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2ème CIMAP : accélérer la modernisation publique et prioriser l'Open Data

La modernisation de l'action publique voulue par le gouvernement a atteint une seconde étape le 2 avril dernier. Désormais, les premières actions concrètes voient le jour et ont été annoncées dans le cadre du deuxième comité interministériel de modernisation de l'action publique (CIMAP) autour de cinq axes principaux [1] :
- évaluation des politiques publiques, annonces des premières coupes dans les dépenses (fonctionnement à travers les achats, mais aussi investissements)
- rationalisation des structures (opérateurs, agences, commissions administratives, services déconcentrés)
- simplification des normes et des procédures en direction des collectivités locales, des particuliers et des entreprises
- renforcement de l'ouverture des données publiques

L'ensemble apparaît donc complet, au niveau de l'État, mais pas encore tranché en ce qui concerne les deux grands autres champs des administrations publiques : le secteur local et le secteur hospitalier et social. [2] A noter toutefois un vrai effort en matière de mise en perspective du calendrier du 1er cycle des évaluations 2013.

La présentation des mandats d'audit, politique publique par politique publique est un effort qui doit être salué. Globalement, les initiatives sont donc bonnes, mais le périmètre de l'intervention du secteur public, ce qui devrait relever du tiers secteur (ou de l'économie sociale et solidaire) ou du secteur privé n'est pas encore abordé. On reste donc encore dans une logique de réduction homothétique des dépenses et pas d'abandon pur et simple d'actions jugées non prioritaires. Le travail est donc méritoire mais gagnerait à être sérieusement renforcé.

Les principales décisions du 2ème CIMAP suivant les cinq axes définis

  • Poursuivre l'évaluation des politiques publiques (250 milliards en cours d'audit) soit 20% de la dépense publiques totale, pour un processus qui devrait s'achever en 2017 ;
  • Mise en place de PMMS (programmes ministériels de modernisation et de simplification) dans l'ensemble des ministères devant aboutir à une rationalisation des dépenses de train de vie (achats, objectif 2 milliards d'économies en 2015), mais aussi investissements (contre-expertise indépendante) ;
  • Rationalisation des structures : opérateurs et des agences sous tutelles de l'État, avec en priorité les structures de moins de 50 agents dès septembre 2013, suppression de 25% des commissions administratives (soit 168 environ) d'ici juin 2013, poursuite dans les administrations déconcentrées de la dynamique RéATE (réforme de l'administration territoriale de l'État) ;
  • Poursuite et renforcement de la politique d'ouverture des données publiques ;
  • Simplification des normes dans le droit fil de la commission Lambert/Boulard et des procédures administratives auprès des particuliers comme des entreprises.

Mais non exempt de difficultés pour dégager de vraies économies

- Côté évaluation des politiques publiques : Si les audits de modernisation se poursuivent comme au temps de la RGPP, ce sont désormais les ministères qui sont en charge de proposer des PMMS (programmes ministériels de modernisation et de simplification), sans que l'on puisse bien voir leur articulation en matière d'économies avec des objectifs clairs et identifiés en regard de ceux annoncés en loi de finances 2013. C'est pourtant en fonction de ces marges de manœuvres, en matière de dépenses de personnels, de fonctionnement, d'intervention et d'investissement, que l'on pourrait avoir une vision relativement claire des coupes à réaliser. Au-delà du 2ème CIMAP, il importe que le public puisse avoir une vision claire et recoupée par rapport au budget sur les efforts réels de modernisation des ministères. Rejoignant la politique plus générale d'Open Data sur son versant démocratique, pourquoi ne pas demander la publication et la mise à jour des PMMS au fil du temps (par exemple à l'occasion des différents CIMAP) ?

-Côté rationalisation des dépenses courantes :S'agissant des dépenses de train de vie, les prérogatives du SAE sont renforcées et son périmètre étendu aux opérateurs de l'État et au secteur hospitalier via le programme PHARE. L'élargissement des prérogatives du SAE étaient attendues, mais c'est l'identification des économies budgétaires résultant des gains d'achats qui pose problème. Il serait en particulier nécessaire de bien identifier les économies réalisées sur les prix (effet prix) et celles réalisées sur les volumes (effet volume), liées en particulier à la maîtrise de la masse salariale et à la rationalisation de la structure des achats. Cette difficulté a bien été identifiée par l'exécutif qui a missionné sur le sujet l'IGF (l'inspection générale des finances). Cependant, l'objectif de 2 milliards d'euros d'économies à horizon 2015 n'est pas suffisamment documenté.

-Côté rationalisation des structures :On ne dispose pas encore des économies réalisables dans le cadre de la politique de rationalisation des opérateurs des économies de l'audit par le CGEFI (contrôle général économique et financier) des 200 structures de moins de 50 agents sous la tutelle de l'État. Ses conclusions devraient être connues en juin, mais l'intérêt d'une évaluation provisoire aurait permis de mettre en évidence quel serait le volume d'économies productible (suivant des scenarii alternatifs) dans la masse de 10 milliards d'économies potentielles identifiées sur le champ de l'ensemble des agences et opérateurs par l'IGF dans son rapport de l'automne 2012. Mieux, il s'agit sans doute avec la rationalisation des ATE (administrations territoriales de l'Etat) des éléments les plus tangibles permettant de mettre en évidence une réduction du périmètre de l'action de l'Etat, au-delà d'une réduction "homothétique" des structures qui ne peut être à termes suffisamment génératrice d'économies nouvelles.

-Côté simplification des normes : le gouvernement semble suivre avec beaucoup de fidélité les recommandations de la commission Lambert/Boulard. Cependant, même si ce chantier est stratégique, il ne peut donner sa pleine mesure en termes d'économies que sur la durée. l'ensemble des expériences étrangères montre qu'il s'agit en réalité d'un nouveau processus destiné à devenir permanent afin non seulement d'avoir un impact en terme de flux de normes nouvelles, mais surtout de réflexion sur le stock. Le potentiel d'économies envisageables en vitesse de croisière devrait être de 2 milliards d'euros environ par an. En attendant, le moratoire annoncé sur les normes en direction des collectivités locales, nous semble très ambitieux.

De belles ouvertures sur l'Open Data

En matière d'ouverture des données publiques, le gouvernement tient ses engagements en distribuant sa stratégie dans trois directions :

- Ouvrir et partager des données à fort impact économique et démocratique : sur ce volet, l'annonce faite d'une mise en accès des données SNCF et RATP est une très grande avancée, tout comme la libération de données comme les crimes et délits et faits constatés par les services de police et de gendarmerie en 2012 (déjà libérés), les aides à la Presse ou la liste des mobiliers classés « monuments historiques » par région et les dépenses d'assurance maladie par région. Cependant, le portail Data.gouv.fr reste encore assez pauvre en données budgétaires, que ce soit par remise à jour des données déjà libérées pour des années antérieures au PLF 2013 ou pour des données des administrations sociales (CCAS, CPAM etc…) ou locales (données DGCL ou CNFPT), voire en matière de rémunérations des agents. Par ailleurs la libération de données fiscales reste peu importante et souvent datée. Le gouvernement annonce la libération de nouveaux jeux de données dans des domaines stratégiques de l'action publique… santé, sécurité, vie économique et recherche, il doit le faire plus massivement s'agissant des administrations financières.

- La mise en place d'un catalogue national des données ouvertes est une très bonne mesure afin de renforcer l'ergonomie du portail data.gouv.fr. On devrait normalement y trouver l'archivage des jeux de données par année. Il est nécessaire que son enrichissement se fasse à la fois par des jeux de données libérées à temps, mais aussi dans une logique rétrospective en cherchant à reconstituer des séries de fichiers par types en fonction des nouveaux domaines libérés (exemple : statistique de l'impôt sur le revenu en 2010, mais aussi en 2009, 2008, etc. en remontant jusqu'à épuisement des fichiers libérables disponibles). Il est donc nécessaire que soit mis en place un engagement par les pouvoirs publics à libérer des données de même nature de façon à constituer des séries longues.

- Enfin la décision n°14 précise que « Le Gouvernement prendra systématiquement en compte l'exigence de partage des données publiques dans les réformes qu'il présente ». Ce point est capital car il permet d'introduire l'ébauche de présomption d'Open Data (donc de caractère libérable des données publiques). Il est renforcé dans la mesure où le CIMAP précise, sans que cela constitue une décision autonome, « engager l'ouverture des données publiques « par défaut », intégrée dès la conception des systèmes d'information. »

Cette dernière prise de position est essentielle. Établir une présomption de communicabilité par défaut des données publiques, devrait permettre de forcer l'administration à justifier son refus. Nous pensons que ce principe devrait être décliné sur un plan législatif et réglementaire. La fondation iFRAP propose :
- De constituer un principe de communicabilité automatique des données publiques par défaut ;
- De ne pouvoir surseoir à cette libération qu'en vertu des exceptions prévue par la loi de juillet 1978, entendues de façon restrictive dans le cadre de « l'interprétation facilitatrice des normes [3] » ;
- De faire en sorte qu'en dehors des différents secrets protégés par l'État, les ministres ne puissent que par un acte positif (décision expresse susceptible de recours y compris en référé) et pour un temps déterminé (maximum fixé à 1 an et réitérable) surseoir à la publication automatique des données ou des documents administratifs par les administrations elles-mêmes sur les sites dédiés (data.gouv.fr, légifrance, etc.) ;
- Que soit mis en place un principe de double publication : sur le site de l'administration concernée et sur un portail gouvernemental (légifrance, documentation française ou data.gouv.fr), afin de rendre l'information redondante et d'autant plus accessible :
- Qu'il soit mis en place un système de conservation des informations situées sur les sites officiels nonobstant leur modification (singulièrement en cas de changement de gouvernement par exemple), à l'exemple de ce qui a été réalisé au Royaume-Uni lorsque les sites officiels gouvernementaux ont été refondus à l'initiative de David Cameron (les informations ont été versées aux National Archives ou sur data.gov.uk, avec préservation des liens vers ces sites depuis les nouveaux sites ou via internet). Ceci pourrait correspondre à un droit au maintien de l'information officielle, dans le cadre d'une e-administration exemplaire en matière d'Open Data.

L'abondance, la profondeur et la remise à jour constante des données publiques est un enjeu majeur en matière de transparence de l'action publique, de son évaluation contradictoire et constitue un enjeu démocratique fort. Des évolutions complémentaires sont souhaitables : rapprochement de légifrance et du fonds de la DILA (sur ses versants J.O. et Documentation française), élaboration d'un portail légilocal afin d'y concentrer l'information légale des collectivités territoriales (mais aussi des préfectures et des services déconcentrés de l'État (plus généralement la production de l'ATE (administration territoriale de l'État)) sur le modèle de légifrance, etc.

Conclusion

Le 2ème CIMAP propose une vision contrastée de la modernisation de l'action publique : volontariste sur son versant Open Data, fusion potentielle des opérateurs, gains d'achats, plus réservée sur la consistance exacte des marges budgétaires structurelles qui pourront être réellement dégagées. Il ne suffit pas que le gouvernement précise des coupes budgétaires pour que celles-ci soient tenues durant l'exécution budgétaire, ni que celles-ci soient durablement pérennes car structurelles. Pour y parvenir il faudra que les pouvoirs publics décident de modifier le périmètre des administrations publiques, comme ce que semble préciser le CIMAP s'agissant de l'ATE (l'administration territoriale de l'État) en lançant une mission visant à définir « une analyse prospective à cinq ans des missions de chaque niveau de l'administration territoriale [de l'État] » dont les conclusions devraient être rendues à l'été 2013 [4]. Le volontarisme est là, mais les économies nouvelles difficiles à dégager. Le piège pour le CIMAP serait de se trouver enlisé dans la modernisation de l'action publique en arrivant à la corde des services sans en repenser la réorganisation en profondeur afin de créer de nouvelles marges de manœuvre. C'est toute la différence qui existe entre les coupes budgétaires dans le fonctionnement courant des services comme ce qui a été largement le cas jusqu'à présent, et le fait de repenser les missions de l'État et au-delà celles des collectivités territoriales et le périmètre d'intervention de la protection sociale. C'est seulement en repensant les missions que l'on pourra dégager des économies durables.

[1] Avec un volet participatif intégrant les agents publics eux-mêmes et les instances de dialogue social, voir CIMAP n°2, 2 avril 2013, synthèse du relevé de décision, p.8.

[2] Le volet collectivités territoriales reste grandement hypothéqué par le probable tronçonnage en trois parties de l'Acte III de la décentralisation. D'ici là, les collectivités devront inventer elles-mêmes les économies nécessaires à la compensation de la réduction progressive des dotations en provenance de l'État (près de 5,2 milliards en 2015 d'après nos dernières estimations, voir l'erratum de notre note suivante : « Les collectivités locales doivent trouver 4,5 milliards d'économies ». Par ailleurs, les efforts en matière de rationalisation de la dépense sociale ne sont pas encore arbitrés, et renvoyés à une date ultérieure, or le champ est vaste, près de 621 milliards d'euros. (Voir Société Civile n°130 et 131 de décembre et janvier 2012-2013 sur la Sécurité : « Dépenses sociales : le surcoût de la Sécu » et « Dépenses sociales : les prestations passées au crible ».). La cartographie se poursuit cependant en ce qui concerne les dépenses d'intervention de l'État en direction des aides aux entreprises, du soutien à la parentalité, de l'AAH et des aides aux familles. Se reporter au Relevé de décision, Annexe n°1, p.24.

[3] Telle que précisée par l'instruction du Premier ministre en date du 2 avril 2013 sur l'instruction relative à l'interprétation facilitatrice des normes.

[4] Souhaitons que cette perspective s'élargisse aux interventions de l'État, et aux administrations locales et hospitalières ainsi qu'aux organismes de sécurité sociale. Malheureusement s'agissant des collectivités territoriales nous n'en semblons pas pour le moment en prendre le chemin.