitution d'un organisme d'audit des politiques publiques. » Mercredi 23 avril est présenté en Conseil des ministres le projet de réforme constitutionnelle. L'argumentation du Premier ministre se fonde sur la nécessité de « rééquilibrer les pouvoirs en faveur du Parlement » et se félicite que 70 à 80 % des propositions de la commission Balladur soient reprises dans le projet de la « plus importante réforme constitutionnelle depuis 1958 ».

Coup de théâtre : aucune mention du rôle du Parlement en matière de contrôle et d'efficience de la dépense publique ne figure plus dans le projet. Tout juste est-il ajouté un article 47-2 stipulant que la Cour des comptes « contribue à l'évaluation des politiques publiques ». Le contrôle de l'efficacité de la dépense publique ne serait-il plus l'apanage du Parlement ? La France serait bien la première démocratie où ce rôle serait dévolu quasi exclusivement à une juridiction dont les membres ne sont pas élus. Nos parlementaires se laisseront-ils abuser par ces effets de manches et d'hermine ? Réponse dans le cadre de la prochaine discussion fin mai à l'Assemblée nationale. Le Parlement godillot se révoltera-t-il ?

Article paru dans Le Figaro le 8 mai 2008