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L'impact de la fiscalité sur la création d'entreprises

Le rôle - et surtout l'impact - de la fiscalité dans la création d'entreprises est souvent considéré comme mineur, l'histoire, le tempérament entrepreneurial, les obstacles bureaucratiques, le droit du travail, etc. étant jugés plus déterminants. L'histoire du Président Reagan (entre autres) montre au contraire que la fiscalité est déterminante, puisqu'elle a été capable d'écarter de la création d'entreprises les Américains, considérés mondialement comme parmi les plus entreprenants.

En 1986, Reagan supprime toutes les niches (incitations) fiscales, notamment celles qui encourageaient à investir dans la création d'entreprises, afin de réduire le taux maximum d'imposition sur le revenu de quelque 50% à 28%. Cela a fait s'effondrer les chiffres de la création d'entreprises qui reprirent 8 ans plus tard lorsque le Président Clinton, dès son élection, rétablit ces niches. Cet exemple nous paraît d'autant plus démonstratif de l'influence de la fiscalité qu'il ne s'agissait pas d'un hasard car les spécialistes du financement de la Côte Ouest avaient prévenu Reagan de l'impact de cette réforme dans des articles du Wall Street Journal

C'est que pour attirer les capitaux vers la création d'entreprises, il faut tenir compte de ce que, en un siècle, les profits qui compensent les pertes ont été divisés par environ 2 par la montée des impôts et charges sociales qui n'existaient pratiquement pas au début du XXème siècle, alors que les risques associés à la création d'entreprises sont restés sensiblement les mêmes. Le taux marginal d'imposition des revenus aux USA, même sous Georges Bush, est voisin de 50% : 38% plus un impôt d'état sur le revenu dans la plupart des états, voisin de 10%. Mais le pourcentage d'entreprises qui ont disparu après 5 ans n'a pas varié depuis que des statistiques sur ce chiffre existent : environ 50%.

Les Américains ont donc mis en place en 1958 un dispositif qui, pour équilibrer ces prélèvements, réduit symétriquement le risque de moitié en faisant prendre par l'État la moitié des pertes si celles-ci surviennent. La Sub-Chapter S (SubS) opère comme une assurance et est à l'origine de l'extraordinaire développement des Business Angels américains mais il est intéressant de noter que les pertes supportées par le Trésor au titre des SubS sont 3,5 fois plus faibles que les gains. Un ratio que l'on retrouve sur une étude sur les entreprises françaises nouvellement créées.

L'article 30 de la LME d'août 2008 crée une Subchapter S à la française, la Société de Capitaux Transparente fiscalement, la SCT. Mais l'article 239 bis AB du CGI a été pratiquement neutralisé par la DLF qui préfère préserver sa conquête de la tunnélisation des revenus.

Les Anglais ont utilisé d'autres dispositifs, notamment l'Enterprise Investment Scheme, EIS, introduit en 1994 mais déjà anticipé par des exemptions d'impositions sur les plus-values ; d'après les derniers chiffres de l'Internal Revenue, l'EIS intéresse 11.000 investisseurs, les exemptions de plus_values 35.000.

L'histoire des incitations fiscales en France à l'investissement dans la création d'entreprises (dont il faut rappeler qu'elle représente l'essentiel de la création d'emplois – voir « The importance of startups in job creation ») pose question sur la compréhension en France de ces mécanismes et justifierait à elle seule la création de notre site.

Comme on l'a vu (« financement de la création d'entreprises »), ce financement :
- n'est pas assuré par des fonds communs de placement
- est assuré seulement par l'investissement direct
- dépend pour les entreprises à forte croissance, les plus importantes pour l'emploi, des Business Angels indépendants capables de mobiliser 500.000 € à deux ou trois.

La première incitation fiscale à investir dans la création d'entreprises est la création en 1994 de l'Avantage Madelin, la même année que l'EIS anglais avec des mécanismes comparables : une déduction de l'impôt sur le revenu de 20% des sommes investies dans des entreprises en Angleterre et de 25% en France. Cette incitation est complétée en Grande-Bretagne par une suppression de l'impôt sur les plus-values après 3 ans. Mais les différences sont dès le départ considérables, à la fois sur les plafonds de déduction et les conditions exigées pour en bénéficier.

Le plafond a dans un premier temps été fixé en France à 40.000 francs pour un ménage soit une déduction fiscale de 10.000 francs, un peu moins de 2.000 euros. Un témoin de la réunion aucours de laquelle deux inspecteurs des finances ont fait décider ce plafond, rapporte que le modèle était que le montant de cette réduction soit équivalent à celui que les incitations immobilières accordaient à l'époque à des toilettes. Ce plafond a été progressivement augmenté à 40.000 euros pour un ménage - avec possibilité de report sur 5 ans, ce qui permet d'investir jusqu'à 200.000 € une année puis rien sur les 4 années suivantes- ou, grâce à l'intervention du député Nicolas Forissier en 2008, à 100.000 euros sans report.

Ce plafond est à comparer à celui de l'EIS qui dès le départ a été fixé à 300.000 £ pour un ménage et est monté progressivement jusqu'à 1 million de £ (et vient d'être porté en 2011 à 2 millions de £). Mais simultanément, alors que les Anglais imposent comme conditions de l'avantage fiscal que ce soit de l'investissement direct et que cet investissement soit fait dans des entreprises risquées en excluant les investissements pour la location, l'immobilier, etc., Bercy étend l'avantage fiscal à des fonds communs de placement (FCPI, puis FIP) et ne met aucune limite à la nature de l'entreprise si bien que l'avantage fiscal peut être utilisé pour créer des caves à vin ou à cigares, ou pour financer des éoliennes ou panneaux solaires dont les produits sont garantis par l'État. Il faudra attendre le PLF 2011 pour que, à la suggestion de l'iFRAP notamment, Bercy finisse par s'inspirer des Anglais pour limiter les bénéficiaires de l'Avantage Madelin. La combinaison d'un plafond bas et de la possibilité de déduction à travers des fonds a conduit à ce que 55% de l'Avantage Madelin transite par ces fonds.

Lors de l'arrivée au pouvoir du gouvernement Sarkozy, on pouvait espérer que serait reprise l'utilisation de l'ISF qu'avait soutenue le même Nicolas Sarkozy, ministre des finances en 2004 et qu'avait fait voter par la Commission des finances du Sénat son rapporteur, Philippe Marini : une exonération de 25% de l'ISF à payer pour tout investissement dans une PME, jusqu'à 200.000 euros. Mais si le plafond de la déduction (50.000 €) est conservé, l'exonération est de 100% et le montant de la somme à investir n'est plus 200.000 € mais… 50.000 € ! Il faudra l'intervention du Conseil d'État pour faire réduire le taux de déduction de 100%, jugé anti constitutionnel, à 75%. L'objectif du nouveau gouvernement n'est pas la création d'entreprises mais une nouvelle brèche dans l'ISF, qu'il n'ose pas supprimer.

PME et PEC : la France en retard sur Bruxelles

Lorsqu'un état crée des niches fiscales, il est important que les bénéficiaires de la niche soient bien identifiés pour donner à la mesure son plein effet. Pendant longtemps, les défenseurs de la petite entreprise ont cru que la PME était l'entreprise qu'il fallait avantager fiscalement. La PME est définie par l'Union Européenne comme une entreprise de moins de 250 salariés et moins de 50 millions de chiffre d'affaires ou 43 millions de total de bilan.

Mais des entreprises proches de ces montants sont généralement sorties des problèmes de financement d'amorçage, même si elles ont toujours besoin de fonds propres. Consciente de cette difficulté, la Commission de Bruxelles a d'abord créé des catégories plus petites : la PEC (Petite Entreprise Communautaire, moins de 50 salariés et moins de 10 millions de chiffre d'affaires ou de total de bilan), la micro-entreprise (moins de 10 salariés et 2 millions de chiffre d'affaires ou de total de bilan) ; puis a poussé les législations fiscales à privilégier l'investissement dans les PEC par les « lignes directrices pour l'investissement dans les PME » publiées le 18 Aout 2006 ; dans son chapitre 4, l'UE donne en effet une approbation quasi automatique aux avantages consentis aux PEC, alors que les avantages consentis aux PME nécessitent une négociation qui peut prendre des mois.

Le principe en est intéressant car les investissements des particuliers, qu'il est ainsi possible de flécher vers les créations d'entreprises, ne peuvent excéder quelques milliards € ce qui est une aide importante lorsque les montants investis sans ces aides sont de quelques milliards mais n'ont plus aucun effet mesurable si cette aide se dilue sur des PME dont les seuls bénéfices nets représentent 80 milliards d'euros.

Les Anglais ont compris l'intérêt et infléchi leur EIS en limitant les capitaux propres avant aide à 7 millions de £. La France commence à prendre conscience de cette question mais a raté le créneau lors de la création de l'ISF-PME.

Le retour des incitations fiscales pour le Trésor.

Toutes les mesures fiscales en faveur de l'investissement dans la création d'entreprises sont considérées par les responsables budgétaires comme un coût pour le Trésor et, en période de disette fiscale, comme devant être réduites ou supprimées.

Ce n'est pas semble-t-il la politique suivie par sa Gracieuse Majesté dont le gouvernement Cameron dans son budget 2011 vient de porter le plafond de la déduction d'IR de 1 million £ à 2 millions £ dans le cadre de l'EIS et le taux de déduction de l'investissement de 20% à 30%. Ni celle du gouvernement Obama qui dans une loi signée en septembre 2010 vient d'exempter d'impôt sur les plus-values les prises de participation effectuées par des particuliers dans des entreprises de moins de 50 millions $ de capital.

C'est que ces exemptions fiscales sont pour le Trésor public d'une extrême rentabilité. Aux États-Unis, les bénéfices taxables dans les Subchapter S représentent environ 3,5 fois les pertes déductibles par les actionnaires de ces mêmes entreprises. Une étude sur les bénéfices et pertes des entreprises créées en France donne les mêmes ratios.

Même le retour en TVA payée par les entreprises créées, montre que l'Avantage Madelin (25%) est payé en 3 mois par la TVA payée dans leurs premiers 12 mois d'existence, donc ne coûte rien au Trésor puisque la TVA rentre immédiatement alors que l'Avantage Madelin est déduit l'année suivante ; et dans la suite devient un gain net qui rembourse plus de 20 fois en 10 ans le coût fiscal.

Ces résultats ont été critiqués avec les arguments suivants :

- Le chiffre d'affaires ainsi créé serait compensé par la TVA perdue sur les entreprises que les entreprises nouvelles déplacent. Une étude statistique à partir des chiffres du Census américain montre que cette hypothèse n'est pas fondée.
- Une partie importante des capitaux levés avec l'Avantage Madelin va s'investir dans des entreprises qui ne font aucun chiffre d'affaires ou inférieur au seuil de taxation (73.500 €). Ceci paraît en effet vérifié car les capitaux allant dans ces entreprises seraient environ le double de ceux investis dans des entreprises avec chiffre d'affaires taxable ; et une analyse complémentaire montrerait qu'il s'agit bien en effet de holdings ou de SCI. Ce qui met en cause le laxisme de la législation fiscale française qui jusqu'au PLF 2011 ne s'est pas préoccupée d'exclure un certain nombre d'activités sans risque ou peu transparentes tout en mettant des plafonds qui rendent l'incitation fiscale inopérante.

Si les incitations fiscales restent toutes considérées comme un coût fiscal en restant dans un budget statique, les chances de la France de prendre des mesures qui accroissent les créations d'entreprises créées avec salariés et les créations d'emploi sont alors très minces.

Il paraît indispensable que le gouvernement français et Bercy fassent plus de place, dans les budgets, aux retours des mesures fiscales, qu'ils fassent un bilan complet statique des mesures fiscales avec ce qu'elles coûtent mais aussi ce qu'elles rapportent actuellement, sans même parler des changements comportementaux qu'entraîneraient des modifications importantes, comme les changements de plafonds qui obligent alors à introduire des budgets dynamiques.