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« Sécuriser » le contrat de travail ?

Si l’on commençait par dissuader du recours contentieux systématique ?

A la suite de l’échec des négociations entre partenaires sociaux, le gouvernement a repris les rênes et prépare une loi sur le travail. Le Medef en attend beaucoup, comme l’a rappelé Pierre Gattaz, qui plaide pour un contrat de travail « sécurisé » où l’employeur saurait à l’avance à quoi s’en tenir sur les causes et conditions d’une rupture éventuelle du contrat. Comme on pouvait s’y attendre, les syndicats sont encore une fois vent debout contre une telle initiative qui diminuerait ou supprimerait le droit des salariés à se pourvoir en justice. En réalité, on cherche la quadrature du cercle, faute de vouloir s’attaquer à la définition légale de la cause réelle et sérieuse. En attendant, nous plaidons pour une « petite » mais efficace réforme, qui dissuaderait du recours systématique aux tribunaux beaucoup trop facilité par le code du travail.

Pierre Gattaz vient de s’exprimer une nouvelle fois sur ce sujet, véritable serpent de mer du droit du travail. «Il faut arrêter de faire que nos salariés partent aux prud'hommes dès qu'il y a un problème», dit-il. «Je demande un CDI sécurisé». Ce CDI devrait, selon lui, prévoir les «causes réelles et sérieuses» pouvant justifier un licenciement. «Lorsque nous signons avec notre salarié (il faut) que nous connaissions par avance les conditions de séparation». Voici des années que l’on tourne autour du problème de la rupture du contrat de travail, qui se manifeste par l’impossibilité de la rupture des CDI en face de l’insécurité totale pour le salarié à qui les employeurs ne proposent plus maintenant que des CDD précaires. On a, là aussi, « tout essayé », depuis le CNE de triste mémoire (qui allongeait jusqu’à deux ans la période d’essai) jusqu’aux essais infructueux de définir un contrat de travail unique prôné notamment par notre récent prix Nobel, Jean Tirole. Un tel casse-tête juridique, et politique, que le gouvernement paraît y avoir renoncé.

La vérité tient, comme nous l’avons sans relâche ressassé dans ces colonnes, au fait qu’il faudrait définir dans la loi ce qu’il faut entendre par cause réelle et sérieuse, en particulier économique, afin de fournir un cadre au juge, au lieu de lui laisser la bride sur le cou. Ne pas oublier en effet que le juge doit appliquer la loi, au lieu de laisser se développer un droit prétorien ouvert à tous les excès bien connus commis par la jurisprudence de la Cour de cassation, suivie comme il se doit par les différentes Cours d’appel. Mais de ceci, aucun gouvernement n’ose se saisir. C’est l’un des plus grands tabous du droit social français.

La loi Macron

Ce projet de loi a pour ambition de fournir une première solution au problème de l’insécurité juridique tenant aux délais insupportables des recours en justice intentés par les salariés. L’article 83 vise en effet à accélérer la procédure prud’homale en augmentant les pouvoirs du bureau de conciliation, qui devient « bureau de conciliation et d’orientation » et a donc la charge d’orienter la solution du litige directement devant la formation de départage plutôt que devant le bureau de jugement. Il en est attendu aussi une diminution du nombre des appels des jugements prud’homaux, actuellement très nombreux (ils concernent environ les deux-tiers des affaires). La formation des conseillers prud’homaux fait aussi l’objet de la loi.

Ces dispositions sont certainement bienvenues et devraient contribuer à accélérer la solution des litiges du travail. Néanmoins elles sont insuffisantes et en tout état de cause ne réussiront au mieux qu’à accélérer la procédure et diminuer pour employeurs et salariés la durée de la période d’incertitude sans s’attaquer aux causes de cette incertitude. Or les litiges prud’homaux sont en France particulièrement nombreux par rapport à ce qu’ils sont dans les différents autres pays européens. Dans son rapport de 2014 sur les systèmes judiciaires européens, le CEPEJ note le nombre d’affaires nouvelles de licenciement en 2012. L’Espagne bat tous les records (c’est le pays européen où le droit du travail est le plus rigide) avec 147.000 affaires, mais on en dénote 124.000 en France, 101.000 en Allemagne pour une population 20% plus élevée, et seulement 49.000 au Royaume-Uni.

La question se pose donc de savoir dans quelle mesure ce chiffre exorbitant de litiges n’est pas dû à certaines caractéristiques du droit du travail et de la procédure prud’homale français.

Propositions pour dissuader du recours systématique aux tribunaux

Les litiges prud’homaux, qui sont à quasiment cent pour cent introduits par les salariés, ont la plupart du temps pour objet la rupture du contrat de travail. Or la loi a simplifié au maximum l’introduction du litige, qui s’effectue par une déclaration de quelques lignes au greffe du tribunal, dans laquelle ne figure que l’objet de la demande (le « par ces motifs » dans le langage juridique), à savoir le montant de la demande et sa cause (« dommages et intérêts pour rupture abusive », « préavis », etc.) sans plus d’explication ni d’argumentation sur les moyens invoqués. Ceci constitue une exception remarquable dans le paysage juridique français, où toutes les introductions de litige ont lieu par une assignation qui doit développer les moyens de la demande.

D’autre part, les juges prud’homaux ne sanctionnent jamais (ou alors pour un montant ridicule, 50 euros comme l’indique une avocate à Bordeaux sur son blog !) la perte du procès par le demandeur salarié, par l’attribution à l’autre partie de dommages-intérêts pour compenser les dépenses effectuées pour sa défense. C’est là aussi une exception dans la pratique judiciaire française où cette attribution est au contraire systématique (par application de l’article 700 du code de procédure civile), indépendamment des dommages-intérêts pour procédure abusive qui peuvent être prononcés dans le cas de demandes fantaisistes.

En dernier lieu, et c’est le plus important, le code du travail sanctionne systématiquement les erreurs pouvant être commises par l’employeur par l’attribution de dommages-intérêts forfaitaires qui, et c’est encore une exception juridique française, ne compensent en rien un dommage effectivement subi par le salarié. Les exemples abondent. On citera ici les articles 1226-14, 1235-2, 1235-3 et1235-11, 1235-13 et 1235-15 du code du travail.

Exemples tirés du code du travail

Article 1226-14. « La rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 [ impossibilité de proposer un emploi de reclassement] ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9. »

Pourquoi le double ?

Article 1235-2. « Si le licenciement d'un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge impose à l'employeur d'accomplir la procédure prévue et accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire ».

Article très utilisé par les salariés, compte tenu des pièges de la procédure, la Cour de cassation ayant de plus jugé que le non-respect des règles de forme doit entraîner condamnation de l’employeur, ne serait-ce que « de principe ».

Article 1235-3. « Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9. »

Article fondamental. Le code du travail ne définit pas ce qu’il faut entendre par cause réelle et sérieuse, ce qui introduit une incertitude considérable, compte tenu de la jurisprudence extrêmement restrictive et formaliste. Ce qui n’empêche pas d’allouer systématiquement au salarié six mois d’indemnité, indépendamment de tout préjudice justifié. Cette sanction automatique pour une disposition dont la portée est incertaine compte beaucoup dans la frilosité dont les employeurs témoignent à l’égard des embauches.

Article 1235-11. « Lorsque le juge constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle, conformément aux dispositions des deux premiers alinéas de l'article L. 1235-10 [ pour absence de validation ou d’homologation du plan social, ou même de leur annulation rétroactive], il peut ordonner la poursuite du contrat de travail ou prononcer la nullité du licenciement et ordonner la réintégration du salarié à la demande de ce dernier, sauf si cette réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi disponible. »

Lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des douze derniers mois. »

Sanction considérablement élevée, encore une fois automatique, et pouvant jouer rétroactivement !

Article 1235-13. « En cas de non-respect de la priorité de réembauche prévue à l'article L. 1233-45, le juge accorde au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure à deux mois de salaire. »

Même commentaire

Article 125-15. « Est irrégulière toute procédure de licenciement pour motif économique dans une entreprise où le comité d'entreprise ou les délégués du personnel n'ont pas été mis en place alors qu'elle est assujettie à cette obligation et qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi.

Le salarié a droit à une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure à un mois de salaire brut, sans préjudice des indemnités de licenciement et de préavis. »

Même commentaire. Où est le préjudice du salarié ?

La rupture conventionnelle est un progrès important, mais ne peut pas avoir d’effet sur la peur d’embaucher

La rupture conventionnelle, substitut au licenciement et à la démission, rencontre un succès grandissant (320.000 en 2012). Il n’en reste pas moins qu’elle n’a concerné en 2012 que 16% des fins de CDI globalement. Son domaine de prédilection se situe dans l’immobilier, l’hébergement restauration et la communication, et les petites entreprises surtout (21,4% en dessous de 10 salariés, 13,3% de 10 à 49 salariés, 8,2% de 50 à 249 salariés, et 3,8% au-dessus). Les personnes concernées ont été pour 13% des moins de 30 ans et pour 26% des 58/59 ans.

Lorsqu’il embauche, particulièrement un jeune, un employeur ne peut évidemment pas compter sur la possibilité d’une fin de contrat par rupture conventionnelle. D’autant plus que la peur de l’embauche existe essentiellement à cause de la difficulté de licencier pour raison économique, et qu’en pratique la rupture conventionnelle est exclue dans ce cas. D’abord parce que l’homologation administrative (obligatoire !) de la rupture sera refusée s’il y a soupçon de vouloir contourner les règles du licenciement économique collectif, et aussi parce que les avantages du licenciement économique pour le salarié sont sans aucune mesure avec ceux de la rupture conventionnelle. En particulier le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) offre le paiement pour une durée allant jusqu’à une année du salaire net, comparé aux 57% de l’indemnité de chômage, sans compter les nombreux avantages de suivi de formation. Dans ces conditions le salarié refusera la proposition de rupture conventionnelle sauf à ce que l’employeur lui octroie les mêmes avantages que ceux du licenciement économique, ce qui sera extrêmement onéreux pour cet employeur.

Dans les faits, la rupture conventionnelle concerne les fins de contrat pour motif individuel, ou pour raison économique seulement dans les cas, évidemment rares, où le salarié a l’assurance d’un reclassement au moment où il signe le contrat de rupture. Ceci explique pourquoi en définitive seulement 13% des fins de contrat se soldent par une rupture conventionnelle.

Conclusion

Il est suffisamment évident que le droit du travail et la procédure applicable favorisent par trop l’introduction de litiges par les salariés. S’il paraît difficile de compliquer l’introduction du litige par l’exigence d’une argumentation développée, s’il paraît aussi difficile pour le législateur de faire en sorte que des indemnités article 700 soient effectivement prononcées par les tribunaux, lesquels sont libres d’en apprécier l’opportunité et le montant, il n’en est pas de même pour la définition des sanctions applicables aux employeurs.

Le caractère automatique de ces sanctions, indépendantes de tout préjudice subi par le salarié, couplé avec la facilité d’introduction de la procédure et l’absence de dommages-intérêts article 700, a pour conséquence que le salarié ne risque rien à introduire une procédure, à part le paiement éventuel des honoraires de son avocat. Si les dispositions signalées étaient abrogées et que le salarié soit dans l’obligation de prouver son préjudice, nul doute que l’on assisterait à une forte diminution des litiges, ne serait-ce qu’en raison de l’incertitude du gain. Une telle modification de la loi serait pour le législateur beaucoup plus facile à introduire dans la loi, et plus difficile à contester, que les réformes de fond portant sur le contrat de travail. Ce serait déjà un pas non négligeable pour éviter que « nos salariés partent aux prud'hommes dès qu'il y a un problème », pour reprendre l’expression de Pierre Gattaz.