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Sanctions pour les familles des mineurs délinquants : les exemples étrangers

Peut-on supprimer des aides sociales aux parents des mineurs qui ont participé aux émeutes suite à la mort de Nahel ? Depuis quelques jours, le coût des dommages causés par les émeutes pose un vrai problème politique : la note se comptera en milliards, et un bon nombre d’observateurs font remarquer que des sommes très importantes ont déjà été investies dans les zones sensibles pour y améliorer l’éducation, l’attractivité, la culture, les transports, la sécurité, le logement… et les revenus des habitants, notamment avec des aides sociales, dans lesquelles la France est déjà championne d’Europe. Attaquer le portefeuille des personnes qui sont pénalement responsables, donc dans le cas des mineurs, leurs parents, est aujourd’hui une solution portée par beaucoup de monde, même si de fait, cela ne suffira pas à payer les dommages des émeutes, estimés selon la fédération France assureurs à 650 millions d’euros (90% concernent les 3 900 biens des professionnels et des collectivités locales sinistrés), pour 11 300 déclarations de sinistres. En réalité, ce débat est plus ancien, puisqu’il a déjà été soulevé concernant les délinquants, ou sur l’absentéisme, avec la loi Ciotti de 2010.

Des mesures applicables au niveau national ?

Il faut distinguer deux types d’aides : les aides obligatoires et les aides facultatives. Les aides au logement, allocations familiales ou, de rentrée scolaire ou des prestations sociales comme le RSA, l’AAH sont décidées par la loi au niveau national et ne peuvent pas être adaptées à des situations locales, parce que c’est la situation des familles qui est prise en compte et non les comportements individuels.

Quand on regarde dans le détail, les sanctions contre les familles de délinquants devraient se concentrer en priorité sur les aides comme le RSA, les aides au logement, plutôt que sur les allocations familiales. D’abord, ces dernières sont versées à partir du deuxième enfant, donc si un enfant unique commet des actes de vandalisme, il n’y a rien pour le sanctionner. Ensuite, il est plus facile politiquement de sanctionner une famille inactive, qui aurait la disponibilité pour s’assurer du bon comportement des enfants, plutôt qu’une famille monoparentale dans laquelle le parent doit travailler à temps plein et ne peut pas forcément surveiller les enfants.

La loi Ciotti de 2010 contre l’absentéisme présentait des éléments de sanction contre les familles dont les enfants n’allaient pas en cours. Elle avait été valable jusqu’en 2013, date de son abrogation par la gauche. Mais finalement, son application était très faible : 619 suspensions sur 12 millions d’élèves, et surtout sur 80 000 signalements. Cependant, il faut noter que le Conseil constitutionnel n’avait pas montré son désaccord. En soi, sanctionner au porte-monnaie est possible, mais les chiffres de la précédente application sont trop faibles. Peut-être que la période d’application de la loi était trop courte pour que nous ayons des résultats probants.

En revanche, la loi est assez ambiguë sur le principe de sanction envers les parents au motif d’un défaut d’éducation quand leur enfant commet un délit. Dans le Code pénal, l’article 227-17 dispose que les parents peuvent prendre jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende pour défaut “de santé, de sécurité, de moralité ou d’éducation”. Cependant, cette loi n’a jamais été appliquée, car il est difficile de prouver que c’est précisément à cause du manque d’éducation que le mineur a eu un comportement antisocial.

Sinon, le sénateur Les Républicains Stéphane Le Rudulier voulait interdire aux familles de délinquants mineurs le droit à un logement social. Cette proposition ressemble à l’idée de Gérald Darmanin datant d’octobre dernier, à savoir généraliser l’expulsion de logements sociaux des familles de délinquants, mais cette idée avait été rejetée par le président de la Commission des lois, Sacha Houlié, la mesure étant selon lui “ni souhaitable, ni constitutionnelle”. Mais le Conseil constitutionnel n’a pas émis d’avis défavorable à cette mesure.

Des exemples au niveau local

Au niveau local, la liberté des collectivités publiques de prendre des décisions peut être remise en question si ces décisions contredisent certains principes, tels que le principe d'égalité protégé par la Constitution. Selon lui, une commune ne peut pas créer de discrimination dans les conditions d'accès à une aide sociale, et les critères d'attribution doivent être en rapport avec l'aide. Cette attention portée au principe d’égalité devant la loi fait que les critères d’attribution doivent avoir un rapport avec l’aide, comme le retour à des revenus plus importants ou, au contraire, la dissimulation de revenus réels. 

De fait, les aides qui pourraient être concernées par la suppression seraient des aides complémentaires d’origine locale, comme la réduction des  frais de cantine, du coût d’achat de tickets de transport ou des chèques sport et culture. Les autorités peuvent choisir de les attribuer ou nom selon leurs propres critères, comme le fait d’avoir un casier judiciaire vierge, un certain plafond de revenus, etc. Ces aides sont souvent gérées par les caisses centrales d’activités sociales (CCAS).

Certains élus mettent en balance les droits et les devoirs, considérant les avantages sociaux comme des droits et les mesures de suppression des aides comme des punitions déguisées. Exemple : à Poissy, l’ancien maire Karl Olive avait mis en place ce système pour “les familles dont un des membres mineurs aurait fait l’objet d’un rappel à l’ordre ou d’un jugement définitif à la suite d’une infraction troublant l’ordre public”, mais ce dispositif avait pris fin après la décision du tribunal administratif de Versailles, saisi par la Ligue des droits de l’homme, en mars 2023. A Rilleux-la-Pape, en 2018, une trentaine de jeunes avaient été convoqués par la mairie et trois familles avaient perdu leurs aides communales pendant un an, après avoir refusé d'être accompagnées. Néanmoins, la mairie de la commune de banlieue lyonnaise avait reconnu que l’effet de cette loi était assez faible. Enfin, à Valence, le maire avait mis en place un dispositif semblable : un mineur condamné verra les aides locales suspendues à sa famille s’il était déjà connu de la mairie pour des incivilités. Mais la municipalité avait été rappelée à l’ordre par le Défenseur des droits. Néanmoins, le maire avait insisté et déclaré ne pas appliquer les recommandations de cette autorité administrative.

Et à l’étranger ?

Au Royaume-Uni, le paiement des prestations peut être suspendu ou modifié si le partenaire ou l’enfant est en prison. Le parent doit obligatoirement signaler la condamnation de son enfant au Tax Credit Office. De plus, la State Pension est automatiquement suspendue lors d’un séjour en prison. Les membres d’une famille au comportement antisocial grave peuvent perdre leurs allocations familiales, mais bénéficient d’un accompagnement dans le cadre du “Trouble Families Programme”, mis en place par David Cameron. L’idée de mettre en place un programme qui permet un accompagnement (1,2 milliards de livres selon un rapport de 2015) tout en garantissant des sanctions a été reprise par Olivier Véran dernièrement, puisque ce dernier propose l’instauration de “stages de responsabilisation parentale”. Le programme britannique a été réformé en 2021, pour devenir le “Supporting Families Programme” à la suite du Covid-19. Mais le volet répressif n’est qu’une petite partie du dispositif, qui a accompagné plus de 400 000 familles entre 2015 et 2021. Le dispositif a été critiqué outre-Manche, mais semble avoir des résultats positifs sur cette période :

  • Le nombre d'enfants pris en charge est passé de 2,5 % à 1,7 %, soit une baisse de 32 % ;
  • Les adultes condamnés à des peines privatives de liberté sont passés de 1,6 % à 1,2 % (soit une baisse de 25 %) ;
  • Les mineurs condamnés à des peines privatives de liberté sont passés de 0,8 % à 0,5 % (diminution de 38 %) ;
  • Le nombre d'adultes bénéficiant de l'allocation de demandeur d'emploi a diminué de 11 % ;

Une analyse coût-bénéfice a montré que le programme permettait de réaliser 2,28 livres sterling d'économies pour chaque livre investie.

En 2018, un député du Parti modéré suédois a proposé une mesure visant à lier les allocations familiales au respect des obligations parentales et à la prévention de la délinquance juvénile. L'idée était d'utiliser les allocations familiales comme moyen d'encouragement et de motivation pour que les parents prennent leurs responsabilités dans l'éducation de leurs enfants. Les parents dont les enfants étaient impliqués dans des activités criminelles ou avaient des comportements antisociaux graves pouvaient voir leurs allocations familiales suspendues ou réduites.

En Allemagne ou au Danemark, il y a eu des sanctions relatives à l’absentéisme scolaire, comme ce qu’avait proposé Eric Ciotti. Par exemple, à Berlin, plusieurs partis s’étaient prononcés en 2016 pour la suppression des allocations familiales en cas d’absentéisme de longue durée d’un enfant.

Responsabiliser et accompagner

La sortie de crise devra passer par des sanctions à la hauteur des destructions. Il serait intéressant de remettre sur la table la proposition du sénateur Le Rudulier sur les restrictions d’accès aux logements sociaux pour les familles des casseurs. Au-delà du RSA et des APL, les sanctions doivent toucher directement les auteurs des dégradations. Par exemple, on pourrait limiter les droits connexes des familles en ciblant ces jeunes : suspension de la gratuité des transports dans les agglomérations qui l’ont mise en place, limitation de la gratuité de la cantine scolaire, ou d’activités périscolaires ou culturelles, si celle-ci est reconnue comme défaillante, en vertu de l’article 227-17 du Code pénal. Ce sera peut-être plus facile politiquement que de tout faire payer aux parents directement.

Une autre piste intéressante serait de s’inspirer du Royaume-Uni et son “Supporting Families Programme”. Celui-ci permet d’identifier quelles familles sont touchées par la consommation de drogues, l’abus d’alcool, la violence, le crime, les comportements antisociaux. Avec un programme d’accompagnement exigeant, le programme outre-Manche jongle entre aide financière et sanctions, et affiche des résultats nets positifs sur plusieurs aspects (taux de chômage, nombre de condamnations par la justice, y compris des mineurs, etc.).