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Services à la personne : des tarifs inégaux entre associations et entreprises

Le secteur des services à la personne (garde d'enfants, soutien scolaire, travaux ménagers, travaux de jardinage, garde-malade, assistance aux personnes âgées et handicapées...) est en croissance dans toute l'Europe, profitant du vieillissement de la population et de la hausse du travail féminin. De nombreuses études ont été réalisées sur le sujet [1] [2] mais il est encore difficile d'évaluer son impact et ses évolutions futures dû à la part importante du travail informel et la diversité des acteurs.

Un secteur disparate et difficilement modélisable

Aucun État européen ne présente un profil similaire en termes de services à la personne (voir graphique) que cela soit en termes de part du travail informel (seulement 15% en Suède et encore à 50% au Royaume-Uni) ou en part d'actifs sur le marché du pays (moins de 1% en Suède contre 8,30% au Royaume-Uni). Ces disparités ne permettent pas d'établir un lien entre part du travail formel des services à la personne et part des aides publics.

Part du travail informel/formel en % (2009) / Part d'actifs "services à la personneé" par rapport aux actifs totaux en % (2010) / Structure du marché des services à la personne par type de structure employeuse (2011). Source : DGCIS – Étude sur les services à la personne dans sept pays européens. Rapport final (2011).

[(En Europe, des approches différentes pour des résultats incertains.

L'État suédois a mis en place un abattement fiscal de 50% pour les particuliers employeurs ainsi qu'un système de tiers payant [3]. Ces dispositions auraient permis de réduire de 40% la part du travail informel dans les services à la personne alors que la part des actifs des services à la personne ne s'élève qu'à 0.2% des actifs totaux. L'Allemagne se caractérise par l'importance des structures publiques et associatives, traditionnellement privilégiées par l'État fédéral dans le cadre des politiques d'aides sociales [4], et par l'adaptation de son système sociale au vieillissement de sa population. Ainsi depuis 1995, tous les allemands sont dans l'obligation d'être affilié à une caisse d'assurance dépendance qui forme la 5ème branche de la sécurité sociale. Par ailleurs, les allemands ont cherché à lutter contre le travail informel avec la création des « mini-jobs » en 2003 dont la rémunération ne dépasse pas 400€/mois et qui peuvent se cumuler avec un autre emploi. Le Royaume-Uni, lui, a tenté de mettre en place un statut de « travailleurs occasionnels » mais les résultats sont mitigés suite à une absence de contrôle et une multiplication des fraudes. Cependant, avec très peu, voire pas de législation, sur les services à la personne, le Royaume-Uni se place quand même en tête par rapport au taux d'actifs (8,30% du total).)]

En France, les entreprises privées se battent pour trouver leur place

La France est l'un des pays les plus généreux en termes d'abattement fiscal et d'exonérations d'impôt dans le secteur des services à la personne et se caractérise par l'importance des particuliers-employeurs (61%) qui bénéficient depuis la réforme 2013, d'un allègement des charges forfaitaires de 0,75€/heure travaillée. Cette réforme met fin au régime du « forfait » qui réduisaient les cotisations sociales des ménages, assises sur le niveau du Smic même quand l'aide à domicile était rémunéré au-delà (ce régime était une option, non obligatoire, peu encouragé par les pouvoirs publics mais adopté par 1/3 des employeurs). Ainsi, aujourd'hui, 1/3 des employeurs verront leurs charges augmenter alors que les 2/3 restants, qui payaient « au réel », bénéficieront d'un allègement des charges. Cependant, la fragilité du secteur des services à la personne constamment susceptible de retomber dans le travail informel tolère mal les changements de législation. En septembre 2012, l'IFOP réalisait une étude indiquant que face à une hausse de 10% du tarif des services à la personne, 42% des Français seraient susceptibles de recourir au travail informel.

Le secteur associatif (36% du marché) bénéficie, quand à lui, d'une fiscalité avantageuse et du soutien des Conseils généraux qui fixent la grille tarifaire de l'APA, freinant ainsi le développement du secteur privé, les entreprises représentant seulement 3% du marché d'après la DGCIS (contre 26% en moyenne en Europe). En plus des exonérations sur la TVA et l'impôt sur les sociétés, le secteur associatif qui connait des difficultés financières a demandé et obtenu un fond de soutien conjoncturel pour 2012-2013 de 50 millions d'euros versé par le Ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale. Ce fond, renouvelé pour 2013-2014 [5] , est inégalement réparti entre les acteurs des services à la personne. Ainsi le secteur associatif (84%) et les centres communaux et intercommunaux d'action sociale (9,1%) perçoivent la majorité de cette somme contre un versement s'élevant à 3,2% pour les entreprises qui représentent pourtant 29% des offres proposées et 10,2% des heures de travail effectuées (voir téléchargement pdf à droite).

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Les entreprises de services à la personne souhaitent des explications.

Les entreprises, à travers la FESP (Fédération des Services aux Particuliers), déplorent la mise en place d'un monopole public et s'appuient pour cela sur les conclusions de l'IGAS (l'Inspection générale des affaires sociales) qui a constaté les pratiques illégales de certains Conseils généraux dans le secteur « assistance dépendance », ayant pour conséquence le nom respect de la liberté de concurrence.

Ils dénoncent :

  • Le manque d'information que les clients reçoivent sur les organismes prestataires créant ainsi une « barrière à l'entrée » du marché, notamment à cause de la diffusion de listes incomplètes ne présentant pas toutes les offres disponibles aux bénéfices des associations publiques.
  • Les pratiques discriminatoires de certains Conseils généraux qui réservent le marché des bénéficiaires de l'APA et de la PCH aux associations et structures publiques. L'IGAS illustre ce système avec le cas du Conseil général de l'Ain en 2009 : « Dans l'Ain, aucun opérateur privé prestataire non autorisé n'est remboursé au tarif prestataire et donc il n'y a aucun opérateur privé qui intervienne. […] Concrètement, les organismes autorités (associations et structures publiques) se partagent le marché des bénéficiaires de l'APA » et rappelle que cette pratique est « totalement illégale ».
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Discriminations envers les entreprises.

De ces pratiques résultent un écart entre les tarifs pratiqués par le secteur public (structures agrées) et le privé (structures autorisées). Voir tableau.

Tarification de l'aide aux personnes dépendantes comme fixée par les Conseils généraux en euros (2011) Source : FESP, voir pdf au dessus du tableau

  • L'attitude récidiviste d'une part des Conseils généraux puisque « la circulaire ANSP/CNSA/DGAS/DGCCRF du 1er décembre 2008 demandant aux Conseils généraux de fixer pour les services agréés un tarif de prise en charge égal à la moyenne des tarifs des services autorisés n'est pas toujours appliquée ».

Cette différence de traitement entre les prestataires publics et privés, dans le cadre de « l'assistance dépendance » qui représente près de 75% du marché des services à la personne empêche l'installation d'une offre alternative et privée qui en prenant en charge une partie de l'aide pour les personnes dépendantes pourrait significativement soulager les budgets départementaux déjà sous pression. Les projections de l'Insee [6] fixaient la hausse de l'APA, dû à l'augmentation de la dépendance, entre 0,54 et 0,71% du PIB en 2040. Aujourd'hui, l'APA représente déjà 22,01% des dépenses d'aides sociales envers les personnes âgées des départements [7] et un total de 3,2 milliards d'euros dans le cadre de l'APA à domicile. (voir dossier Société Civile, Dépenses sociales : les prestations passées au crible.)

Il serait donc judicieux de chiffrer les économies potentielles à réaliser si l'on alignait dans tous les départements les tarifs APA sur celui des entreprises agréées.

[1] Olivier Wyman – Services à la personne, bilan économique et enjeux de croissance.

[2] Le rapport du Sénateur Joseph Kergueris : Services à la personne, bilan et prospective.

[3] Les dispositifs collaborent, le « tiers payant » et le « RUT-avdraget » qui est une réduction d'impôt de 50% (dans une limite de 5 000€/an par personne et 10 000€/an par ménage) pour l'employeur. Enfin le « tiers payant » permet à l'employeur de ne verser que la moitié du salaire convenu, l'employé devant ensuite demander à l'administration fiscale de compléter son salaire.

[4] Organisme catholique Caritas, l'organisme protestant Diakonisches Werk, la fédération caritative juive, la Croix rouge, association de la mutualité ouvrière Arbeiterwohlfahrt (AWO), la fédération de l'action sociale privée regroupant l'ensemble des organisations et institutions autonomes DPWV.

[5] Article 70 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013

[6] L'Insee : Projections du coût de l'APA et des caractéristiques de ses bénéficiaires à l'horizon 2040 à l'aide du modèle Destinie.

[7] Source : Rapport Jamet sur les finances départementales (2010).