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Budget militaire : la France doit se doter d'un fonds spécial de 57 milliards

La Loi de Programmation Militaire 2024-2030 sera probablement la LPM la plus déterminante des quatre dernières décennies. Pour permettre de répondre à la majorité de nos lacunes capacitaires tout en augmentant le format des forces, la Fondation IFRAP recommande, en plus du vote de la prochaine LPM, la mise en place d'une enveloppe spéciale de 57 milliards € (soit 8 milliards € de plus en moyenne par an), sur le modèle allemand. Ce fond permettrait en outre de fixer une trajectoire réelle allant vers un budget militaire de 2 % du PIB (hors ressources exceptionnelles) dès 2027.

Pour atteindre les 2% du PIB, la France doit se doter d'un fonds spécial à l'allemande

Le 20 janvier 2023, le président a présenté les grandes orientations de la future LPM 2024-2030 à l’occasion de ses vœux aux armées. Déposée au Parlement le 4 avril pour un vote à l'été, et actuellement en examen après un passage au Conseil Constitutionnel, cette future LPM devrait doter les armées de 413,3 milliards € au total pour « transformer » les armées selon plusieurs axes, dont le renforcement significatif des capacités cyber et des services de renseignement ou encore le durcissement des forces de souveraineté.

Si de nombreux détails demeurent encore inconnus, faute de dossier législatif complet, plusieurs sources (dossier du ministère des Armées et rapport annexé) permettent de synthétiser la vision gouvernementale. Sur le plan budgétaire, 413,3 milliards € sur 7 ans, c’est 40 % de moyens supplémentaires par rapport à la LPM précédente, qui prévoyait 295 milliards de 2019 à 2025. Les moyens devraient continuer d’être alloués sous forme de marches budgétaires supplémentaires de 3 milliards (3,1 pour 2024) € par an en 2025, 2026 et 2027, puis de 4,3 milliards en 2028, 2029 et 2030. Le palier des 2 % du PIB dévolu à notre effort de défense devrait être franchi en 2025.

En tout état de cause cette hausse des moyens à 413 milliards € sur 2024-2030 semble être, dans le paysage des dépenses publiques actuelles, le maximum que nous puissions faire, compte tenu du niveau de dépenses publiques, mais dans des secteurs non régaliens que l’État n’a de cesse de vouloir investir au détriment de ses missions régaliennes originelles. Dans notre dernière étude sur les armées, nous avions établi une première fourchette du besoin en crédits nécessaire pour permettre à nos armées de remplir avec un confort relatif ce que demandent les contrats opérationnels actuels. 

Outre une trajectoire allant vers un budget militaire approchant 2 % du PIB en 2030 (soit 70 milliards € par an) sur laquelle il semble y avoir de facto consensus aujourd’hui, une enveloppe de 50 milliards répartie de 2023 à 2030 sur le modèle allemand du fond extraordinaire (soit 7 milliards de plus par an) permettrait de répondre à la majorité de nos lacunes capacitaires tout en augmentant les formats des forces : 100 000 hommes pour la FOT ; une flotte de 40 hélicoptères de transport lourds ; le passage à une flotte de 300 Rafale ; l’acquisition de 5 frégates de premier rang supplémentaires ; 2 SNA supplémentaires ou encore l’acquisition de 10 corvettes. 50 milliards € peuvent paraître beaucoup, mais en vérité, c’est la volonté politique de réformer notre État en profondeur qui fait défaut, et qui, indirectement, a des conséquences délétères sur nos capacités à investir dans notre défense nationale.

Le cas de l’Allemagne

La guerre en Ukraine fut et demeure encore aujourd’hui un fait stratégique très révélateur pour constater le niveau de désarmement européen qui a cours depuis presque trois décennies. En réponse à ce constat, dès le 27 février 2022, seulement quelques jours après l’invasion, le chancelier Olaf Scholz annonça sa volonté de porter les dépenses de défense allemandes à plus de 2 % du PIB et de débloquer un fonds spécial de 100 milliards €, destiné à financer la modernisation de l'armée allemande.

Ce fonds spécial ne sera pas dépensée sur une seule année, mais sur plusieurs, en venant alimenter le budget fédéral alloué annuellement au ministère de la Défense. Comme le montrait le Sipri (Stockholm International Peace Research Institute), en considérant le budget de la défense voté de 50,3 milliards € pour 2022 (soit 1,4 % de son PIB, l’un des taux les plus faibles de l’Otan) et de 50,1 milliards jusqu’en 2026, il manquerait environ 151 milliards € sur la période pour respecter la trajectoire annoncée par Olaf Scholz et atteindre l’objectif des 2 % du PIB.

D'aileurs, si cette enveloppe paraît au premier abord très impressionnante, plusieurs facteurs viennent en relativiser la portée : d’abord, la valeur des investissements sera au moins grignotée par une inflation de 7 % en 2023. Ensuite, les conséquences du sous-investissement chronique en matière de défense de l’Allemagne ces dernières années ne sauraient être comblées entièrement de cette manière. Les carences en termes de personnels, de disponibilité des matériels et de dimensionnement des stocks, très critiquées ces dernières années, vont demander, comme en France, des crédits soutenus sur plusieurs années pour être résorbés. Ainsi, en 2022, l’Allemagne n’a finalement pas respecté l’engagement d’Olaf Scholz de monter ses dépenses militaires à 2 % de son PIB, et l’objectif a été repoussé aux années suivantes. Aujourd’hui encore, il demeure incertain qu’il soit respecté d’ici à 2025.

Budget militaire : comment la France se place-t-elle dans l'OTAN ?

Si l’on compare aux autres pays, les grands ensembles constitutifs du budget militaire français sur une période allant de 2014 à 2022, trois tendances se dégagent :

  • Des crédits d’équipements structurellement supérieurs à la moyenne OTAN sur la période 2014-2022. 

Cela témoigne d’un besoin français en général plus élevé en crédits pour financer le renouvellement cyclique des matériels conventionnels, mais aussi les matériels nucléaires. Ces derniers représentent environ 22,5 % des budgets d’équipements annuels, une proportion qui est stable depuis environ 15 ans. Pour autant, la part budgétaire dévolue au financement des équipements en France augmente moins vite que la hausse générale constatée dans les autres pays de l’Otan, et ce dans des proportions importantes : en 2015, nous affichions un budget près de 10 points supérieur à la moyenne Otan. En 2022, ce chiffre tombe à seulement 1 point. Cela indique une accélération plus rapide des autres pays, notamment les pays de l’Est, comparativement à nos efforts, alors même que les autres pays n’ont pas de mission nucléaire à financer. La bosse budgétaire qui se profile, portant notamment sur le renouvellement de la composante sous-marine de la dissuasion (programme SN3G), ne devrait pas bouleverser cette tendance sur le fond. Par ailleurs, si nos dépenses d’équipements militaires sont supérieures à la moyenne Otan, nos budgets d’équipements ont régulièrement été perçus par nos dirigeants comme des variables d’ajustements, conduisant à des décalages de programmes ou des réductions de cibles d’acquisition.

  • Des crédits de personnels structurellement inférieurs à la moyenne des pays de l’Otan sur cette même période. 

En dépit d’une amélioration relative sur les deux dernières années, davantage due à une baisse générale des pays considérés. Si nous poussons la comparaison pour les pays qui nous sont voisins (Allemagne, Belgique, Pays Bas, Italie, Espagne, Royaume-Uni), c’est près de 4 points d’écart. Seule l’Allemagne dépense moins que nous (et de peu) en matière de personnels, ce qui est notamment dû à une armée de taille plus restreinte que la nôtre (185 000 personnels au lieu de 208 000 environ).

  • Un sous-investissement chronique en matière d’infrastructures sur cette période 2014-2022. 

La part des crédits alloués à la construction et la rénovation des infrastructures militaires est inférieure à la moyenne Otan. En comparaison, là où nous avons investi en moyenne 2,92 % de nos budgets dans les infrastructures, des pays comme l’Allemagne, les Pays Bas, la Pologne, l’Estonie, la Norvège investissent de l’ordre de 3 à 8,5 % pour offrir des conditions de logement satisfaisantes à leurs soldats. L’état général de nos infrastructures militaires est un problème important qui n’a pourtant jamais été résolu à l’occasion des différentes LPM qui se sont succédé depuis les années 1990. Le parc existant s’est dégradé de manière continue, si bien qu’un rapport d’information présenté à l’Assemblée nationale en février 2023 par les députés Yannick Chevenard et Laurent Jacobelli établissait que seulement un quart du parc immobilier du ministère des Armées pouvait aujourd’hui être considéré comme en bon état.

La place de la dissuasion au sein du modèle de forces armées. 

La particularité de la France est de devoir financer un modèle de forces qui se veut complet, c’est-à-dire disposant théoriquement des capacités nécessaires pour intervenir sur la totalité du spectre de la conflictualité, ainsi qu’une dissuasion nucléaire à deux composantes (sous-marine et aéroportée). Aussi, les forces françaises peuvent être divisées en trois : les forces totalement dédiées à la dissuasion (les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins) ; les forces duales, c’est-à-dire celles qui participent à la mission nucléaire, mais sont aussi employées de manière conventionnelle (les Rafales des Forces Aériennes Stratégiques, les avions ravitailleurs, les sous-marins nucléaires d’attaque…), et les forces qui ne participent pas à cette mission, comme les forces terrestres en général. Avec le format très restreint des parcs de matériels disponibles pour cause de moyens financiers et humains insuffisants, nous arrivons dans une situation dans laquelle l’effectivité de notre dissuasion nucléaire se trouve affaiblie par le déclassement de nos capacités de dissuasion conventionnelle que peuvent exercer nos armées sur un adversaire.

Dans ces conditions, nous nous pensons protégés par un moyen de défense ultime - la dissuasion nucléaire -, qui peut en fait être contourné par des actions de combat conventionnel sous le seuil nucléaire, auxquelles nous ne saurions pas répondre avec le niveau de force adapté. Par conséquent, la seule solution semble être un renforcement significatif de nos moyens de combat classiques, notamment sur ce qui fait la masse des forces terrestres : les blindés de combat, l’artillerie et les feux dans la profondeur, les hélicoptères de combat... Il s’agit d’ailleurs du second enseignement que tirent les sénateurs Cédric Perrin et Jean-Marc Todeschini dans leur rapport sur les enseignements de la guerre en Ukraine pour la France. Le tout, bien sûr, avec des niveaux de stocks de munitions adaptés à des consommations de guerre, telles qu’observées.