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Plafonnement des indemnités de licenciement : la fausse route

Le gouvernement, ayant enfin pris conscience des « freins à l’embauche » que constitue la perspective de payer des indemnités de montant inconnu en cas de licenciement, veut s’attaquer au problème en fixant un barème légal qui serait obligatoire pour les tribunaux (conseils de prud’hommes et cours d’appel) appelés à juger des demandes des salariés. On n’est pas bien sûr de comprendre, si ce n’est qu’en réglant par avance l’indemnisation du préjudice, la loi irait à l’encontre des principes de droit applicables à la détermination du préjudice subi, qui est par nature individuelle, et que le gouvernement ne peut pas enlever aux tribunaux le droit d’estimer le préjudice du demandeur indépendamment de tout barème. Le barème ne servira alors à rien. En tout état de cause, et même si le barème était obligatoire, on ne voit pas en quoi la situation serait améliorée pour les entreprises. Tout cela au lieu de s’attaquer de front au problème essentiel de savoir quand il y a faute de l’employeur justifiant le paiement de l’indemnité en question. On comprend que le gouvernement, faute d’estimer pouvoir pour des raisons politiques s’attaquer à ce problème, cherche à le contourner, et l’objectif est certes louable. Mais on n’en finit pas de bâtir des solutions contraires aux principes les mieux établis du droit, avec un résultat dont l’efficacité est des plus douteuse.

Et d’abord, de quoi parle-t-on ?

Le terme, que l’on trouve dans les médias, d’ « indemnité de licenciement », est ici utilisé à tort. Les véritables indemnités de licenciement sont celles qui sont fixées dans les conventions collectives, ou la loi en l’absence de convention collective applicable, ce qui est très rare. Ces indemnités sont déterminées en fonction des années de présence dans l’entreprise (x fractions de mois par année de présence), et le salarié y a toujours droit, sauf faute lourde privative. Ici, il paraît évident qu’il s’agit des dommages-intérêts payables en plus des indemnités conventionnelles en cas de licenciement abusif, c’est –à-dire, pour reprendre le jargon juridique, prononcé en l’absence de « cause réelle et sérieuse ».

Dans la loi actuelle, le licenciement sans cause réelle et sérieuse donne ouverture pour le salarié à des dommages-intérêts (« DI ») d’au moins six mois de salaire. La moyenne accordée par les tribunaux tourne autour de huit mois, mais peut être beaucoup plus élevée, surtout dans le cas d’indemnités versées dans les affaires médiatisées concernant les grands groupes internationaux, que ce soit par suite d’une condamnation prononcée par les tribunaux ou, le plus souvent, dans le cadre d’accords négociés. Cela dit, dans le cas des PME et TPE, les DI en question tournent autour des six mois du minimum légal, simplement parce que ces entreprises ne peuvent pas payer davantage sans se trouver en difficulté.

Que veut faire le gouvernement ?

Il semblerait qu’il veuille fixer un barème qui tournerait autour des DI généralement accordés par les tribunaux, soit donc huit mois, et qui tiendrait compte de paramètres tels que l’âge et l’ancienneté. Pour le moment, on n’en sait pas plus.

En quoi ce barème libérerait-il les entreprises, et surtout les TPE/ PME qui sont apparemment celles qui sont à juste titre ciblées par le gouvernement, des freins à l’embauche ? C’est ici qu’on ne comprend pas. Ce que les entreprises en question ne veulent pas risquer, c’est d’avoir à payer des DI, quels qu’ils soient, lorsqu’ils sont amenés à devoir licencier, par suite d’une perte d’activité, des salariés qu’ils auraient embauchés dans une conjoncture favorable. Comme le concept jurisprudentiel de « cause réelle et sérieuse » ne le permet pas en pratique sans qu’il s’agisse d’un licenciement abusif, les entreprises se retrouvent à payer (voir article 1235-3 du code du travail), après des années de coûteuses procédures, un minimum de six mois de salaire (en plus des indemnités de licenciement proprement dites et indemnités diverses, préavis, congés payés…, et éventuellement satisfaction des très lourdes obligations de reclassement). Les entrepreneurs estiment donc que le jeu n’en vaut pas la chandelle, et refusent de prendre le risque de l’embauche.

Mais en quoi ce que paraît concocter le gouvernement changerait-il les données du problème, sinon tout à fait à la marge ? En ce qui concerne les PME, probablement même rien du tout, et au contraire puisque l’application du barème risquerait de leur coûter plus que six mois de salaire – ces six mois qui sont de toute façon insupportables. On se perd en conjectures.

C’est évidemment au concept de licenciement abusif qu’il faut s’attaquer, un point c’est tout !

Nous l’avons souvent indiqué dans ces colonnes, c’est la définition de cause réelle sérieuse, particulièrement en cas de licenciement économique, qu’il faut revoir. Le problème de DI ne se pose en effet que parce que l’employeur est jugé en faute, alors qu’il cherche seulement à adapter ses structures, et qu’il n’est pas justifié qu’il ait quoi que ce soit à payer en sus des indemnités légales. La crise actuelle a quand même provoqué plus de 60.000 défaillances d’entreprises l’année dernière en France, quoi d’étonnant à ce que les employeurs ne veuillent pas prendre trop de risques ?

Les dommages-intérêts ne doivent pas être la mesure forfaitaire d’un préjudice dont l’existence n’est même pas alléguée, comme c’est beaucoup trop souvent le cas dans le droit du travail. Mais d’un autre côté ils ne peuvent pas constituer une réparation forfaitaire se substituant à la réparation d’un préjudice lorsque celui-ci est effectivement établi.

Un des principes les mieux ancrés du droit consiste dans la réparation du préjudice subi, lequel doit être dûment établi devant les tribunaux. Le droit du travail échappe déjà actuellement en très grande partie à ce principe puisqu’on compte au moins 6 dispositions du Code du travail qui accordent au salarié des DI forfaitairement fixés (voir la note précédente sur le sujet), sans qu’ils soient en rien reliés à un préjudice effectivement subi par ce salarié. Mais au moins n’est-il pas interdit aux tribunaux d’accorder en plus des DI s’ils l’estiment justifié.

Ici, la réparation forfaitaire constitue une offense aux principes les mieux établis, et d’ailleurs ce serait contraire aux principes constitutionnels de refuser aux tribunaux le droit de fixer le préjudice en fonction des éléments fournis par le demandeur lorsqu’ils existent. Il est donc peu probable que le gouvernement ait l’intention d’interdire l’exercice de ce droit aux tribunaux. Dans ce cas, le barème ne servira donc à rien…

La réalité encore une fois, c’est que le gouvernement fait fausse route en voulant régler le problème à partir de la définition du préjudice. Tout préjudice doit être réparé. Ce n’est pas à ce niveau qu’il faut légiférer, mais à celui de la définition de la faute susceptible de donner lieu au paiement de dommages-intérêts. Le gouvernement ne s’estime pas en mesure de vaincre les résistances syndicales et autres en touchant à ce tabou de la cause réelle et sérieuse. Il en paye le prix, et nous avec, en jouant les gribouilles.