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Tickets-restaurant : il faut simplifier et pérenniser, une fois pour toute, les règles

Jeudi 23 novembre, la majorité devrait confirmer, pour la 6ème fois, des mesures exceptionnelles sur l'utilisation des tickets-restaurant. L'opportunité de revenir sur les règles habituelles qui les encadrent, l'instabilité qui s'est installée autour d'elles pour répondre aux différentes crises depuis 2020 (confinement, fermetures des restaurants, inflation, etc) et plaider pour une refonte pérenne et une modernisation des règles d'utilisation afin de mieux prendre en compte les usages actuels. 

Les tickets-restaurants, en bref :

  • 4,5 millions de salariés bénéficient de tickets-restaurant, c’est 15% de la population active.

  • Les tickets sont attribués aux salariés à temps plein ou partiel et par jour travaillé, soit un maximum de 220 tickets par an et seulement si le repas couvert est inclus dans l’horaire de travail. La valeur du ticket n’est pas variable selon le mode de travail, présentiel ou télétravail.

  • Le versement de tickets-restaurant n’est pas automatique et dépend, soit du souhait de l’employeur, soit de la négociation avec le CSE (comité social et économique, en place à partir de 11 salariés). 

  • 180 000 restaurateurs et commerces acceptent les tickets-restaurants et perçoivent un total de 8 milliards d’euros via ce type de paiement, représentant près de 15% de leur chiffre d’affaires total.

  • En 2023, la contribution patronale des tickets-restaurant est exonérée à hauteur de 6,91 euros mais pour que cette dernière soit reconnue, la contribution employeur doit constituer entre 50 et 60% de la valeur du titre. En 2023, cela porte la participation patronale exonérée et maximale à 6,91 euros pour un ticket-restaurant d’une valeur maximum de 13,82 euros.

  • Du côté du salarié, le reste à charge (déduit sur le bulletin de paie) varie entre 40 et 50% de la valeur du ticket-restaurant. Ce complément de salaire est non imposable tant que l’exonération maximale patronale est respectée : en 2023, le reste à charge du salarié est donc non imposable tant que le ticket journalier ne dépasse pas 13,82 euros. 

  • Au total, cette exonération représenterait un coût pour l’État de 1,5 milliard d’euros chaque année. 

Retour sur les mesures exceptionnelles successives depuis 2020

Les tickets-restaurant sont institutionnalisés depuis 1967 en tant qu’avantage social accordé au salarié et bénéficiant d’exonérations fiscales. En 2023, selon l’Urssaf, « si la participation de l’employeur est de 6,91 €, elle est totalement exonérée de cotisations sociales lorsque la valeur du titre restaurant est comprise entre 11,52 et 13,82 euros ». Les tickets-restaurant représentent donc une forme de rémunération à la fiscalité allégée et leurs délivrances et leurs utilisations sont très encadrées. 

En 2019, le cadre légal d’utilisation des tickets-restaurant était le suivant :

  • Le plafond journalier est de 19 euros par jour,

  • L’utilisation limitée aux jours ouvrables,

  • Dans le cas d’une utilisation pour faire des courses, ils ne peuvent servir dans les supermarchés que pour acheter des aliments consommables immédiatement. 

En avril 2020, en plein confinement, le ministère du Travail annonce vouloir déplafonner les tickets-restaurants à hauteur de 95 euros, une fois par semaine, pour permettre aux Français de faire leurs courses avec. Au final, le décret d’application n’a jamais été publié et la mesure jamais effective. En suivra, pas moins de 5 modifications exceptionnelles et temporaires de l’usage des tickets-restaurant :

En mai 2020 : 

  • Le plafond journalier est quasi doublé, passant de 19 à 38 euros par jour dans le cadre d’une utilisation dans un restaurant (reste 19 euros pour les supermarchés),

  • L’utilisation est ouverte pendant les week-ends et les jours fériés,

La mesure exceptionnelle est effective jusqu’au 31 décembre 2020.  On est ici à la sortie du confinement et l’objectif est clair : inciter les Français à retourner et à consommer dans les restaurants.

En janvier 2021 :

  • La validité des tickets restaurant papier est repoussée jusqu’en septembre 2021 contre le 1er février habituellement. 

  • Premier renouvellement du plafonnement à 38 euros par jour et de l’utilisation le week-end et ce, jusqu’en septembre 2021 et toujours dans le cas d’une utilisation dans un restaurant. 

A ce moment, le ministère de l’Économie estime que 700 millions d’euros de ticket-restaurant délivrés en 2020 n’ont pas été utilisés. 

En octobre 2021 :

  • Second renouvellement du plafond journalier maintenu à 38 euros pour les restaurants et ce, jusqu’au 28 février 2022. 

En février 2022 :

  • Troisième et dernier renouvellement du plafond journalier à 38 euros dans les restaurants et ce, jusqu’au 30 juin 2022. 

En septembre 2022 : 

  • Nouveau plafond journalier des tickets-restaurant passant de 19 à 25 euros par jour, dans tous les commerces de bouches sans les distinguer (restaurant, grande ou moyenne surface, traiteur, boulangerie, etc), pour tous les types de produits. La mesure est effective du 1er octobre 2022 jusqu’à fin 2023.

Cette dernière mesure exceptionnelle fait alors partie de la loi « protection du pouvoir d’achat » et arrive, bientôt, à échéance. Néanmoins, il apparait que le gouvernement tranchera, de nouveau, en faveur d’un renouvellement de la mesure ce jeudi 23 novembre. Cela dans un contexte où l’inflation sur les produits alimentaires sur 2 ans est toujours de 20%. 

Encore une fois, le changement de législation apparait se faire dans une certaine impréparation ou, en tout cas, hésitation : sans cela, comment expliquer que la mesure de renouvellement n’ait pas déjà été implémentée dans le projet de loi de finances 2024 ? Au final, une proposition de loi devrait être débattue sur le sujet, jeudi 23 novembre 2023. 

Ce qui freine le gouvernement à simplifier l’usage des tickets-restaurant

On l’a vu dès avril 2020 avec le projet avorté du ministère du Travail qui voulait largement déplafonner les tickets-restaurant : si un décret d’application n’est pas publié, cela sous-entend qu’un blocage existe dans l’administration. 

Depuis toujours, la grande crainte de Bercy sur les tickets-restaurant, c’est l’utilisation généralisée des tickets-restaurant en élément de rémunération défiscalisée… La CFDT, en 2022, parlait de son côté d’une instrumentalisation des tickets-restaurant avec le risque que l’élargissement de leurs utilisations (courses en supermarchés notamment) conduiraient les salariés à sauter leur pause déjeuner. 

La seconde inquiétude de Bercy, c’est la fraude… bien qu’il n’existe aucune estimation de cette dernière ! D’ailleurs la notion de « fraude » en la matière est très large pour l’Inspection du Travail. Par exemple, en mars 2018, Challenges rapportait le cas d’un patron de PME ayant reçu un courrier de l’Inspection du travail à propos d’un de ses employés qui a utilisé un ticket de 8 euros dans un McDonald’s… un dimanche. Ainsi, hors mesure exceptionnelle et à cause d’un cadre légal complexe et surement obsolète, chaque salarié ayant utilisé un ticket-restaurant un jour où il ne travaille pas, dans un département où il ne travaille pas ou qui a donné un ticket-restaurant à quelqu’un d’autre est un fraudeur. Sauf si ce ticket-restaurant est donné, sous forme de don, à la Croix Rouge puisque l’association bénéficie d’un partenariat sur le sujet depuis 2002.

Enfin, le dernier frein, c’est la grogne des restaurateurs qui monte sur le sujet. Selon le chef, Thierry Marx, représentant du syndicat des restaurateurs, le plafond journalier à 25 euros et utilisable dans tous les commerces de bouche a représenté un « manque à gagner de 200 millions d’euros pour [les] restaurateurs » tandis que « la grande distribution a vu sa part de marché titre-restaurant augmenter de plus de 6% » contre une baisse de 3% pour les restaurants. Pour Franck Chaumès, président national de la branche restauration du syndicat des restaurateurs, à l’heure actuelle 47% des tickets-restaurant ne sont pas utilisés dans des restaurants alors que l’objet social de base de ce titre était de financer le déjeuner aux restaurants des salariés qui ne bénéficiaient pas d’une cantine… sauf que cet objet social date de la fin des années 60 et n’est surement plus en adéquation avec les habitudes actuelles perturbées, voire accélérées,  avec la généralisation du télétravail, des rayons « déjeuner rapide » dans les supermarchés et l’inflation des deux dernières années. 

Vers une refonte pérenne des tickets-restaurant ?

Mercredi 15 novembre, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie s’est déclaré en faveur d’une réforme des tickets-restaurant « pour acheter de la nourriture ». Un texte pourrait être présenté d’ici la fin de l’année. Le délai semble un peu court mais, après 5 mesures « exceptionnelles » successives en moins de 3 ans et alors que le dispositif est populaire auprès des Français, une réforme pérenne de législation encadrant les tickets-restaurant s’impose. La dématérialisation générale des tickets-restaurant prévue d’ici 2026 (contre initialement en 2020) représente notamment une opportunité conséquente pour pérenniser un cadre de règles plus souple, se doter d’outils pour répondre aux périodes d’inflation tout en contrôlant mieux la fraude potentielle.

Les propositions de la Fondation IFRAP :

1ère étape, une période de transition avant le 100% dématérialisé :

  • Augmenter l’exonération maximale de la participation patronale de 6,91 euros en 2023 à un seuil de 10 euros afin d’augmenter le montant du ticket qui indirectement corrélée à ce maximum et encourager les employeurs à offrir cette option à plus de salariés.
  • Faire sauter la limite géographique d’utilisation (actuellement incontrôlable et déjà non respectée).
  • Respecter une tolérance sur le prêt de cartes ou de tickets papier au sein du foyer du salarié.
  • Autoriser l’utilisation de tickets-restaurant pendant toute la semaine, dimanche et jours fériés inclus.
  • Autoriser et pérenniser le droit de payer tous les biens vendus dans les commerces de bouches avec des tickets-restaurant.
  • Pérenniser le plafond de paiement journalier à 25 euros en période « normale » (où l’inflation ne dépasse pas 2%) et autoriser l’augmentation de ce plafond en période de forte inflation.
  • Pour les détenteurs de cartes tickets-restaurant, instaurer 2 plafonds journaliers distincts : un pour les achats dans les commerces de bouches (25 euros, par ex) et un second pour les paiements dans les restaurants (25 euros, par ex).

2ème étape de la réforme, après le 100% dématérialisé, se doter d’outils « anti-inflation » :

  • Reévalué annuellement (et tous les 6 mois en période de crise), le plafond journalier en fonction de l’inflation.
  • Autoriser, pour les périodes de crise, l’élargissement des biens achetables avec des tickets-restaurant : carburant, par exemple.