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Le financement de la création d'entreprises en France

1. Entreprises créées par nécessité et entreprises créées par opportunité

Pour créer une entreprise il faut de l'argent pour permettre à l'entreprise au moins de survivre le temps que les ventes parviennent à équilibrer les dépenses.

C'est pourquoi la plupart des entreprises se créent sans salarié, avec des charges fixes minimales. Mais elles ne créent que peu ou pas d'emplois, parvenant, et pas toutes, à faire vivre leur créateur. Suivant une décomposition proposée par le Global Entrepreneurship Monitor (GEM), il faut distinguer les entreprises créées par nécessité, pour nourrir l'entrepreneur et ses proches, par opposition aux entreprises créées par opportunité, celles où un entrepreneur aperçoit les possibilités d'un nouveau produit ou service et crée l'entreprise pour les développer… et devenir riche !

La France a beaucoup joué la carte des entreprises créées par nécessité depuis 40 ans, faute de savoir comment créer des entreprises par opportunité, et l'on a vu une floraison d'initiatives étatiques comme par exemple la création des chèques emploi-service (CESU) due à Jean-Louis Borloo, l'Association pour le Droit à l'Initiative Economique (ADIE) de Maria Nowack fortement subventionnée (au dernier rapport de l'Inspection des finances sur le micro-crédit, il aurait fallu un intérêt de 32% pour couvrir les frais de l'ADIE, un peu mieux qu'il y a 10 ans où il fallait 100% [1]).

L'État lui-même a favorisé l'emploi des chômeurs avec les programmes ACCRE (Aide au Chômeur Créant ou Reprenant une Entreprise) et NACRE (Nouvel Accompagnement pour la Création et le Reprise d'Entreprises) (coûts en 2009 : respectivement 15 millions d'euros et 75 millions d'euros).

Au total, ces divers programmes coûtent très cher au budget (90 millions d'euros en 2009) mais leur effet sur l‘emploi est fort discutable car le nombre d'emplois ainsi créés est limité, et beaucoup de ces emplois revenant à remplacer des emplois légitimes qui existaient au préalable. On ne peut en effet faire croître indéfiniment des services individuels aux individus d'une société, services pour lesquels ces individus n'ont pas un budget extensible, bien au contraire (ce qui est à distinguer des services aux entreprises qui ont eu un grand essor dans les dernières 50 années car elles ont introduit une forte amélioration de la productivité).

La voie royale, suivie par les 3 A (Allemagne, Angleterre, Amérique) et plusieurs pays nordiques comme la Suède, a consisté au contraire à encourager les entreprises créées par opportunité, fondées sur l'émergence d'un produit ou d'un service nouveaux, et qui entraînent avec elles la création de nouveaux emplois de service tels que des emplois dans la restauration, l'entretien…

Quelques firmes se développant par opportunité finissent bien par émerger des entreprises créées par nécessité mais leur nombre est faible ; car dès qu'un produit ou un service nouveau émerge, nombreux sont les concurrents qui se précipitent et il est donc indispensable d'avoir les moyens et d'abord les moyens financiers pour aller vite. C'est la stratégie type suivie par Apple en matière de produit.

Il est donc important de connaître les firmes qui se sont donné les moyens de se développer dès leur naissance. Tout autant que les montants qui y ont été investis.

C'est dire de mesurer l'importance des “high growth firms”.

D'une étude sur le financement des PEC, il semble que ce soient les PEC disposant des montants de capital social les plus élevés par salarié à la création d'entreprise qui ont le plus de chance de grossir et de sortir de la catégorie pour devenir l'année suivante des PME, c'est-à-dire de passer de la catégorie des moins de 50 salariés à celle entre 50 et 250 salariés.

2. Les sources de financement

Les sources de financement des entreprises, même en amorçage, sont multiples. Ci-dessous reproduit un tableau de GEM pour les créations d'entreprises en Grande-Bretagne :

Table 1. Sources of finance for men and women in the UK 2005

(in %) Source of finance used Source of finance sought but attempt unsuccessful
MEN WOMEN MEN WOMEN
Friend and family 23,0 17,8 2,2 2,4
Individual investors 9,1 6,6 2,8 2,1
Unsecured bank loan 18,0 10,3 4,6 1,7
Bank overdraft 32,5 23,5 5,4 3,0
Secured non bank loan 5,7 3,5 1,8 1,2
Secure bank loan 12,8 14,0 2,8 1,6
Equity 4,9 3,5 1,9 0,8
Government grant 8,0 9,5 4,6 3,6
Credit card 17,4 15,9
Source : Adult Population Survey (weighted sample of approximately 3764 individuals), GEM UK 2005, Page24

Dans certains pays comme l'Allemagne, il semble que les capitaux initiaux nécessaires à la création d'entreprises soient largement apportés par les banques et surtout les banques populaires (Raiffesen et Volksbank notamment) mais cet apport n'est possible que parce qu'il existe une imbrication forte des banques et du tissu industriel local, notamment du Mittelstand, et qu'un innovateur, appuyé par le Mittelstand a de fortes chances d'être financé. On retrouve ce fait lorsque l'entreprise est plus développée car les capitaux propres des entreprises allemandes sont proportionnellement nettement plus faibles que ceux des entreprises françaises, la part de dette long terme dans le bilan étant beaucoup plus importante. C'est le même phénomène qui existe au Japon. Il existait aussi aux USA avant que les concentrations au sein du système bancaire ne viennent freiner, voire supprimer, les risques que prenaient les banques locales pour se créer des clients de long terme en apportant les premiers crédits aux créateurs d'entreprises locaux.

Dans les pays anglo-saxons et la France, il semble que le financement de la création d'entreprises et des premiers développements soit assuré d'abord par le capital informel et seulement lorsque l'entreprise a démarré et atteint une certaine taille, par le capital-risque « venture capital ») puis par les introductions en bourse ou autres appels au marché public.

Le capital-informel est constitué des fonds apportés par le créateur et ses proches : les CCC, Copains, Cousins et Cinglés (en anglais FFF : Family, Friends and Fools) mais aussi par des investisseurs n'ayant aucune relation préalable avec le créateur d'entreprise mais attirés autant par l'espoir d'un profit à long terme que parce qu'ils peuvent contribuer au succès de l'investissement fait en apportant au créateur leurs conseils d'expérience et l'aide de leurs réseaux. Le Business Angels, terme forgé au début des années 1980 par le Professeur Wetzel de l'Université du New-Hampshire, n'investit de ce fait que près de son domicile, généralement à moins de 100 kilomètres. Des législations fiscales ont encouragé leur émergence tant aux USA qu'en Grande-Bretagne mais en limitant leur participation dans les firmes où ils interviennent à 30% des droits de vote pour éviter la dépossession systématique du créateur. Les Business Angels ne sont pas des grosses fortunes mais des gens aisés ; 70 à 80% d'entre eux sont déjà des entrepreneurs qui investissent dans les innovations des autres.

Le capital-risque, parfois désigné comme capital-investissement, est né aux USA dans l'immédiat après-guerre, notamment avec le Général Doriot, un Français émigré qui créa l'American Research Development Corporation qui fit ses premiers investissements dans Digital Equipment Corporation avec un tel succès financier que la profession du Venture Capital est maintenant bien établie. Le Congrès américain de 1958 avait cependant pris conscience que le capital-risque accélère le développement d'entreprises existantes mais les crée très rarement et qu'il fallait forger un outil différent, ce qu'il a fait notamment dans le Small Business Investment Act de 1958 [2]. Parce que le « venture capital » investit un argent « formel », un argent qui n'est pas celui des gestionnaires qui prennent les décisions d'investissement et de gestion – ou pas entièrement le leur-, il leur faut se protéger contre l'échec et donc faire valider leurs décisions par le conseil d'administration ou un conseil d'investissement. Il leur faut pour cela réunir des rapports d'experts portant non seulement sur le marché, le produit ou les finances de la société dans laquelle investir, mais aussi sur la capacité managériale des créateurs à gérer et à faire grossir l'entreprise. C'est pourquoi il est rare que le « venture capital » investisse des tickets en dessous de 2 millions de $ actuellement, alors que les capitaux dont a besoin une firme pour débuter sont pour plus de 95% d'entre elles en dessous du million. Le « venture capital » n'investit pas en création d'entreprises mais en développement et les créateurs d'entreprise ont besoin d'une autre source de capitaux. Au stade de l'amorçage, seuls les Business Angels et les SBIC américaines se sont avérés économiquement efficaces.

Le Small Business Investment Act de 1958 a introduit deux législations, celle des Sub-Chapter S et celle des SBIC qui sont en très grande partie à l'origine de la remarquable expansion économique des USA.

Les Anglais ont introduit en 1983 une incitation fiscale qui est devenue en 1994 l'Enterprise Investment Scheme, EIS, elle aussi remarquablement efficace.

3. Comparaison des sources de financement en France et dans les pays anglo-saxons

Une étude sur l'année 2008 des sources de financement semble montrer que la France a une pyramide inversée des sources d'investissement et que c'est l'une des causes importantes du manque de création d'entreprises et d'emplois.

En résumé, aux USA, le capital informel est de l'ordre de 100 milliards de $ investis par an dans 500.000 entreprises, les business angels investissant 25 milliards dans 50.000 entreprises pour 15 milliards investis par le Venture Capital dans 1.500 entreprises : une pyramide si l'on remonte du premier au dernier. En France, en 2010, le « venture capital » représente environ 6,5 milliards d'Euros collectés et investis par an alors que le capital-informel peut être évalué à moins de 4 milliards et celui investi par les Business Angels à moins du milliard. Aussi, le capital-risque manque d'entreprises où investir et se réfugie dans les LBO ou l'investissement à l'étranger.

[1] Source : Ministère de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi - Inspection Générale des Finances ; Décembre 2009 ; « Le microcrédit » (https://www.igf.minefi.gouv.fr/sect...)

[2] A ne pas confondre avec le Small Business Act de 1953 créant la SBA (Small Business Administration), essentiellement pour aider au crédit d'entreprises créées par des minorités.